Voici la suite et la fin de Sassi Manoon et les Texas Rangers dont la première partie a été publiée ici hier. Vous auriez pu tout aussi bien, et même mieux, la lire si vous aviez acheté « LA MITRO » (pour 6 euros seulement), le recueil de textes dont cette nouvelle fait partie. Il vous aurait suffi de cliquer sur le lien ci-dessous. Mais tant pis…
LA MITRO et autres drôles d’histoires
(…) Le bateau vint heurter la plate-forme en peu trop fort mais sans dommage pour la coque. Par contre le jeune homme perdit l’équilibre, essaya vainement de se retenir au plat bord de son bras valide, et finit par tomber à l’eau.
— Sacré bordel de merde ! hurla le beau brun en se relevant et en piétinant dans la vase. J’ai failli me tuer, moi ! Doucement, je t’ai dit. Tu peux pas comprendre ça, connasse ? Doucement, c’est pas compliqué quand même !
— M’emmerde pas, Dugland. Fallait pas me faire conduire. J’ai jamais mis les pieds sur un putain de bateau, moi. Fallait prendre le volant toi-même, Duschnock.
— D’abord c’est pas un volant, c’est une barre, pétasse. Ensuite comment tu veux que je « conduise », comme tu dis, avec une foutue bastos dans l’épaule, grosse maline ?
— Je te l’avais bien dit, connard, qu’on aurait dû garder la voiture au lieu de piquer le bat… Oh, bonjour Madame. Ne faites pas attention à notre petite dispute. Mon mari m’apprend à naviguer, et il semble que je ne sois pas très douée.
— Je vous en prie. Je suis Sassi Manoon, directrice de ce dispensaire orphelinat. Soyez les bienvenus à Chattawbannack. Avez-vous besoin d’une aide quelconque ? Je vois que le pansement de votre mari est taché de sang. Mes quatre sœurs infirmières et moi-même sommes toutes prêtes à le soigner. Nous avons l’habitude.
— Euh, ben… merci, Madame. Mon mari a pris une balle dans le bras pendant que …, pendant que…
— Bonjour, Ma Sœur…pendant que nous dormions à bord. C’est ça : pendant que nous dormions à bord. On n’en sait pas plus, c’est un vrai mystère.
— C’est sans doute ces chasseurs que les deux soldats du Texas recherchaient tout à l’heure, dit Sassi Manoon. Il parait qu’ils tirent la nuit sur les alligators. Vous avez dû recevoir une balle perdue.
— Des soldats du Texas, Ma Sœur ?
— Ils ont dit qu’ils étaient des Rangers.
— Des flics, quoi ! Je veux dire des policiers, bien sûr. Et ils sont partis ?
— Oui, mais rassurez-vous. Ils vont revenir tout à l’heure. Vous pourrez porter plainte. En attendant, il faut vous soigner. Venez !
Il avait fallu laver la plaie, extraire la balle du gras du bras et refaire correctement le pansement du blessé. Tout cela avait pris du temps, si bien que quand les passagers du yacht furent prêts à repartir, le soir tombait. C’est le moment que choisirent les Rangers du Texas pour amener leur bateau contre le yacht blanc.
— Ah ! Messieurs les soldats, dit Sassi Manoon, voici deux jeunes gens qui souhaitent porter plainte contre vos chasseurs d’alligators. Cette nuit, ils ont tiré sur leur bateau et ce jeune homme a reçu une balle dans le bras. Dieu merci la blessure n’est pas grave et sa jeune épouse est indemne.
— Ah ben ! Pour sûr, c’est un sacré Nom de Dieu de coup de chance que vous vous soyez fait tirer dessus, dit Bill. Enfin je veux dire un coup de chance pour nous, parce que pour vous, c’est plutôt un foutu coup de pas de chance de merde. Pas vrai, Ive ?
— Sûr, Bill. Ces messieurs dames vont pouvoir nous donner des informations précieuses. Comment était leur bateau ?
— Nous ne l’avons pas vu. Il faisait nuit noire, vous comprenez ?
— Noir, donc leur bateau était noir. C’est bien eux.
— Et ça s’est passé où, cette attaque à main armée ?
— Par là, en amont, loin en amont, très loin.
— On s’en doutait. C’est par là que nous allions. Pouvez-vous venir avec nous ? C’est pour la confrontation, vous comprenez ?
— Impossible, nous allons de l’autre côté, en aval, loin en aval, dans le Golfe du Mexique.
— Bon tant pis, on va se lancer à leur poursuite. Et merci pour votre collaboration. Il faut toujours aider votre police locale. J’enregistrerai votre plainte plus tard, au poste. Vous pouvez partir maintenant. Bon voyage !
Le petit yacht largua les amarres et s’éloigna lentement du ponton. Avant qu’il ne soit hors de portée de voix, Ive se mit à crier :
— Eh ! Oh ! Comment vous appelez-vous ? Vos noms ? C’est pour la plainte.
Et la réponse vint, parfaitement audible :
— Clyde Barrow, Bonnie Parker !
— Vous écrivez ça comment, s’il vous plait.
— Comme dans les journaux !
Ive se retourna vers Bill et dit :
— Qu’est-ce qu’ils ont dit ? Bonnie Parker ? Clyde Barrow ? Comme dans les journaux ? Qu’est-ce que ça veut dire ? T’as compris toi ?
—Rien du tout ! En tout cas ils étaient bien braves, pas vrai, Ive ?
— Sûr, Bill !
Par la fenêtre du salon, Sassi Manoon regarda les feux du yacht disparaitre dans la nuit. Un des policiers vint lui tenir compagnie.
— Voyez-vous, miss Manoon, dit-il au bout d’un instant, ce sont des jeunes gens comme ceux-là qui me donnent confiance en l’avenir.
— Pour moi aussi, dit Sassi Manoon, c’est la même chose.
Fin
Note de l’auteur : ces derniers mots en italique sont ceux qui achèvent “Kidnap-Party”, roman de Donald E. Westlake, paru en 1968 dans la Série Noire.
Le texte original qui s’achève avec eux résulte d’un jeu littéraire lancé par le JdC pendant le premier confinement de 2020. Il s’agissait de créer une courte nouvelle se terminant par les mots imposés.
C’est bizarre, il me semblait que la fin était très différente. L’aurais-je rêvée ?