Un moment d’égarement

Première diffusion : 12/08/2017

Le couvert était mis : deux assiettes, les serviettes blanches bien pliées, en triangle, comme Élise les aimait. Les couverts d’argent luisaient doucement, les verres étincelaient. Elle ajouta quelques fleurs au centre de la table, s’assit, lissa sa jupe, arrangea ses cheveux, posa ses mains sur ses genoux et attendit.

A l’autre bout de la ville, le commissaire tendit la feuille au jeune homme pâle qui lui faisait face et lui demanda de relire et de signer. Le jeune homme pâle obtempéra.

La nuit était tombée, déjà neuf heures. Élise pensait à son rôti qui serait trop cuit. Elle se leva pour éteindre le four et en profita pour ranger la cuisine : l’ordre, en général, calmait ses inquiétudes.
Mais pourquoi était-il en retard ? Et s’il n’allait pas venir ? Elle l’avait invité bien qu’elle le connaisse très peu, elle ressentait un tel besoin d’une présence masculine. Il y en avait eu si peu dans sa vie…
Elle continuait à nettoyer, ranger, faire reluire ce qui était déjà propre. Tout était vraiment prêt. Une bonne Continuer la lecture de Un moment d’égarement

HISTOIRE DE NOËL (Extrait)

Cette année-là, alors que la température restait étrangement douce, la pluie avait commencé à tomber la veille de la Toussaint et, depuis ce jour, il n’avait pas cessé de pleuvoir. Les chemins s’étaient transformés en bourbiers, les ruisseaux en torrents et les torrents en rivière. On disait que si ça continuait comme ça, demain, la route qui menait de St-Géraud à La Claux serait coupée.

Noël marchait sous la pluie depuis bientôt deux heures. Son chapeau de feutre avait perdu sa forme et ses larges rebords rabattus sur ses oreilles pendaient maintenant jusque sur ses épaules. Ses vêtements détrempés s’étaient collés à son corps et pesaient lourd sur son dos et sur ses reins. Il avançait encore plus péniblement qu’à l’ordinaire, trainant son pied difforme dans les ornières du chemin. Noël pressait le pas autant que sa démarche le lui permettait. Il voulait arriver à la Prétentaine avant la nuit car il avait gardé de son enfance une sourde crainte de l’obscurité et des esprits malfaisants qui la peuplent. D’ailleurs aucun homme de la région, même le plus courageux ou le plus inconscient, n’aurait eu l’idée de marcher dans l’obscurité, le vent et la pluie à travers cette campagne à demi submergée.

Pourtant, malgré l’humidité qui le pénétrait, malgré la nuit qui approchait et malgré le mauvais chemin qu’il lui restait encore à parcourir, Noël était joyeux : c’en serait bientôt fini de son infirmité. Le docteur Cottard Continuer la lecture de HISTOIRE DE NOËL (Extrait)

Consécration à Notre-Dame

par Jim
Quel est l’homme le plus puissant du monde sur cette photo prise le 7 décembre à Notre Dame (source Fig Mag, photo Éric Tschaen) ? Est-ce ce personnage isolé à gauche, âgé, courbé, dubitatif, ou bien est-ce celui au premier plan, arrivé après tous les dignitaires du monde entier, qui a marché d’un pas assuré depuis le porche jusqu’au transept par le vaisseau central de la nef, puis, Auguste, maître de lui comme de l’univers, est passé devant les dignitaires subjugués assis au premier rang pour rejoindre sa place derrière eux, je vous le demande?

Go West ! (65)

(…) Et pourtant, c’est la vérité : à cet instant, je ne vois rien venir d’autre qu’un repas, quelques heures de sommeil et, au mieux, demain, un ride de quelques miles en direction de Las Vegas. Rendez-vous compte de mon état, aussi ! Je suis épuisé, assoiffé, affamé, blessé, crasseux, démoralisé et je ne vois dans Nancy que la délicatesse de ses soins et la presque promesse d’un gite et d’un couvert. En cet instant, Nancy n’est pas une femme ; c’est ma grande sœur, c’est ma mère. Alors, je l’écoute, confiant, rassuré.

Je l’ai écoutée, Nancy, j’ai fait tout ce qu’elle m’a dit et vingt minutes plus tard, j’étais allongé dans une baignoire pleine d’une eau mousseuse et chaude à souhait. Ma nuque était posée sur une serviette roulée et j’avais les yeux à demi fermés. Sur un panier à linge que Nancy avait tiré près de moi, ma main bandée frôlait un verre de vin. Par-dessus le son étouffé de la télévision, j’entendais le gargouillis du petit filet d’eau brulante qui coulait en continu du robinet entrouvert. Je sentais son courant plus chaud circuler autour de ma taille et de mes cuisses. Mon crâne transpirait abondamment et, par à-coups, des gouttes de sueur coulaient délicieusement entre mes cheveux jusque sur mon front, pour rouler le long des ailes de mon nez, sur mes lèvres, puis dans mon cou jusqu’à se diluer dans la mousse du bain.
En sortant, Nancy m’avait annoncé qu’elle allait Continuer la lecture de Go West ! (65)

Au théâtre, il faut transposer

Je commencerai ma conférence d’aujourd’hui avec une citation extraite des dialogues de  »Entrée des artistes » (1938 – Réalisation de Marc Allegret – Dialogues d’Henri Jeanson)
Dans ce beau film consacré à l’art du théâtre et à son enseignement, à une élève comédienne qui proteste parce qu’elle trouve mauvaise la pièce qu’on lui fait répéter, Louis Jouvet, le professeur, répond ceci : 

« (…) Interpréter une mauvaise scène est un excellent exercice. Cette pièce est écrite par un fabricant d’accessoires de cotillon. Joue-la dans le style, joue trompe-l’œil. D’ailleurs, au théâtre, il faut transposer. Le naturel doit être un naturel de théâtre. N’oublie pas qu’il y a une rampe, un souffleur, des herses et du public.
Il faut que le personnage que tu incarnes sente le théâtre, la toile peinte et le fard. Le spectateur paye pour avoir l’illusion qu’il est au théâtre. Si tu lui enlèves cette illusion, tu commets une erreur.(…) »

Voilà, avec ce « au théâtre, il faut transposer », Henri Jeanson Continuer la lecture de Au théâtre, il faut transposer

La belle écriture

Dans la seconde partie de son article du 16 décembre dernier, celui dont la première traitait de la photographie en noir et blanc et en couleur, Lorenzo abordait de façon critique — au sens neutre du terme, cette précision étant donnée pour éviter de froisser une éventuelle susceptibilité — le sujet de l’écriture et, plus précisément, la question du « bien écrit ». Cette partie de son texte commençait d’ailleurs par ces mots : « C’est bien écrit. » Les lignes qui suivaient montrait bien tout le mal que pense Lorenzo de cette expression, si courante dans les conversations entre amis, mais régulièrement absentes des débats littéraires. 

En répondant ici à l’article de Lorenzo, mon intention n’est pas de débattre du bon ou du mauvais usage de « C’est bien écrit », mais de poser quelques questions quitte à apporter quelque contradiction à la thèse selon laquelle « pour qu’un livre, roman ou essai, soit réussi, il faut d’abord et avant tout qu’il soit « bien écrit » ».

Et d’abord qu’est-ce que le « bien écrit » ?

On assimile souvent Continuer la lecture de La belle écriture

Il est encore temps

Il est encore temps de faire vos cadeaux de Noël. En voici sept, différents, originaux, économiques, rares, biodégradables, élégants, lisibles, recyclables, non expurgés, non remboursables et entièrement conçus en France. Pour les trouver, il vous suffira de cliquer sur la couverture et vous serez dirigés sur le site de vente. La suite est évidente. Le plus dur sera de faire le paquet.  

Blind dinner

Un « Blind dinner », c’est un dîner un peu particulier dans lequel les invités ne se connaissent pas. Dans les beaux quartiers, c’est très à la mode. Renée, la maitresse de maison, trouve cela très chic et parfois follement drôle.  Mais ce soir-là, quand on a commencé à parler d’un mystérieux virus venant de Chine, le diner a vite tourné au vinaigre.

 

LA MITRO
et autres drôles d’histoires Continuer la lecture de Il est encore temps

La photographie selon Calvin

Cet article du Journal de Lorenzo (suite) qu’il nous a proposé hier aborde en trois parties deux sujets distincts, tous deux relatifs à l’art. Le premier concerne la photographie et le second la littérature, deux domaines de l’art dans lesquels Lorenzo exerce ses talents, parfois ici même.

Aujourd’hui, mon commentaire ne traitera que de la première partie de l’article, celle qui abordait la question de la photographie en « noir et blanc » et en couleur et, qu’après une première lecture, j’avais trouvée passionnante. Historique et paradoxale, elle avait de quoi attirer l’esprit ignorant mais curieux qui est le mien.

Ainsi donc, selon Lorenzo, ce que personne ne soupçonne c’est le fait que le noir et blanc des photographies de l’ancien temps résulte d’une part, et c’est logique,  des limites de la technique de l’époque, mais aussi, et c’est là que ça devient intéressant, d’un « choix arbitraire entre plusieurs possibilités, une infinité même, de transformer les couleurs en noir et blanc »

Et là, comme le faisait si bien Desproges, je me dis « Étonnant, non ? » Et puis, soudain, comme aurait dit le même, « le doute m’habite ». L’auteur (Lorenzo) a-t-il voulu dire Continuer la lecture de La photographie selon Calvin

Journal de Lorenzo, suite

Mon dernier taureau n’est pas encore né (devise du toréador)
Quand on vieillit, la voiture ne sert plus qu’à aller chez le médecin et le petit déjeuner à avaler ses médicaments

Dire qu’il n’y a pas de « vrai » noir et blanc en photographie peut sembler provocateur de la part d’un photographe. Pourtant, c’est vrai. Nous avons grandi avec le noir et blanc qui était alors la seule expression possible en photo, voire au cinéma pour les plus anciens. Tous les grands photographes le sont devenus grâce à lui. Pour peu qu’on s’y intéresse, on est tous capables de juger la qualité technique d’une photo en noir et blanc sur ses caractéristiques comme le contraste, la profondeur des noirs, les nuances de gris allant du clair au sombre, etc … C’est parce que nous en avons vu des milliers que nous avons retenu inconsciemment ces critères de qualité qui nous permettent de les apprécier.

Ce qui est étrange, et que personne ne soupçonne, c’est que le noir et blanc Continuer la lecture de Journal de Lorenzo, suite

Go West ! (64)

(…)
— Écoute, tu as l’air mort de fatigue, tu es sale, tes vêtements sont couverts de poussière… on dirait un clochard. Personne ne te prendra jamais en stop dans cet état, et puis, tu te feras vite arrêter par les flics, même s’ils ne te recherchent pas particulièrement.

— Je sais, mais qu’est-ce que je peux y faire ?
Je lui ai dit ça dans un soupir en prenant mon air d’épagneul. Si elle pouvait m’abriter un peu, juste pour cette nuit par exemple…
Sans prendre le temps de réfléchir ni même faire semblant, comme si elle avait pris sa décision depuis longtemps, et tout en commençant à bander ma main, elle dit :
— Bon, écoute, Jay…

J’ai dit tout à l’heure que mes trois jours à Barstow étaient les plus étranges que j’ai jamais passés de toute ma vie. Mais, à la réflexion, « étranges » n’est peut-être pas le mot qui convient. Alors, comment qualifier ces trois jours ? De bizarres, d’insolites, d’extraordinaires, d’intenses, d’inhabituels ?
Inhabituels ? Certainement, parce qu’à l’époque, je n’avais jamais rien vécu de tel et que rien de tel ni même d’approchant ne m’est jamais arrivé depuis. Jours extraordinaires ? Dans le sens littéral, oui, hors de l’ordinaire, bien sûr, mais extravagants aussi, et surprenants, pas mal. Insolites ? Forcément, comme certaines découvertes peuvent l’être. Bizarres ? Je l’avoue, quelques fois. Encore aujourd’hui, il m’est impossible de qualifier ces jours d’un seul mot. Alors finalement, si « étrange » recouvre les mots que je viens de citer et si, à l’étrangeté, on ajoute une touche de joie et une nuance de plénitude, alors oui, les trois jours de Barstow ont été étranges.
Pour mieux comprendre ma surprise, il faut se rappeler qu’en cet été 62, je n’avais pas encore vingt ans et que mon expérience des femmes Continuer la lecture de Go West ! (64)