Archives par mot-clé : Rediffusion

Floue

par MarieClaire (Première diffusion le 26/10/2017)

La seule chose que j’apprécie vraiment c’est le flou. Le flou des choses, le flou des gens. C’est un état confortable que je connais bien, je suis moi-même quelqu’un de flou.

Tout d’abord il y a mon physique. On ne peut donner de moi une description très précise : ni grande ni petite, ni grosse ni maigre, ni brune ni vraiment blonde… Je m’habille de vêtements larges, presque informes, indéfinissables, rien de compromettant.

Ma pensée elle aussi est floue. Je n’ai pas d’avis tranchés, je ne prends aucune décision, j’attends que les autres le fassent pour moi. Nul ne peut se flatter de connaître mes opinions politiques, d’ailleurs je n’en ai pas, je ne vote évidemment pas.

Je n’ai jamais pu dire oui à un homme, je n’en ai gardé aucun. Bien entendu, je n’ai pu envisager d’avoir un enfant. Je suis seule.

Je flotte, je suis une non-personne. Je ne suis capable Continuer la lecture de Floue

Breaking news

Il y a dans la Recherche du Temps Perdu un personnage, Monsieur de Norpois, qui sait tout, selon lui, des usages et du parler diplomatiques. Pour lui, la diplomatie consiste essentiellement à « préparer l’opinion », et c’est ainsi que :

« (…), à la veille de la déclaration de guerre, en 1870, quand la mobilisation était presque achevée, M. de Norpois (restant dans l’ombre naturellement) avait cru devoir envoyer à ce journal fameux, l’éditorial suivant :
« L’opinion semble prévaloir dans les cercles autorisés que, depuis hier, dans le milieu de l’après-midi, la situation, sans avoir, bien entendu, un caractère alarmant, pourrait être envisagée comme sérieuse et même, par certains côtés, comme susceptible d’être considérée comme critique. M. le marquis de Norpois aurait eu plusieurs entretiens avec le ministre de Prusse afin d’examiner dans un esprit de fermeté et de conciliation, et d’une façon tout à fait concrète, les différents motifs de friction existants, si l’on peut parler ainsi. La nouvelle n’a malheureusement pas Continuer la lecture de Breaking news

Première rencontre (3/3)

(…)J’avais récupéré mon chien et les veaux étaient saufs, fugitifs, mais saufs. C’était déjà ça… Pourtant une tâche délicate restait à accomplir : affronter le propriétaire des bestiaux.

3ème partie – Première rencontre

Perturbé, je rentre à grand pas vers la maison en tournant dans ma tête le discours que je devrai bientôt tenir à l’heureux propriétaire des veaux pour lui annoncer que trois de ses bêtes étaient en train de piétiner son blé à moins qu’elles ne soient déjà sur la route de Montmirail. « Eh bien, cher monsieur, voyez-vous, je me promenais avec mon chien du côté de … ». Quel peut bien être le nom de cette fichue pâture ? À la campagne, tout le monde sait ça, le moindre pré, le plus petit bois possède un nom : le champ de la Bouchure, le bois aux Cottards, le pré du Verdurin… est-ce que je sais moi ?  Bon, mais de toute façon, il faut d’abord savoir qui c’est, ce propriétaire et pour ça, je compte bien sur mon voisin de hameau. Coup de chance, quand j’arrive tout énervé devant chez moi, il est en train de monter dans sa voiture. Je me précipite vers lui.

— Salut François, ça va ? Dis-donc, ils sont à qui les veaux dans le pré, là-haut derrière chez M… ?

— Bonjour Philippe, oui ça va, merci. Les veaux ? Où ça ?

— Là-haut, derrière chez M…, juste avant de traverser le petit ru… Là-haut, quoi !

— Ah ! Là-haut ! Ceux-là, je crois bien qu’ils sont à Roger.

— Roger ?

— Roger A…, tu sais bien ! La ferme de Montapeine, sur la route de Pertibout. Qu’est-ce qui se passe ?

— Ben, il y en a trois qui ont fichu le camp. Ils ont sauté Continuer la lecture de Première rencontre (3/3)

Première rencontre (2/3)

(…) Tout le monde était figé : moi qui fixais le chien, le chien qui fixait les veaux, et les veaux qui fixaient le chien (sauf 2355 qui regardait en l’air). Nous étions presque dans une situation de gunfight mexicain, et j’avais dans les oreilles l’angoissante musique de Sergio Leone qui accompagne en général de genre de suspens.

« Oh, et puis, crotte ! J’y vais, décida Ena »

2ème partie – Taïaut ! Taïaut !

D’un seul coup, Ena qui n’y tenait plus lâcha la bride à son instinct immémorial. Adoptant la position surbaissée, elle fonça vers le groupe en aboyant. Quand des veaux fuient devant un ennemi inférieur en nombre mais supérieur en agressivité, on ne sait pas si c’est le résultat d’une tactique délibérée ou d’un individualisme dont ils ne font preuve que dans de rares occasions, toujours est-il qu’ils partent dans toutes les directions.

« Mon Dieu, faites que ce monstre suive 3549 et pas moi, espérait 007 en prenant un large virage sur la gauche » « Il y a pourtant un arrêté qui impose la tenue des chiens en laisse sur le territoire de la commune ! protestait 2001 que ses amis, on ne sait pourquoi avait surnommé Odyssée de l’espèce. » « Je suis meilleur à la course que 2355 ! Je vais m’en sortir, pensait 2354 en fonçant tête baissée vers le Sud tandis que 2355 et 3549 décidaient finalement de faire la même chose »

Pendant que le début de ce drame se déroulait, je criais sans cesse ni véritable espoir : « Ena ! Ici, tout de suite ! Veux-tu venir ici ! Tout de suite ! Ena ! Derrière, derrière !» mais rien n’y faisait. Continuer la lecture de Première rencontre (2/3)

Première rencontre (1/3)

Première diffusion au temps du COVID (29/04/2020)

1ère partie – Promenade avec mon chien

C’était un Dimanche, certainement. Probablement le matin. Ça devait être début Juin. Dans les champs, les blés étaient hauts et, dans les prés, les veaux avaient grandi. François Mitterrand achevait son premier septennat dans le confort de la cohabitation, la négation de son cancer et la dissimulation de sa fille naturelle, et je conduisais une Audi 100 break.

À cette époque, j’avais aussi une chienne, Ena, labrador jaune. Elle va jouer un rôle majeur dans la découverte du monde agricole que j’étais sur le point de faire. Plus tard, nos longues balades à deux  sur les chemins de Champ de Faye et sur les plages du Cap-Ferret finiront par l’assagir, mais ce jour-là son tempérament était encore vif et ses réactions à l’environnement imprévisibles.

« IL est marrant lui, songeait Ena. A l’époque, j’étais jeune, en pleine possession de mes moyens physique. Pensez un peu ! Trente kilos, pratiquement que du muscle et du poil. Mais à force, toutes ces balades dans l’herbe mouillée et ces baignades dans l’océan au petit matin ont fini par me coller des rhumatismes. Assagie, qu’IL dit ! Pas le moins du monde ! Arthritique, c’est tout ! » Continuer la lecture de Première rencontre (1/3)

Le revolver

par MarieClaire

Le vent a bousculé les pages et j’ai perdu le fil de l’histoire, l’histoire de Lisa. J’ai reposé le cahier rouge, fermé les yeux et reconstitué à ma façon ce qu’elle y révélait de sa vie.

Sa triste enfance, elle la voit comme une tempête ponctuée de coups : ceux que son père lui assène, ceux que ses frères se donnent et auxquels elle n’échappe pas non plus. Cette violence la terrorise et elle tente de la fuir en rêvant.

Elle se décrit comme une chétive gamine à lunettes. Mais à l’adolescence, elle se transforme et apprend consciencieusement à faire d’elle une jolie femme. Elle abandonne ses lunettes, préférant voir un monde flou pour que ce monde la remarque. Son ambition s’est éveillée, pour fuir toutes ces violences, elle sera belle donc enfin aimée.

Et Simon apparaît. Il a une belle voiture, porte des chemises à son chiffre, la sort, la cajole : elle est Continuer la lecture de Le revolver

Que faut-il penser d’Histoire de Dashiell Stiller ?

Des écrivains vous répondent…

27 juin 2023 (probablement). Quelque part, mais où… ?

C’était en novembre, peut-être à Paris, peut-être ailleurs… Vichy, Vienne, Valparaiso… je ne sais plus. Comme tous les jours à cette saison imprécise, il y avait du brouillard, partout du brouillard, du brouillard dans la rue, du brouillard dans l’escalier, du brouillard dans ma tête. Je l’ai cherchée longtemps dans la bibliothèque de mon père, cette Histoire de Dashiell Stiller dont je crois me souvenir qu’il m’avait dit le plus grand bien. Mais était-ce mon père ? Était-ce bien mon père qui m’avait dit cela ou bien était-ce ce marchand de cravates de la rue des boutiques occultes ? Ou bien encore cet ami de jeunesse perdue, Francis ? Francis… que j’aurais pu connaitre, mais qui est mort avant… enfin, je crois…
Je ne sais pas, je ne sais plus…
De toute façon, je ne l’ai pas trouvé, le bouquin ! Alors arrêtez de m’emmerder avec cette Histoire de Dashiell Stiller ! Compris ?

Patrick Medrano, amnésique Continuer la lecture de Que faut-il penser d’Histoire de Dashiell Stiller ?

Automne indien

par MarieClaire

Il fait très chaud. Après un mois de septembre pluvieux, l’automne s’est fait radieux.
Dehors, sur la terrasse, deux chaises longues attendent leurs occupants. Le tourniquet diffuse une fine pluie sur la pelouse et elle aimerait profiter de sa fraicheur, mais il a décidé de monter la bibliothèque. Les cartons la contenant encombrent le garage depuis des semaines !
– Déballe les montants pendant que je prends les mesures, dit-il.
Elle s’exécute avec mollesse et maudit cette maison qui depuis des mois lui gâche tous ses dimanches.
– On aurait dû choisir un jour de pluie pour faire ça. Il fait si beau…Ne fais pas les trous avant d’être sûr des mesures.
Elle frémit à l’idée de voir percer Continuer la lecture de Automne indien

Que faut-il penser d’Histoire de Dashiell Stilller ?

Des écrivains vous répondent…

July 20 2010, 815 5th avenue, Manhattan, NYC

La première fois que j’ai rencontré Dashiell Stiller, c’était en 1952, à Brooklyn. J’avais alors 17 ans et lui ne devait pas être loin de la quarantaine. Il se trouve que mon ami Spats Levinski devait installer l’air conditionné chez Stiller mais qu’il devait le même jour aller à Colombus pour jouer du banjo dans la bar-mitzvah du fils du neveu de sa grand-tante, Shoshana. Comme la prestation d’artiste payait 2 dollars 50 de plus que celle de plombier, Spats m’avait demandé de le remplacer chez son client. Levinski et moi nous avions le même âge et je l’admirais beaucoup pour tout un tas de raison. La première c’était qu’il affirmait coucher une fois par semaine avec Madame Jakubowski, la femme du boucher de Franklin street. Mais la raison la plus motivante, c’est qu’il faisait de la boxe française et qu’il savait comment vous envoyer de ces coups de savates inoubliables dans les parties sensibles. Je ne pouvais donc rien lui refuser. C’est pourquoi, en cette très chaude matinée de juillet de 1952, vers les 9 heures, je sonnais à la porte de l’appartement 2C du 250 Furman Street. Stiller m’accueillit très aimablement mais sortit aussitôt de l’appartement en me remettant la somme convenue entre les mains et en me disant qu’il devait se rendre illico à Manhattan d’où il ne rentrerait pas avant le soir. Je lui répondis que pour moi c’était « OK, boss ».

C’est à cet échange que s’est réduit mon premier contact avec celui qui devait devenir l’écrivain que Continuer la lecture de Que faut-il penser d’Histoire de Dashiell Stilller ?