Archives par mot-clé : Philippe

Go West ! (49)

(…) Du moment que ça m’éloigne de L.A., tout me va. Il n’y a pas de banquette arrière. Je jette mon sac sur le plateau et je grimpe à bord. Du côté gauche, calé contre la cabine, il y a un gigantesque réfrigérateur aux formes arrondies ; à côté du réfrigérateur, une grand fauteuil-club usé avec dedans un mexicain endormi. Le reste du plateau est encombré de chaises empilées, de tables renversées, de valises de cartons et de caisses. On est dimanche : ces gars-là doivent être des cambrioleurs ; ou alors, ils déménagent un copain. Ça redémarre brusquement. Je chancelle et m’affale sur le fauteuil-club.  Le dormeur se réveille, me regarde sans surprise et se rendort aussitôt. Je m’assieds sur une valise. Un quart d’heure plus tard, le pick-up me dépose une centaine de mètres avant la sortie pour Santa Clarita.

Il est 4 heures de l’après-midi. Hier soir, Marylin Monroe est morte à Brentwood, chez elle, et moi je suis à une centaine de miles de là, dans un diner au bord de l’US 5, un peu au sud de Bakersfield. En face de moi, il y a Tom, Tom Dooley.

Il ne s’est pas passé beaucoup de temps entre le moment où je suis descendu du pick-up des Mexicains déménageurs et celui où la voiture de Tom s’est arrêtée à ma hauteur. Vingt minutes, une demi-heure, pas davantage… Mais quand je me suis retrouvé en pleine chaleur, tout seul sur le bord de la route, à me faire secouer par les bourrasques de poussière soulevées par les camions hurlants qui me frôlaient, ça m’a laissé tout le temps pour repenser à ma situation. Elle n’était pas brillante : sans argent et probablement recherché par le LAPD, le FBI ou la CIA, ou par les trois à la fois, je risquais la prison ou pire. Pour moi, il ne suffisait plus de me débarrasser du Continuer la lecture de Go West ! (49)

Go West ! (48 bis)

FIN DE L’ENTR’ACTE

C’est au nord de Los Angeles que, le 5 juin dernier, nous avons laissé notre jeune héros au bord de l’US 5. Pour nous, c’était le 5 juin 2024, mais pour lui, c’était 22.585 jours plus tôt, le 5 août 1962. Entre son arrivée aux États Unis et le moment où nous le retrouvons, il s’est écoulé tout un mois, ou seulement un mois, comme vous voudrez, au cours duquel il a vécu quelques aventures anodines, quelques péripéties sans réelle gravité, jusqu’à cette nuit fatidique du 4 aout dans ce quartier chic de L.A., Brentwood. Si vous souhaitez revivre tout ce qui lui est arrivé, vous pouvez revenir sur les 48 épisodes qui ont précédé cette reprise de la publication de Go West ! Mais si vous ne souhaitez pas subir à nouveau cette épreuve ou que vous vous souvenez très bien de ce qui s’est passé, à partir du 1er octobre, vous allez pouvoir vivre de nouvelles aventures dont l’auteur, et il n’est probablement pas le seul, espère qu’elles auront une fin.
Pour vous remettre un peu dans le bain, je vous propose quand même de relire la fin de l’épisode 48 sur lequel l’histoire s’était arrêtée. 

(…) Après une aussi longue digression mâtinée d’allers et de retours dans le temps, je réalise que le lecteur est peut-être perdu dans la chronologie. Donc, avant de reprendre le récit, il ne me parait pas inutile de rappeler, sans trop entrer dans les détails cependant, où je l’avais laissé et même un peu avant. Voilà :
Dans la nuit du 4 aout 1962, j’avais été embarqué dans sa voiture par un flic qui me soupçonnait, à tort, de trafic de drogue et de corruption de policier. Appelé par radio, il avait dû se rendre d’urgence sur les lieux d’un suicide. Tandis que j’attendais sagement dans la voiture, j’avais vu l’acteur Peter Lawford cacher quelque chose sous sa Rolls Royce, quelque chose qu’il ne voulait pas remettre au policier. Ce quelque chose, c’était un magnétophone de poche. Pris par un de mes fantasmes habituels, j’avais commis cette folie de Continuer la lecture de Go West ! (48 bis)

Go west ! Le come back !

Alors, voilà ! L’été, c’est fini ! C’est déjà l’automne et il faut retourner au boulot, retourner au jardin, au bistrot et autres lieux propices à la création. Il faut s’y remettre.

Et c’est là le problème. Depuis la mi-novembre de l’année dernière, j’avais entrepris de développer régulièrement l’autofiction de mon été 1962. Après avoir collé de près à la réalité pendant de nombreux épisodes, le récit Continuer la lecture de Go west ! Le come back !

LES DISPARUS DE LA RUE DE RENNES (Extrait)

Il est important de reconnaître les limites de notre capacité
à prouver l’absence de quelque chose
et d’adopter une approche humble
face à l’inconnu.
Isaac Asimov 

La question de prouver l’inexistence de
quelque chose soulève souvent
des défis logiques
et conceptuels.
Karl Popper

Il n’y a plus d’après
à Saint-Germain des Prés
Guy Béart

*

Les lignes que vous venez de lire figurent en exergue du roman politico-fantastique « Les Disparus de la rue de Rennes« , en vente sur Amazon.fr. Vous pouvez, Continuer la lecture de LES DISPARUS DE LA RUE DE RENNES (Extrait)

À Illiers-Combray

C’est en revenant de vacances que nous nous sommes arrêtés à Illiers-Combray. 

Illiers-Combray — « Illiers » tout court  jusqu’en 1971, année du centenaire de la naissance de Marcel Proust où le conseil municipal vota l’augmentation du nom du village — se situe à quelques kilomètres au sud-ouest de Chartres au bord de l’autoroute Océane et jouit depuis quelques années d’un bel échangeur à son nom, avec péage, parking et tout. 

Depuis longtemps, ou plutôt, depuis le temps où je suis tombé dans la Recherche du Temps Perdu, peut-être une petite quinzaine d’années — je sais, c’est tardif, mais on ne peut pas être précoce en tout — depuis ce temps donc, j’avais le vague désir de m’arrêter un jour à Illiers-Combray, ou même de m’y rendre spécialement en un aller-retour spécifique. Mais ce désir était toujours contrarié par le manque de temps, le manque de volonté, et surtout par cette tendance presque irrésistible que l’homme a — et la femme, oui, oui, et la femme — que l’homme et la femme ont de céder à la procrastination, tendance qui nuit grandement à l’accomplissement de l’individu mais qui offre l’immense avantage de lui conserver l’illusion que rien ne sera jamais fini.
Or, par ce milieu de matinée Continuer la lecture de À Illiers-Combray

Trou de mémoire (4)

(…) Sur le piano, trônaient quelques photographies enserrées dans des cadres d’argent ou de bois verni. Elles ressemblaient à toutes les photos de famille que l’on voit exposées sur tous les pianos de toutes les maisons bourgeoises, tant cette classe sociale est respectueuse de son uniformité : groupe posant fièrement devant une automobile sur fond de pont du Gard, le même groupe figé devant la façade du Grand Hôtel de Cabourg, enfant à l’aspect fragile et romantique en costume fantaisiste de marin… Sur le lutrin, se déployait une partition musicale : « Sonate pour piano et violon – M. Vinteuil »

« Tiens, Vinteuil ! me dis-je. Comme dans l’église… »

4 . Songeur, je repris à pas feutrés ma prudente visite. Au fond du vestibule, sous le tournant de l’escalier, il y avait une porte recouverte du même papier décoratif que les murs. Je la franchis. C’était la cuisine.

« S’il vous plait ?  Il y a quelqu’un ? »

La pièce était vide, elle aussi. Pourtant, posée sur la Godin rougeoyante, une casserole dont le couvercle se soulevait par intermittence lâchait de ces bruits mouillés qui font penser au bavardage incessant d’une vieille domestique à râtelier.

Je revins au vestibule et, planté au pied de l’escalier, je tentai à nouveau de manifester ma présence. Je toussai, d’abord discrètement puis avec affectation, je frappai du pommeau de ma canne Continuer la lecture de Trou de mémoire (4)

Trou de mémoire (3)

(…) Ce n’est pas très aimable pour moi, ce que vous dites, mais je vous pardonne, mon petit, car je vois bien que vous êtes énervé. Bien que cela ne soit pas très convenable pour une jeune fille, je vais donc me rendre seule sur la place de l’Église, puisque vous m’y engagez. Je tacherai de vous en rapporter quelque chose de bon qui puisse vous rendre plus gentil. » Et elle s’éloigna de l’encadrement de la fenêtre.

Albertine disparue, à la recherche de nourriture, Alfred accroupi derrière la voiture, occupé à ses tâches mécaniques, tout autour, à l’heure où les villageois se retrouvent assemblés autour de la table familiale, ce n’était que silence. Je m’endormis.

3 . Lorsque je me réveillai, maussade et nauséeux, Alfred était à ma fenêtre.

« Monsieur, disait-il, Monsieur. J’ai pu déposer la fusée. Elle est effectivement bien cassée. Il devait y avoir une paille dans l’acier. »

Je n’eus pas le temps de demander pas comment des ingénieurs sérieux comme étaient supposés l’être Messieurs Turcat et Méry pouvaient avoir oublié un bout de paille dans l’acier car Alfred poursuivait :

« Tout à l’heure, pendant que vous vous reposiez, un villageois m’a indiqué qu’à Méséglise, un petit bourg à trois kilomètres d’ici, il y a une fabrique de matériel agricole. Elle aurait un atelier bien équipé qui devrait pouvoir réparer notre fusée. Le problème, c’est que tout bien pesé, avec l’aller, le retour, la soudure, le refroidissement et le remontage de la pièce, ça prendra bien trois ou quatre heures. Je n’aime pas trop vous laisser seuls ici pendant tout ce temps, mais le moyen de faire autrement ?

— Allez, Alfred, allez ! lui répondis-je faiblement. Faites ce qui est nécessaire. L’inconfort de la voiture n’est pas si grand que je ne puisse y rester quelques heures. Et puis ne dit-on pas ‘’À la guerre comme à la guerre !’’ ? »

Alfred disparu à son tour, Albertine, que ma sortie Continuer la lecture de Trou de mémoire (3)

Trou de mémoire (2)

(…) Ces noms, Vinteuil, Gilbert le Mauvais, Geneviève de Brabant, où les avais-je déjà entendus ? Pourquoi me paraissaient-ils familiers ? À nouveau, je fis appel à mon esprit, mais cet effort m’épuisait et je sentais venir l’un de ces étouffements dont je suis si familier. J’abandonnai ma recherche et décidai que j’étais victime de l’une de ces impressions de déjà-vu, dont on sait depuis Henri Bergson qu’elles ne sont que des illusions. Je me reposai un moment et, le calme étant revenu dans mes poumons, je rejoignis Albertine qui, toujours agenouillée, profitait à présent de la lumière de son cierge faussement votif pour se refaire une beauté à l’aide de la petite trousse de voyage que je lui avais fait livrer de chez Cartier.

2 . Alfred nous attendait à la sortie de l’église. Il avait conduit la voiture jusqu’au pied des marches du portail. Le moteur tournait. Il me dit : « Monsieur, je me suis renseigné. Comme je le craignais, il n’y a rien ici de convenable où vous puissiez y prendre un repas. Chartres n’est qu’à une trentaine de kilomètres. Si nous partions immédiatement, nous pourrions y être encore à temps pour déjeuner au Café Serpente.» Au ton plutôt pressant qu’il avait utilisé et dont il tenta d’atténuer l’insolence par un « …si cela convient à Monsieur, bien sûr…» plus conforme à nos positions sociales respectives, je devinais que déjeuner dans ce restaurant réputé était pour l’immédiat son souhait le plus cher, car on sait que dans ce genre d’établissement, les chauffeurs, s’ils mangent à l’office, sont aussi bien nourris que leurs maitres.

Je donnai mon accord pour le Café Serpente à la grande joie d’Albertine qui se mit à battre des mains tandis qu’Alfred, qui dissimulait mal sa satisfaction, engageait habilement la Turcat-Méry dans l’une des deux étroites rues qui sortaient de la place de l’Église.

C’est alors que se produisit l’un de ces banals incidents dont, lorsqu’ils surviennent, on ignore l’importance, mais Continuer la lecture de Trou de mémoire (2)