Archives de catégorie : Thème imposé

Carnet d’Écriture (9) – Incipit ? Késsesséssa ?

(…) j’ai pensé que le meilleur moyen de faire entendre l’accent dans des phrases écrites, c’était tout d’abord de planter soigneusement le décor, un décor fait de tuiles romaines, de rues étroites, de places ombragées et de terrasses de cafés sous les platanes. Pour cela j’ai pris pour modèle la petite ville de Trets. Ensuite, je me suis dit qu’il faudrait adopter certaines formes de phrases et utiliser certains mots particuliers, mais sans exagération. En dernier lieu, il devrait suffire de broder à partir d’un archétype méridional, c’est à dire une intrigue pagnolesque, un cliché reconnu et assumé.

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« Quand arrivent les premiers jours d’octobre et que les feuilles des platanes de la place Honoré Panisse commencent à brunir, il fait encore assez doux pour prendre le premier café du matin à la terrasse de chez Fernand. »

Tout est parti de cette phrase « Quand arrivent les premiers jours d’octobre et que les feuilles des platanes… » Je l’ai écrite tout de suite, en entier, tout d’un trait, facilement et, je le jure, sans avoir aucune idée de ce que pourrait être la suite de l’histoire que je venais de commencer. A tout bien considérer, il est normal qu’elle vienne facilement cette phrase, car c’est un sacré cliché. On la croirait tirée d’un article de Télérama sur le néo-bobo-tourisme en Provence profonde. Un sacré cliché, certes mais, après tout, que l’incipit d’une nouvelle-cliché soit lui-même un cliché, c’est plutôt un avantage : ça annonce la couleur : « … il fait encore assez doux pour prendre le premier café du matin à la terrasse de chez Fernand. »

Dans ce décor planté à la façon de Flaubert pour Continuer la lecture de Carnet d’Écriture (9) – Incipit ? Késsesséssa ?

Carnet d’Écriture (8) – Écrire, avec ou sans accent ?

Autrefois, nous allions souvent à Aix en Provence et, de là, nous allions parfois à Peynier. Même, une année, nous y avions loué une maison pour le mois d’Aout.  Peynier, c’est un village situé à une vingtaine de kilomètres d’Aix, sur la route de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume. Quand vous habitez là, pour faire vos courses, vous roulez quatre kilomètres vers l’est et vous arrivez à Trets (prononcez Tretse).

Trets, dix mille habitants, sa Basilique Saint Maximin, son Château des Remparts, son Avenue Mirabeau et ses platanes, sa Place de la Mairie et ses platanes, son Cours Esquiros et ses platanes, ses platanes…

Si vous avez passé un tant soit peu de temps dans le Midi et si en cet instant vous êtes de bonne humeur, je vous défie de prononcer cette suite de mots sans finir, au bout du troisième, par prendre l’accent : Aix en Provence, Peynier, Saint Maximin, Sainte Baume, Esquiros, Platanes. Allez-y ! Essayez ! Moi, je n’y arrive pas.

Ah ! l’Accent ! L’Assan ! Longtemps, j’ai cru que l’assan était une invention de Marcel Pagnol destinée à donner Continuer la lecture de Carnet d’Écriture (8) – Écrire, avec ou sans accent ?

Plaidoyer pour Amazon

Oui, oui, je sais, je sais…

Beaucoup des lecteurs du Journal des Coutheillas répugnent à aller acheter mes bouquins sur Amazon, parce qu’Amazon est un géant peu sympathique, qu’il fait de la concurrence déloyale aux libraires, et patati et patata… Ils répugnent, mes lecteurs, au point qu’ils n’y achètent jamais de livres. Peut-être, par pure commodité, ou parce qu’ils n’ont pas le temps de procéder autrement, ou parce que les centre-villes ne sont plus accessibles à cause des stupides travaux de voirie, ou parce que les commerces ferment parce que les centre-villes ne sont plus accessibles à cause des stupides travaux de voirie, ou peut-être pour toutes ces raisons à la fois consentent-ils Continuer la lecture de Plaidoyer pour Amazon

Aux coiffeurs

Ce texte a été diffusé déjà deux fois par le passé, mais le problème avec les coiffeurs, c’est qu’il faut y retourner régulièrement. De plus, par les temps qui accélèrent, un peu de chaleur humaine et humide, de rêve et de poésie ne peuvent pas vous faire de mal.  

Dehors, il fait gris sombre, froid humide et triste angoisse. Quand on passe badaudant devant la vitrine floue de la rue Saint Jacques longue, le trottoir est jaune enluminé.
Si on entre dans l’aquarium boutique, c’est encore mieux : il fait blanc lumineux et chaud tropical. Les vents électriques des séchoirs mangeurs de crânes recouvrent à peine les conversations molles et la musique en tube. D’étranges êtres capés immobiles se contemplent assis dans des miroirs lumière encadrés. Des esclaves serviles légers leur reforment la crête luisante hirsute.

Si l’on a pris bonne et due date, c’est le paradis retrouvé. On se place aussitôt parmi les maitres absolus que des serviteurs emblousés arrosent Continuer la lecture de Aux coiffeurs

Carnet d’Écriture (7) – une histoire pleine de bruits et de fureur, racontée par un idiot

(…) Plutôt que de développer devant cet ami tous mes arguments en réponse à sa remarque, j’ai préféré annoncer que je ne tarderai pas à lui prouver le contraire par une prochaine nouvelle.
Voilà pour le « pourquoi » de Blind diner ».

Passons maintenant au « comment ».

Très rapidement, je décidai de raconter mon histoire en gestation à la première personne du singulier et au présent de l’indicatif. Ce choix présente quelques avantages propres à faciliter la rédaction : ce temps de narration élimine pratiquement tous les problèmes de concordance des temps et le choix du narrateur-acteur, au contraire de cet insupportable pédant qu’est le narrateur omniscient, permet d’avancer dans l’histoire en toute innocence, sans prescience de ce qui va se passer, conditions imposées ipso Continuer la lecture de Carnet d’Écriture (7) – une histoire pleine de bruits et de fureur, racontée par un idiot

L’incertitude comme principe

Rediffusion

Le principe d’Heisenberg ou « On n’est jamais sur de rien »

— Dis-donc, je viens d’en entendre une bonne. Y a un savant, un allemand, Wurtemberg je crois qu’il s’appelle, ou quelque chose comme ça, il a dit qu’en principe, c’est pas possible connaitre en même temps la vitesse et la position d’un truc qui se déplace un peu vite. Non mais, j’y crois pas ! C’qu’ils vont pas chercher quand même ! En tout cas, si c’est vrai, il faudra le dire aux flics ! Parce qu’ils arrêtent pas de m’envoyer du papier pour me dire que, j’sais plus quand, j’étais Porte de la Chapelle à 129 kilomètres-heure sur le Périphérique. Y doivent pas en avoir entendu parler, de Gutenberg ! Eh, garçon ! Un aut’ Calva, siouplait ! Tu r’veux un café ?
— Non, merci. Il s’appelle Heisenberg, Werner Heisenberg.
— Qui ça ?
— Eh bien, le savant dont tu parles. C’est un physicien : Heisenberg. Pas Gutenberg, ni Wurtemberg : Heisenberg.
— Ah bon …
— Et ce dont tu parles, c’est de son principe, le Principe d’Heisenberg. C’est de la science.
— Comme le Principe d’Archimède, alors ?
— C’est ça. On dit aussi Principe d’Indétermination ou Principe d’Incertitude.
— T’es certain ? Non, j’rigole ! Et c’est bien ça qu’y dit, Machinberg, qu’on peut pas savoir en même temps où on est et à quelle vitesse on va ?
— Si on veut, mais ça ne s’applique qu’à des particules.
— Des trucs tout petits alors ?
— C’est cela, de la taille de l’atome, ou plus Continuer la lecture de L’incertitude comme principe

Carnet d’Écriture (6) – Quand on connait personne, on s’emmerde comme jamais

Blind diner – Pourquoi ?

Je me propose aujourd’hui de vous raconter comment est né et comment s’est développé ce bref roman, cette longue nouvelle, cette pièce de théâtre qui ne dit pas son nom, ‘’Blind dinner’’.

L’idée m’est venu de la remarque que me fit un jour un ami. « Hier soir, m’avait-il dit, nous avons dîné chez Untel. Personne ne connaissait personne. On s’est ennuyé comme des rats morts. On n’a pas idée d’organiser un dîner comme ça. Pour qu’une soirée soit réussie, il faut que les gens se connaissent, tout le monde sait ça ! » Je ne suis pas certain que ce soit là les mots exacts qu’il employa, mais c’était bien le concept : « Quand on ne connaît personne, on s’emmerde. »

Mon esprit de contradiction, qui toujours sommeille en moi juste à côté du cochon, me fit réagir immédiatement à Continuer la lecture de Carnet d’Écriture (6) – Quand on connait personne, on s’emmerde comme jamais

Carnet d’Écriture (5) – Trois hommes dans un bateau

« Messieurs, j’ai beau ne pas être sujet de Sa Majesté le roi Georges V, je me flatte néanmoins d’être un gentleman. A part le fait que le nom de cette jeune fille n’était pas réellement Tavia, vous n’apprendrez rien de plus de ma bouche de ce qui s’est finalement passé entre elle et moi. »
Puis il se renversa à nouveau dans son siège pour fouiller dans son gilet et en extraire un autre cigare. Quand il l’alluma, je crus voir dans son œil à demi fermé comme une petite lueur d’amusement. Mais ce devait être le reflet de la flamme de l’allumette.

Après la théorie du HQVHQVO passons à la pratique en détaillant par exemple les conditions qui ont prévalu à l’écriture des « Trois premières fois ».

La situation était la suivante : influencé par un recueil de nouvelles de Joseph Conrad que je venais de lire, je décidai d’en écrire une qui mette en œuvre le procédé HQVHQVO. Je choisis donc de faire se rencontrer trois hommes, dont le narrateur, et de leur faire raconter à chacun une histoire sur le même thème. Les trois hommes ne se connaissent pas et vont partir cette nuit sur le même cargo pour un long voyage. Ils se sont rencontrés au bureau de la compagnie maritime pour les Continuer la lecture de Carnet d’Écriture (5) – Trois hommes dans un bateau

Carnet d’Écriture (4) : le procédé HQVHQVO

(…) — Ainsi, vous pensez que je pourrais avoir une méthode sans le savoir, et que l’examen des circonstances qui ont prévalu à l’écriture de plusieurs textes pourrait la révéler. Théoriquement l’idée est intéressante bien que je doute du résultat. Mais, après tout, nous pouvons toujours essayer.

Les Trois premières fois, une nouvelle « HQVHQVO« 

J’ai beaucoup lu de nouvelles de Maupassant. C’était il y a bien longtemps. Plus récemment, j’ai lu beaucoup de nouvelles de Joseph Conrad, encore plus que de Maupassant. Au cours de ces lectures, j’avais pu remarquer que ces deux-là, les maitres du genre, avaient en commun — mais ils ne sont pas les seuls — un procédé d’écriture que je désignerai par HQVHQVO, acronyme de « L’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours ».

Dans l’avant-dernier tome de À la Recherche du temps perdu (Albertine disparue), Marcel Proust évoque ainsi ce procédé : « Les romanciers prétendent souvent, dans une introduction, qu’en voyageant dans un pays ils ont rencontré quelqu’un qui leur a raconté la vie d’une personne. Ils laissent alors la parole à cet ami de rencontre, et le récit qu’il leur fait, c’est précisément leur roman. »

Pour moi, je le définirai de cette manière : Le procédé HQVHQVO consiste pour l’auteur à prétendre qu’au cours d’un voyage en train, d’un diner dans une auberge ou d’une nuit dans un refuge de montagne, quelqu’un, préférablement un inconnu, lui a raconté une aventure véridique vécue par lui, et c’est le récit de cet inconnu qui constitue le corps même de la nouvelle de l’auteur.

Ce procédé assez courant présente pour l’écrivain de multiples avantages.
Avec son indispensable Continuer la lecture de Carnet d’Écriture (4) : le procédé HQVHQVO

Carnet d’Écriture (3) – un carnet, qu’est-ce que c’est ?

J’aurais dû commencer par là. Au lieu de vous prendre par surprise et pendant deux numéros vous asséner des généralités sur les méthodes, j’aurais dû commencer par vous dire ce que c’est qu’un carnet d’écriture.

Pour un écrivain, un carnet d’écriture, c’est un cahier à spirale, un carnet relié, un bloc-notes, des feuilles volantes pliées en deux ou même, pour certains, un dictaphone. C’est quelque chose, un support, sur lequel il déverse sans retenue ni pudeur les pensées qui l’agitent au cours de l’écriture d’une œuvre littéraire. États d’âme, ébauches de personnages, idées de situations originales, études de retournements, essais de phrases à insérer, textes alternatifs, petits dessins de canard avec chapeau et parapluie, enthousiasmes, désespérances, questions existentielles, vérifications à faire, recherches à entreprendre, notes techniques, coups de fil à donner, tentatives de titres… Tout, tout y est, ou devrait y être.
Un cahier d’écriture, c’est un journal de bord, un journal qui restera intime jusque bien après la mort de l’auteur, jusqu’à la reconnaissance de l’écrivain par la patrie reconnaissante.
C’est un cahier de brouillon, un livre de recettes, un terrain d’expériences, un exutoire…
Avec celle de la correspondance et des manuscrits, la connaissance du carnet Continuer la lecture de Carnet d’Écriture (3) – un carnet, qu’est-ce que c’est ?