Une longue allée de cyprès

temps de lecture : 3 minutes

Ce texte a déjà été publié il y a exactement 7 ans. 

Je suis parti.
Ça y est, je suis parti.

J’ai dit non, ça suffit, ce n’est pas pour moi, ce n’est pas moi.
Cet argent, tout cet argent, facile, trop facile, pourtant, je l’avais cherché, j’allais l’avoir, je l’avais.

Cette vie de luxe, Park avenue, East Hampton, Gstaad, ce n’est pas moi. Bien sûr, j’aimais ça, mais ce n’était pas moi.
Ces maisons sur l’océan, ces bateaux, ces voitures, ce n’était pas moi.

Au début, je ne le savais pas ; au début, je croyais que c’était ce que je voulais.
Ces gens, leurs clubs, leurs chevaux, leurs femmes, leurs amis, leur insouciance, leur légèreté, ce n’était pas moi.

Au début, j’avais tout fait pour les rencontrer, j’avais tout fait pour leur plaire. J’avais même tellement tout fait que ça avait marché. Ça avait marché, et plutôt vite, deux, trois ans, pas plus, et plutôt bien, Montauk, Vail, Malibu, Gstaad…

J’étais entré dans leur société, enfin… au bord de leur société.
J’étais de la fête, je faisais partie d’eux, enfin… je croyais.

J’étais excité, j’allais réussir, j’allais en être, vraiment.
J’allais être tranquille, toute la vie, riche.

Elle avait dit oui, j’avais dit oui, nous avions signé, les voitures avaient klaxonné.
Nous avons descendu l’allée de cyprès vers la villa. Nous avons traversé la grande pelouse jusqu’à la mer. La nuit tombait. Vers l’Est, la ville s’illuminait. Dans le lointain, un avion s’envolait silencieusement vers le soleil.

La fête a battu son plein, somptueuse.
Des rires, des cris, des chutes dans la piscine, un petit orchestre antillais, c’était la mode cette année-là.

Vers minuit, un feu d’artifice a été tiré du bateau d’un ami. On a dansé un peu, bu beaucoup.
A un moment, bien plus tard, j’étais seul, content. Assis sur la pierre tiède du muret du jardin, je regardais les longues vagues du Pacifique venir mourir à mes pieds.

Pas mal ivre, autant d’alcool que de satisfaction, je ne l’ai pas entendu arriver. Il s’est assis à côté de moi. Il tenait entre deux doigts une bouteille de vodka presque pleine.

Il m’en a offert, au goulot. J’ai accepté. Nous avons parlé de Palm Springs, de Positano, de Gstaad. Puis nous avons parlé de voitures. Il était plutôt Jaguar et il parlait du charme et de l’élégance britannique. Je disais que nous allions acheter une petite Porsche, plus pratique pour New York. Conversation nonchalante, élégante, tout ce qu’il fallait en cette belle nuit et dans ce beau décor. Parler femmes en cette soirée eut été inconvenant, alors, en hommes du monde, nous avons évité le sujet. Quand la bouteille a été vide, un silence s’est établi entre nous, longtemps. Alors, on a regardé les vagues du Pacifique venir mourir à nos pieds.

Et puis, comme s’il poursuivait une conversation, il m’a dit :
— Vous savez, Paul, vous ne serez jamais qu’un petit gigolo !
Il s’est levé et il a disparu en titubant dans l’obscurité du jardin.

Je suis resté là jusqu’à l’aurore, à essayer d’oublier sa phrase, à la tourner en tous sens pour tenter de la comprendre autrement.

Et puis, quand le soleil est apparu derrière la colline, quand il a éclairé le premier avion du matin, je me suis levé du petit mur, j’ai franchi la pelouse humide vers la maison. Les invités étaient partis, à part deux femmes qui dormaient enlacées sur une chaise longue au bord de la piscine.

J’ai traversé la maison silencieuse, et j’ai remonté la longue allée de cyprès qui menait à la route.
Et je suis parti.

 

Bientôt publié

30 Mar, 16:47 Rendez-vous à cinq heures pour un prélude a capella
31 Mar, 07:47 Jean-Pierre et Gisèle (21)
1 Avr, 07:47 Tableau 437

Dans le monde de l’édition (2)

29/03/23 — 16h26

Au jour et heure indiqués ci-dessus, 14 exemplaires de Blind dinner ont été commandés, dont 13 livres brochés et 1 format Kindle. Bravo à ceux qui ont fait ce choix essentiel.

Pour l’instant, il n’y a encore aucun « commentaire client ». Ce doit être parce que les lecteurs sont encore sous le choc. C’est peut-être aussi que pour pouvoir déposer un commentaire, il faut trouver comment. On verra ça un autre jour. D’accord ?

L’auteur

https://www.amazon.fr/dp/B0BZC5754C

 

Pas clair, Einthoven, pas clair…

morceau choisi 

(…) Le grand malentendu, c’est ceux qui pensent que l’intelligence est une fin en soi. Ils oublient qu’elle n’est que le moyen d’une émotion revivifiée, retrouvée, d’un temps retrouvé. L’érudition, l’intelligence, la culture n’est pas une fin en soi, ne vaut que si elle est émouvante, ou que si elle donne lieu à de l’émotion, ou que si elle permet, que si elle nous dispose à l’émotion.
Raphaël Einthoven. Extrait d’une émission radio. 

Moi, je pense que dans ces phrases un peu bancales, dans cette improvisation — Einthoven a toujours un peu l’air d’improviser — il met à tort dans le même Continuer la lecture de Pas clair, Einthoven, pas clair…

Les corneilles du septième ciel (10)

temps de lecture : 3 minutes 

(…) Une fois n’est pas coutume, les séances s’avérèrent bien plus pénibles pour le médecin que pour le patient. D’ailleurs, son analyste abandonna rapidement tout espoir de le sortir de son trou noir en expansion continue, au propre comme au figuré. Franck, de son côté, ne perçut jamais la résignation de son médecin elle aussi en expansion continue.

Chapitre X

Françoise était parvenue à la même conclusion que Philippe mais elle identifiait sa situation plutôt à celle de Jules et Jim, un autre chef d’œuvre cinématographique. A la place des personnages masculins de ce film, elle avait sous la main, d’un côté un psychanalyste chauve un peu plus âgé qu’elle qui avait le mérite de l’avoir sortie de son impasse sentimentale, et de l’autre, un écrivain lui aussi Continuer la lecture de Les corneilles du septième ciel (10)

Dans le monde de l’édition (1)

27/03/23 — 14h13

J’ai le plaisir de vous annoncer que 6 exemplaires de Blind dinner dans son format livre broché ont été achetés chez Amazon.fr.
Il est possible que d’autres exemplaires aient été commandés mais non encore traités.
Toujours est-il qu’à partir de maintenant, Amzon.fr et moi sommes en compte : ils me doivent 1,86€.

A présent, pour ceux qui ont acheté le livre, il leur reste à le lire et à porter des avis sur le site d’Amazon.fr

Pour ceux qui ne l’ont pas acheté, ils savent ce qu’il leur reste à faire.

L’auteur

https://www.amazon.fr/dp/B0BZC5754C

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Rendez-vous à Samarra – Critique aisée n°257

 Temps de lecture : 5 minutes

 Critique aisée n°257

Rendez-vous à Samarra
John O’Hara – 1934
Editions de l’Olivier – 350 pages – 11,90€

Julian English, trente ans, marié avec une des plus jolies femmes de Gibbsville, cette ville moyenne de Pennsylvanie ; bonne éducation, issu de la bourgeoisie moyenne, membre de tous les bons clubs, invité à toutes les soirées de la bonne société, concessionnaire Cadillac pour toute la région, aimé par sa femme, il boit beaucoup et s’ennuie. Ou alors, Grands Dieux, pourquoi, s’il ne s’ennuie pas, pourquoi depuis quelques jours fait-il tout ce qu’il faut pour se faire exclure de son milieu, rejeter par ses amis, pour perdre sa femme, Caroline ?

Est-ce parce que, avec ses règles précises, mais non écrites, de bienséance, Gibbsville l’étouffe ?
Est-ce parce que, dans cette ville autrefois minière aujourd’hui en déclin du fait de la grande crise de 1929 et du passage progressif du charbon au pétrole, la bonne société ne peut maintenir sa façon de vivre qu’en mangeant son capital ?
Est-ce parce que Julian a Continuer la lecture de Rendez-vous à Samarra – Critique aisée n°257

Rendez-vous à cinq heures à Chicago

la page de 16h47 est ouverte…

Have à Bud !
with Guy
in Chicago

Ah oui, une Budweiser pour se congratuler, c’est génial !

Ce monsieur épanoui sur une affiche publicitaire de 1993 collée sur le mur d’un restaurant de Chicago, symbolisait pour moi  cette ville animée et variée entre le lac Michigan et le Centre des Affaires, en passant par son anachronique Métro aérien – le Loop – des années 1900 avec ses quais en bois et son vacarme assourdissant qui me faisaient penser Continuer la lecture de Rendez-vous à cinq heures à Chicago

Les corneilles du septième ciel (9)

temps de lecture : 3 minutes 

(…) Bien au contraire, chez lui, la vie de tous les jours ressemblait à une vie monacale où l’on aurait fait vœu de silence. Personne n’avait le droit de raconter son dernier rêve ou de parler de ses problèmes. Cet homme pourtant dévoué à l’écoute de ses patients ne le fut jamais à celle de sa famille. Il ne s’intéressa ni à ses enfants ni, encore moins, à ce qu’ils pensaient. Le jour où son fils aîné médecin fut nommé chef de service dans un hôpital parisien, il ignorait sa spécialité …

Chapitre IX

Subitement, malgré sa décision de reprendre des études, Françoise alla mieux. Le docteur Philippe C. ne mit pas longtemps à en comprendre la raison. Lors d’un week-end chez ses parents, elle avait assisté au centre culturel interurbain de Chauvigny à une conférence donnée par Didier, le vrai Blonde. Elle connaissait tous ses écrits et elle éprouvait une véritable fascination pour son livre intitulé Leïlah Mahi. A partir d’un minimum d’informations récoltées à droite et à gauche, l’auteur avait imaginé Continuer la lecture de Les corneilles du septième ciel (9)