Dans la seconde partie de son article du 16 décembre dernier, celui dont la première traitait de la photographie en noir et blanc et en couleur, Lorenzo abordait de façon critique — au sens neutre du terme, cette précision étant donnée pour éviter de froisser une éventuelle susceptibilité — le sujet de l’écriture et, plus précisément, la question du « bien écrit ». Cette partie de son texte commençait d’ailleurs par ces mots : « C’est bien écrit. » Les lignes qui suivaient montrait bien tout le mal que pense Lorenzo de cette expression, si courante dans les conversations entre amis, mais régulièrement absentes des débats littéraires.
En répondant ici à l’article de Lorenzo, mon intention n’est pas de débattre du bon ou du mauvais usage de « C’est bien écrit », mais de poser quelques questions quitte à apporter quelque contradiction à la thèse selon laquelle « pour qu’un livre, roman ou essai, soit réussi, il faut d’abord et avant tout qu’il soit « bien écrit » ».
Et d’abord qu’est-ce que le « bien écrit » ?
On assimile souvent le « bien écrit » au « style soutenu« . Ce dernier implique l’utilisation d’un vocabulaire riche, de structures de phrases plus ou moins complexes, de figures de style élaborées, de modes et de temps de verbes normalement peu employés. Dire que le style soutenu est le beau style, le « bien écrit« , serait abusif, car combien d’âneries épiques, historiques ou sentimentales — et souvent le tout à la fois — remplies de clichés et de lourdes métaphores sont publiées chaque jour ? Chez Harlequin, par exemple, mais pas que…
Par ailleurs, et sans vouloir assimiler à une ânerie le prix Goncourt 2021 décerné à Mohamed Mbougar, qu’avons-nous eu récemment de plus pénible à lire que « La plus secrète mémoire des hommes » ? Pour ce qui est de la belle écriture, on était gâté, jusqu’à la nausée.
Le « bien écrit« , celui qui assure le succès commercial ou qui dénote la valeur de l’œuvre, ce n’est donc pas le style soutenu, pas nécessairement, en tout cas.
Mais alors, qu’est-ce ?
« En littérature (…) l’obligation est d’écrire aussi bien qu’hier. » Bien écrire, ce serait écrire comme hier. Bon, d’accord, mais quel hier ? Sans aller jusqu’à l’avant-hier, serait-ce le XXème ou le XIXème siècle ? Et dans l’hier choisi, quel auteur ? Zola ? Flaubert ? Proust ? Hemingway ? Céline ? Salinger ? Sagan ? Lequel de ces auteurs d’hier représente-t-il la belle écriture ?
Si j’ai choisi ces auteurs, c’est parce qu’en dehors de leur qualité d’écrivain majeur et du succès public qu’ils ont connu, ils ont au moins deux points en commun :
— leurs écritures, c’est à dire leurs styles, sont aujourd’hui reconnus et appréciés
— leurs styles, innovants à l’époque de leurs débuts, ont été abondamment critiqués (ils le sont parfois encore), certains considérant que leurs livres n’étaient pas « bien écrits ».
Un style innovant n’est donc pas la garantie de l’échec littéraire (pas plus qu’il n’est la garantie du succès ; un style classique non plus.)
La réussite littéraire commerciale a certainement ses recettes, mais je ne les connais pas, la preuve ! La réussite littéraire qualitative n’a sûrement pas de recette, ça se saurait ! La réussite simultanément commerciale et littéraire reste mystérieuse.
Pour en terminer avec cette affirmation, peut-être hâtive, selon laquelle « pour qu’un livre soit bien reçu, il faut qu’il soit « bien écrit« , je dirai que dire d’un livre qu’il est « bien écrit« , c’est, pour moi, aussi flatteur que dire de quelqu’un qu’il a une « jolie cravate« .
Je ne suis pas susceptible, je ne supporte pas qu’on me contredise !
Moi qui n’a même pas la prétention de bien écrire je suis parfaitement d’accord avec ce qui est écrit au-dessus avec ce style soutenu que nous connaissons bien. Personnellement toutefois, en toute fin du texte, j’aurai écrit que c’est dire de quelqu’un qu’il est « bien habillé », c’est flatteur mais sans originalité, un e apparence en conformité avec les bons usages du moment. C’est l’épreuve du temps qui fait le tri entre les grands écrivains d’après leur style et les autres qui n’ont eu que des succès éphémères. On retrouve cette distinction dans le domaine de la peinture.