BLIND DINNER (Extrait)

Un diner Place des Vosges à Paris. Un message sms sur tous les smartphones des invités vient d’annoncer un couvre -feu absolu à partir de toute suite. Mais que se passe-t-il donc ? 

(…)

— Mais, vous n’avez pas encore compris, Monsieur Longchamp ?

C’est moi qui viens de parler. Comme il n’y a plus de siège disponible, je me suis assis d’une fesse sur la grosse table de ferme qui occupe le centre de la pièce. Je trouve que c’est une position avantageuse. Au cinéma, on la voit souvent adoptée par le héros dans les scènes d’explication finale. Elle donne une image de décontraction, de sagesse et de confiance en soi tout à la fois. D’un ton paternel et patient, je poursuis :

— Vous n’avez pas encore compris que c’est le gouvernement qui contrôle toutes les radios ? Faut pas être grand clerc, quand même…

J’aime bien ces expressions un peu désuètes. J’essaie d’en apprendre une ou deux nouvelles par semaine. Il y a un site pour ça. En attendant, l’assistance est suspendue à mes lèvres. Raison de plus pour continuer :

— Pour le réseau, c’est pareil, que j’ajoute. Tout ça, c’est le gouvernement qui bloque. Et vous allez voir, il n’y a surement plus d’Internet. Ça ne fait pas un pli. D’ailleurs, regardez ! Qu’est-ce que je vous disais ?

Sur Internet, je m’étais un peu lancé, mais je viens de vérifier, c’est vrai, y a plus de connexion. D’une petite voix plaintive, Renée demande :

— Mais pourquoi font-ils ça ? Qu’est-ce qu’on a fait ? Qu’est-ce qui se passe ?

Quelle naïveté, quand même ! Je me soulève de la table pour mieux continuer ma démonstration et, tout en déambulant dans la cuisine, d’un ton ironique, j’assène :

— Pourquoi ? Mais pour nous faire peur, bien sûr !

Je prends une légère pause pour décoller une rondelle de concombre qui s’était fixée sur ma fesse droite et je poursuis :

— Pour nous faire oublier la crise ! On n’est quand même qu’à deux semaines des élections, il ne faut pas l’oublier. C’est ce que je vous disais tout à l’heure : on veut nous conditionner à un état d’urgence. On veut provoquer la panique pour que les gens se réfugient dans les bras du Président sauveur. Un peu de psychologie, ça suffit pour comprendre ce qui se passe.

— Vous pensez vraiment que l’on prend prétexte de cette épidémie, inexistante selon vous, pour nous conditionner pour les prochaines élections ? demande la bonne dame de Gentilly.

— C’est évident !

— Je ne suis pas loin de penser comme Gérald, vous savez, dit Longchamp. Tout cela arrange bien le gouvernement.

— Attendez un peu, Longchamp, intervient Charles. Tout à l’heure vous nous disiez que le virus était dangereux, mais que les labos avaient déjà le vaccin. Et voilà maintenant que vous rejoignez Gérard pour nous dire que c’est le gouvernement qui veut créer la panique en vue des élections à partir d’un virus anodin ! Il faudrait savoir, mon vieux !

— L’un n’empêche pas l’autre, rétorque l’acteur. Et si vous pouviez arrêter de m’appeler mon vieux…

— Et moi de m’appeler Gérard !…

— Tout ça ne nous dit pas ce qui se passe, dit Renée

— Mais je viens de vous le dire. C’est du bidon, il n’y a rien à craindre, dis-je en riant. Rien du tout !

— Moi, dit Anne la bouche en coin, c’est quand tu dis qu’il n’y a rien à craindre que je commence à avoir peur…

La vache ! Toujours là pour me mettre en valeur…

— La ferme, Anne ! Je suis sérieux, là !

Ce n’est pas dans mes habitudes d’user d’un langage aussi impérieux envers ma charmante épouse, mais là… je ne sais pas ce qui m’a pris… sans doute l’exemple de Renée tout à l’heure… Mais j’aurais dû me douter qu’Anne ne le prendrait pas de la même manière :

— Dis-donc, mon petit bonhomme, tu t’es entendu, là ? Tu me dis de la fermer ? À moi ? Mais pour qui tu te prends pour me parler sur ce ton ? Pour Alain Delon ou pour Jean Gabin ? Dis-toi bien que tu n’as pas les épaules pour ça… ni les épaules, ni la présence… ni rien. Tu n’as rien de ce qu’il faut, alors, la ferme toi-même, mon chéri, tu veux bien ?

C’est qu’elle n’a pas l’air content, Anne, mais alors, pas du tout !

— Mais enfin, Anne, c’est exactement ce que t’as dit Renée tout à l’heure. Tu ne t’étais pas fâchée ! Alors pourquoi…

— Renée, ce n’est pas pareil !

— Ah oui ? Et pourquoi donc ?

— Parce que !

La voilà bien, la logique des femmes ! Pourquoi ? Parce que ! Comment voulez-vous discuter intelligemment dans ces conditions ? Je préfère m’en tenir là. Alors, mettre fin à cette conversation idiote, je dis seulement :

— Ah bon !

Un ange passe sur la cuisine tandis que (…)

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Blind dinner
Un « Blind dinner », c’est un dîner un peu particulier dans lequel les invités ne se connaissent pas. Dans les beaux quartiers, c’est très à la mode. Renée, la maitresse de maison, trouve cela très chic et parfois follement drôle.  Mais ce soir là, quand on a commencé à parler d’un mystérieux virus venant de Chine, le diner a vite tourné au vinaigre.

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