Archives par mot-clé : Philippe

Go West ! (87)

(…)
— Alors, qu’est-ce qu’on fait ? On ne va pas se recoucher quand, même ?
— Si tu veux, on peut…
Elle avait repris son ton neutre habituel et je n’arrivais pas à savoir ce qu’elle avait vraiment voulu exprimer. Était-ce l’enthousiasme : « Oh oui, Phil, s’il-te-plait, retournons dans la chambre » ? Ou bien une simple constatation objective des possibilités : « Parmi les choses que nous pouvons faire ce matin, nous recoucher est un choix parmi d’autres » ? Ou encore la résignation : « Moi, j’aimerais mieux pas, mais si ça te fait vraiment plaisir… » ?

Compte tenu de son attitude de tout à l’heure, je penchai plutôt pour la troisième version. Et puis, comme je venais de décider de m’intéresser davantage à elle, je changeai de sujet :
— Mais, dis-moi, tu ne dois pas sortir ? On est lundi aujourd’hui, non ? Tu ne travailles pas
— J’ai un petit boulot, mais seulement un jour sur deux et jamais le lundi.
— Ah bon ? Mais ça m’intéresse. Qu’est-ce que tu fais comme travail ?
Elle m’expliqua qu’elle était guide à Calico, une ville fantôme qui avait poussé au siècle dernier à une dizaine Continuer la lecture de Go West ! (87)

Sur la Place de l’Odéon

Sur la Place de l’Odéon, le théâtre est classé.

Sur la Place de l’Odéon, les immeubles portent les numéros 1, 3, 5 et 7 d’un côté, et 2,4, 6 et 8 de l’autre. Ils sont tous classés.

Sur la Place de l’Odéon, même le sol est classé.

Sur la Place de l’Odéon, il y a

le restaurant La Méditerranée que fréquentèrent Aragon, Ionesco, Cocteau, Welles…

Sur la Place de l’Odéon, se trouvait la maison de Lucile et Camille Desmoulins.

Sur la Place de l’Odéon, se trouvait le Café Voltaire, qui fut fréquenté par Delacroix, Balzac, Hugo, Gambetta, Vallès, Verlaine, Gide, France, Mallarmé… On y trouve aujourd’hui les bureaux de l’éditeur Flammarion

Sur la Place de l’Odéon, il y a Le Dilettante, une chouette libraire de livres d’occasion

Sur la Place de l’Odéon, on procède en ce moment au ravalement de l’immeuble qui porte le numéro 2.

On a placé sur ses façades ces grandes bâches blanches Continuer la lecture de Sur la Place de l’Odéon

5 mai 1945, la prise du Nid d’Aigle

Hitler s’est suicidé le 30 avril. Pourtant, en ce début du mois de mai 1945, la guerre continue. Le 4, une colonne de blindés US et la 2ème D.B. de Leclerc investissent Berchtesgaden où se trouve la résidence privée du Führer. Le lendemain, en fin d’après-midi, c’est un commando français qui le premier prend possession du Nid d’Aigle, sorte de refuge de luxe qui surplombe Berchtesgaden à 1700 mètres d’altitude. Il y a donc 80 ans aujourd’hui, le drapeau français était planté sur le point culminant de l’Allemagne nazi. 

Ce qui s’est réellement passé Continuer la lecture de 5 mai 1945, la prise du Nid d’Aigle

Go West ! (86)

(…) Il fallait encore que Mansi soit d’accord et il n’était pas question que je le lui demande. « Euh, dis-moi, Mansi… Ça ne t’ennuierait pas que je reste encore un petit mois chez toi ? » Non, je ne me voyais pas dire ça. Il fallait que ce soit elle qui demande. Ça, évidemment, ce serait l’idéal : « Tu sais, Phil, j’aimerais que tu restes encore… » Non, le mieux, ce serait un non-dit, une prolongation de la situation, jour après jour, sans demande, sans parole que je puisse regretter plus tard, sans engagement, une reconduction tacite en quelque sorte. Ensuite, on verrait bien…

Pour arriver à mes fins, je me disais qu’il me faudrait entourer Mansi d’affection, de tendresse, d’attentions. Il faudrait que je sois drôle, que je m’intéresse à elle, à son passé, à ses goûts, en un mot, que je me rende de plus en plus aimable. Retombant dans mon travers habituel, j’étais sur le point  d’endosser une fois de plus les habits d’un personnage stéréotypé, et ce personnage, cette fois-ci, c’était Don Juan. Comme extérieur à moi-même, je pouvais m’observer en train d’élaborer ma tactique de séducteur cynique pour parvenir à profiter des bons sentiments d’une femme et de son hospitalité.
Me rendre aimable ? Je m’en sentais capable. Mais aimable à quel point ? Jusqu’où fallait-il aller ? Jusqu’à ce qu’elle Continuer la lecture de Go West ! (86)

Ricardo et la pastèque géante

Passé inaperçu à sa première diffusion il y a cinq ans, ce texte ne le méritait pas. Peut-être…

Préface de l’auteur : J’ai beau me creuser la cervelle, je n’arrive pas à me rappeler ce qui a bien pu m’inspirer pour écrire un truc pareil.
L’absolue nécessité de pondre quelque chose pour remplir un trou du planning ?
Un vague souvenir de mes lectures des œuvres de Frederic Brown ?
Le temps orageux, l’approche de l’hiver, l’odeur entêtante de la pastèque le soir au fond des bois ?
Impossible de m’en souvenir.
Tout ce que je sais, c’est qu’avant d’écrire la première ligne, j’avais déjà trouvé le titre : « Ricardo ».
Ce n’est qu’après avoir écrit le mot FIN que j’ai ajouté la pastèque.

Intéressant, non ? 

*

C’est en rentrant de l’école à travers le désert du Serpente Azul que Ricardo rencontra la créature. Quatre miles et demi de cailloux, de buissons épineux, de sable et de cactus, c’est ce que traversait Ricardo tous les matins, tous les soirs, une heure et demie de marche sous le soleil impitoyable de la fin du printemps, dans le vent brulant de l’automne ou dans le froid sec de l’hiver. Et justement, là, c’était l’hiver.

Il n’avait pas fait aussi froid depuis 1956, cette fameuse année où même le lac salé de Guatalpa avait gelé et où la mère de Ricardo avait mis bas une paire de jumeaux pour la troisième fois. Le jeune garçon allait franchir l’étroit canyon que le Rio del Cabo-Cabo avait creusé en quelques centaines de millénaires et qui marquait le milieu de son parcours, quand il vit à une vingtaine de pas sur sa gauche une chose qui reposait Continuer la lecture de Ricardo et la pastèque géante

Go West ! (85)

(…) Quand les roseaux divulguèrent à tout vent le secret du roi Midas, Mansi éclata de rire. Elle se pencha vers moi à travers le lit pour m’embrasser sur la joue. J’étais content de la voir gaie à nouveau. J’en étais tout attendri.
Nous étions en train de devenir vraiment intimes, tellement intimes que nous nous sommes endormis, chastement, dans les bras l’un de l’autre.

J’ouvre les yeux et regarde autour de moi. Mansi dort encore. Elle a dû se lever dans la nuit car la baie vitrée de la chambre est à moitié ouverte ; le rideau aussi. La lumière et la fraîcheur du petit jour entrent dans la pièce. Mansi est étendue sur le ventre ; ses deux avant-bras sont repliés sous sa tête qui est tournée vers l’autre côté ; ses cheveux bruns épars me cachent son visage ; ils tranchent sur la blancheur du drap. Avec précaution, je me redresse sur un coude pour mieux la regarder. Sur sa peau mate et brune, entre ses omoplates, sa tache de naissance apparaît dans une nuance de brun à peine plus foncée ; de mémoire, j’essaie d’y placer Sidney et Melbourne, puis mon regard quitte l’Océan Pacifique pour descendre plein sud le long des courbes de son corps jusqu’à sa taille où apparaît le tropique de la bordure du drap. Entre le pouce et l’index, je soulève délicatement la toile et la fait glisser jusqu’à ses chevilles. Mansi n’a pas bougé ; c’est à peine Continuer la lecture de Go West ! (85)

ANTIOCHOS EST INQUIET (Extrait)

Antiochos le troisième, dit le Grand, dit le Magnanime, Mégas Basileus, Roi de Pergame, Souverain de la Grande Syrie, Suzerain de toutes les tribus qui voyagent sous son Auguste Protection entre les rives de la mer infinie du Couchant et les sommets enneigés du Levant, Sublime Inspirateur des Arts et des Sciences, Général infaillible des armées innombrables, Antiochos est inquiet.

Antiochos est inquiet parce que le Sage est mort. Celui qui annonçait les éclipses de lune et de soleil est mort, brusquement, sans laisser de testament, sans laisser de prophétie. Alors Continuer la lecture de ANTIOCHOS EST INQUIET (Extrait)

Go West ! (83)

(…) Telle est la légende de Sikyangpu et de la fleur nommée Mansi. »
Je dis à Mansi que son histoire était très belle et qu’il faudrait qu’un jour elle me montre une de ces fleurs.
— On n’en trouve plus par ici. Elles ont complètement disparu depuis la grande sécheresse.
Je venais de me rendre compte qu’à mon tour j’avais dit « un jour » et que j’étais en train d’inscrire notre histoire dans la durée. Était-ce vraiment ce que je voulais ? Il faudrait que je fasse plus attention, très attention.
Après un moment de silence, Mansi finit d’un trait son verre de vin et puis, comme si c’était la conclusion d’une longue réflexion, elle reprit son ton neutre habituel pour constater :
— La seule qui reste, c’est moi. Je suis probablement la dernière Mansi sur terre.
— Oui, mais toi, au moins, tu ne risques pas de mourir de soif !

Je réalisai tout de suite que ma remarque était idiote et je la regrettai aussitôt. Pauvre répartie qui se voulait spirituelle, remarque totalement inadaptée à l’instant spécial que nous venions de vivre, elle était le produit d’un automatisme qui nous habitait tous, je veux dire mes amis et moi, étudiants arrogants et, en apparence, sûrs d’eux-mêmes, et qui nous poussait à vouloir être drôles à tout prix et à tout instant. C’était la règle parmi nous. Il fallait être spirituel, ironique, mordant, quitte à faire mal et, si possible, il fallait avoir le dernier mot.

Mais Mansi ne rit pas Continuer la lecture de Go West ! (83)

Première rencontre (3/3)

(…)J’avais récupéré mon chien et les veaux étaient saufs, fugitifs, mais saufs. C’était déjà ça… Pourtant une tâche délicate restait à accomplir : affronter le propriétaire des bestiaux.

3ème partie – Première rencontre

Perturbé, je rentre à grand pas vers la maison en tournant dans ma tête le discours que je devrai bientôt tenir à l’heureux propriétaire des veaux pour lui annoncer que trois de ses bêtes étaient en train de piétiner son blé à moins qu’elles ne soient déjà sur la route de Montmirail. « Eh bien, cher monsieur, voyez-vous, je me promenais avec mon chien du côté de … ». Quel peut bien être le nom de cette fichue pâture ? À la campagne, tout le monde sait ça, le moindre pré, le plus petit bois possède un nom : le champ de la Bouchure, le bois aux Cottards, le pré du Verdurin… est-ce que je sais moi ?  Bon, mais de toute façon, il faut d’abord savoir qui c’est, ce propriétaire et pour ça, je compte bien sur mon voisin de hameau. Coup de chance, quand j’arrive tout énervé devant chez moi, il est en train de monter dans sa voiture. Je me précipite vers lui. Continuer la lecture de Première rencontre (3/3)

Première rencontre (2/3)

(…) Tout le monde était figé : moi qui fixais le chien, le chien qui fixait les veaux, et les veaux qui fixaient le chien (sauf 2355 qui regardait en l’air). Nous étions presque dans une situation de gunfight mexicain, et j’avais dans les oreilles l’angoissante musique de Sergio Leone qui accompagne en général de genre de suspens.

« Oh, et puis, crotte ! J’y vais, décida Ena »

2ème partie – Taïaut ! Taïaut !

D’un seul coup, Ena qui n’y tenait plus lâcha la bride à son instinct immémorial. Adoptant la position surbaissée, elle fonça vers le groupe en aboyant. Quand des veaux fuient devant un ennemi inférieur en nombre mais supérieur en agressivité, on ne sait pas si c’est le résultat d’une tactique délibérée ou d’un individualisme dont ils ne font preuve que dans de rares occasions, toujours est-il qu’ils partent dans toutes les directions.

« Mon Dieu, faites que ce monstre suive 3549 et pas moi, espérait 007 en prenant un large virage sur la gauche » « Il y a pourtant un arrêté qui impose la tenue des chiens en laisse sur le territoire de la commune ! protestait 2001 que ses amis, on ne sait pourquoi avait surnommé Odyssée de l’espèce. » « Je suis meilleur à la course que 2355 ! Je vais m’en sortir, pensait 2354 en fonçant tête baissée vers le Sud tandis que 2355 et 3549 décidaient finalement de faire la même chose »

Pendant que le début de ce drame se déroulait, je criais sans cesse ni véritable espoir : « Ena ! Ici, tout de suite ! Veux-tu venir ici ! Tout de suite ! Ena ! Derrière, derrière !» mais rien n’y faisait. Continuer la lecture de Première rencontre (2/3)