L’Énéïde

Cette Critique aisée porte le numéro 23. Elle a déjà été diffusée en juin 2014.

À Hubert

Cet énorme poème peut être tout aussi connu que l’Odyssée, mais il est certainement moins lu. (En matière de littérature, la renommée et la quantité de lecteurs sont deux choses très différentes) Quand j’ai lu l’Iliade puis l’Odyssée un peu avant trente ans, ce fut un grand choc et un grand plaisir, renouvelé depuis à différents âges.
Aborder Virgile me faisait peur, probablement à cause du qualificatif de poète qui s’attache à lui, et ce n’est que quarante ans après l’Iliade que, grâce à un ami, Hubert, j’ai ouvert l’Enéide. Nouveau choc, nouveau plaisir, à renouveler. L’Enéide est un magnifique et violent roman d’aventures, un tragique roman d’amour, un conte où se mêlent histoire antique et mythologie. Passionnant.
Evidemment, il faut se faire au style. On n’est pas chez Marc Lévy ou Guillaume Musso. A titre d’exemple, voici un court extrait du Chant VI dans lequel Enée, vivant, et son père, mort, se rencontrent aux Enfers.

Enée échappe à la mort et au sac de Troie en fuyant la ville en flammes. Il finira par s’installer dans le Latium, non loin de la future Rome, après sept années d’aventures en Méditerranée. Le père d’Enée, Anchise, meurt en Sicile au cours du voyage. Quelques temps plus tard, Enée doit descendre aux enfers. Son père l’aperçoit :

Dès qu’il vit Enée marchant à lui à travers les herbes, joyeux, il tendit les deux mains, des larmes se répandirent sur ses joues, ceci sortit de sa bouche: 
 » Tu es enfin venu et, comme l’attendait ton père, ta piété a triomphé de l’autre route. Il m’est donné de voir ton visage, mon fils, d’entendre de toi, de t’adresser nos paroles familières. Oui, je pensais dans mon cœur, je comptais qu’il en serait ainsi; je calculais les jours et mon désir ne m’a point trompé.
Que de terre et quelles mers parcourues avant que je te retrouve. Que de périls mon fils, pour t’éprouver ! Comme j’ai eu peur que les royaumes de Lybie ne te fissent du mal ! »

Et lui: « Père, c’est ton image, oui ton image affligée, paraissant si souvent devant moi, qui m’a fait tendre vers ce seuil ; les vaisseaux sont à l’ancre dans les eaux tyrrhéniennes. Permets-moi de prendre ta main…… »

Ça change, non ?

Et ça, c’est pas beau, ça ?

Les Gaulois étaient là, dans les broussailles, maîtres de la citadelle, protégés par les ténèbres, cadeau de la nuit opaque.
Leurs cheveux ont la couleur de l’or ; leurs vêtements dorés aussi.
Eclatants dans leurs sayons rayés, ils entourent d’or leur cou blanc comme le lait ; chacun a en main comme un éclair deux javelots alpins et se couvre de son long bouclier.

Quand on aborde l’Enéide, on est d’abord surpris par le style. Il arrive même qu’on en soit rebuté. Mais si on persiste un peu dans la lecture, on est rapidement saisi par les apostrophes héroïques, les descriptions épiques, la langue magnifique.
Aborder Homère fait ressentir à peu près les mêmes symptômes.

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