Go West ! (94)

(…) Julius rentrait chez lui chargé de cadeaux pour toute la famille mais, comme il me l’apprît quelque part entre Las Vegas et Denver, le cadeau le plus extraordinaire qu’il rapportait était pour lui : c’était sa voiture, la Cadillac Fleetwood Sixty Special, année 55, couleur rose, exactement le même modèle et la même couleur que la voiture d’Elvis Presley.

Si, comme le monde entier, je connaissais Elvis Presley, à cette époque, je n’en étais pas vraiment fan. Je me rangeais plutôt parmi les adeptes de Duke Ellington, d’Oscar Peterson et d’une récente révélation, Dave Brubeck. Que deux microsillons de Ray Charles figure dans ma discothèque me paraissait une concession suffisante à la musique populaire. Alors Elvis…
Je ne savais pas grand-chose de sa musique et pas davantage de sa vie privée. Mais je savais qu’effectivement, un jour, Elvis avait acheté une Cadillac rose. Cet événement avait déclenché les commentaires ironiques des journaux français qui y avait trouvé la confirmation du mauvais goût bien connu des Américains.

Julius avait acheté la voiture à un marin de la base de San Diego, un fils de famille, qui lui-même l’avait gagnée au poker à un vague scénariste hollywoodien. Le marin achevait un engagement d’un an dans la Marine que son conseil Continuer la lecture de Go West ! (94)

Homéotéleute et Polyptote (7)

Résumé des actes précédents :

Franchement, je n’ai pas du tout envie de résumer en quelques lignes deux actes entiers que je me suis donné un mal de chien à écrire sur une dizaine de pages. Vous n’aviez qu’à arriver plus tôt.

Acte III

Au début du troisième acte, le décor sera entièrement noir. Il sera ensuite progressivement éclairé pour finir par représenter la buanderie du palais d’Epiclèse.

Le Chœur Antique

Ô, Athéniens, citoyens de la capitale du monde, réveillez-vous ! Car c’est maintenant que ça se passe ! Craignez le pire pour ces deux enfants, entraînés dans le courant irrésistible et tumultueux de la vengeance de la Déesse Toujours Trompée ! Espérez qu’Aphrodite à la Sacrée Silhouette saura dénouer les fils gluants qu’Héra la Vilaine Vindicative Velléitaire a tendus en travers de leur chemin !

Le Récitant

La moitié d’une année a passé depuis les vœux que Polyptote et Homéotéleute ont échangés sous le grand cognassier du Péloponnèse. La moitié d’une année a passé depuis que Homéotéleute a renversé Polyptote sur le petit banc en marbre de Thassos, sans que sa grosse tête ni son long cou ne le gêne aucunement pour cette activité. La moitié d’une année a passé, mais Homéotéleute n’a toujours pas donné suite à sa promesse. Il hésite, il attend, il tergiverse, il procrastine. Mais à force de procrastiner et de renverser Polyptote sur tous les bancs en marbre de Thassos, voilà que le joli petit ventre plat de Polyptote a commencé à s’arrondir. Alors, le Prince d’Antanaclase a pris sa décision et son manteau de voyage. Il a embrassé la pêcheuse de Zeugma sur le front et lui a dit gentiment : Continuer la lecture de Homéotéleute et Polyptote (7)

Se baigner dans la Seine ? 

Sous l’influence du lobby constructeur d’EDP (Engin de Déplacement Personnel) et corrupteur d’édiles, la voie Georges Pompidou a été sacrifiée sur l’autel festif du parisianisme bobo hidalgien. Le bon Georges n’en a pas fini de se retourner dans sa tombe.
Le 17 juin dernier, je l’ai parcourue, cette voie, du Pont des Arts au Pont Sully-Morland. Il faisait une chaleur à convertir un climato-sceptique. Curieusement, et malgré les hordes bigarrées de touristes ébahis et bon enfant ou épuisés et hargneux qui recouvraient les quais supérieurs, les ponts, les boulevards, les avenues, les places et les terrasses, sur l’ex-voie sur berge il n’y avait personne ; ou presque. À part quelques amoureux enlacés sur les pelouses à tiques et herbes folles, quelques clochards mal réveillés à odeur de régurgitation, quelque solitaires suicidaires et indécis car ne sachant pas nager, et deux ou trois égarés cherchant à sortir indemne de cette fournaise, il n’y avait personne ; ou presque. Dans les personnes ou presque, je ne compte pas les centaures arrogants Continuer la lecture de Se baigner dans la Seine ? 

Homéotéleute et Polyptote (6)

Résumé de ce qui s’est passé avant :

1-Homeotéleute, légèrement disgracieux, mais héritier du royaume d’Antanaclase et fils illégitime de Zeus, a rencontré une charmante jeune fille, Polyptote.

2-Polyptote se croit fille d’un pêcheur de Zeugma, mais elle est en réalité fille d’Hélène de Troie et du grand patron du Monde Olympique.

3-Les deux jeunes gens se sont rencontré et discutent le coup (de foudre)

Maintenant vous savez tout ce qu’il faut savoir.
Ô Récitant ! Tu peux poursuivre ton histoir.
Si en alexandrins tu ne peux nous la dire,
Fais quand même un effort, évite-nous le pire.
Soigne un peu ta grammaire et puis ta diction.
Vas-y, envoie la sauce et fais bien attention !

Le Récitant

Je disais donc que les deux jeunes gens s’observaient l’un l’autre, dans la belle lumière de cette fin de matinée attique. Leur rencontre devait tout au hasard, et rien ne les prédestinait à se trouver en ce lieu, en cet instant et, surtout, libres de toute attache.

En regardant à nouveau ses chaussures, le garçon reprit :

Homéotéleute

– Ô Polyptote à la belle ceinture, dis-moi de quelle île magnifique, de quelles terres fertiles, de quel royaume somptueux ton père Charybde est-il le roi ? Parce que, tu comprends, moi, je suis Homéotéleute, prince d’Antanaclase, fils d’Epiclèse et de Polysémie.

Polyptote (avec agacement)

–Je sais, tu me l’as déjà dit.

Homéotéleute

–Oui, mais bon !

Polyptote

–Eh bien, jeune snob de Béotie, sache que Continuer la lecture de Homéotéleute et Polyptote (6)

Go West ! (93)

(…)Ceux-là savent qu’un ride de plus de quatre mille kilomètres en quatre jours, c’est une sacrée performance ; que seulement deux voitures aient été nécessaires à cet exploit, c’est un coup de chance phénoménal ; que l’une de ces voitures soit une Cadillac et l’autre une Lincoln Continental, que la première soit conduite par un sergent noir et la seconde par un chauffeur blanc, et que la Lincoln soit noire et la Cadillac rose, que tout cela ne peut être que du domaine du délire onirique, donc de l’impossible.
Mais nous sommes en Amérique, et là-bas, il arrive que le rêve américain devienne réalité.

Quand elle s’est approchée de moi, j’ai bien reconnu sur la calandre le V largement évasé de Cadillac surmonté de son blason, mais ce n’est que le lendemain matin, à la lumière du jour, que j’ai remarqué sa couleur. Pour le moment, tout ce que je voyais, c’était une grosse voiture arrêtée à ma hauteur avec, à l’intérieur, un homme noir qui se penchait vers moi et qui me demandait où j’allais.

— Washington ! Washington D.C. ! lui ai-je répondu, désabusé, presque agressif, comme si je considérais que cette destination était inaccessible et que de toute façon ce n’est certainement pas lui qui pourrait m’y emmener.

— Cool ! m’a répondu le bonhomme. Tu as un permis de conduire ?

L’espoir renaissait car, quand un type vous demande si vous avez un permis de conduire, ce n’est pas pour vous lâcher au bout de dix miles. Je lui ai dit Continuer la lecture de Go West ! (93)

Wetbacks in L.A.

Ce texte a déjà été publié ici à deux reprises, en 2016 et en 2020. A présent que l’Agent Orange de la Maison Blanche  a décidé d’envoyer la troupe à Los Angeles pour en expulser les immigrés, je crois qu’il est temps de le publier à nouveau. 

Wetbacks

Je suis à Lynwood, dans South Central, pas loin du croisement d’Atlantic et d’Olanda, je recouvre de papier Alu les plateaux de haricots qui n’ont pas été mangés à l’anniversaire d’un petit gamin, lorsqu’on m’annonce qu’il faut que je rentre à la maison plus tôt que prévu, et probable que je ne reviendrai pas demain. [*]

C’est Rubio lui-même qui vient de me dire ça, et il a l’air sacrément ennuyé.
Pourtant, je peux pas m’en aller maintenant. Tous les autres sont déjà partis et y a encore plein de trucs à ranger avant de fermer. C’est peut-être pour ça qu’il a l’air embêté, Rubio.
Qu’est-ce qui se passe ? Il y a eu un accident ? Y a les flics chez moi ? Non, non, il sait pas, Rubio, il a juste reçu un coup de fil de son cousin. Il faut que je rentre tout de suite, et c’est pas sûr que je puisse revenir demain. Il n’en sait pas plus. Il est désolé.

— Bon sang, Rubio… ?
— M’emmerde pas, Rafael, c’est pas le moment, tu ferais mieux de partir maintenant ! Allez, fous-moi le camp ! Ce soir, c’est moi qui fermerai la boutique.

Il est plutôt gentil d’habitude, Rubio. Rubio, c’est mon patron. C’est le propriétaire du Continuer la lecture de Wetbacks in L.A.

Homéotéleute et Polyptote (5)

Résumé de ce qui précède:

Homéotéleute est prince héritier du royaume d’Antanaclase et bâtard de Zeus. Il vient de rencontrer Polyptote, Zeugmienne de basse extraction. Le Chœur Antique était, comme c’est l’usage, en train de se lamenter sur le destin tragique qui attend les deux jeunes gens, quand Homère a demandé qu’on lui cède la parole pour apporter à la situation quelques précisions indispensables. C’est chose faite : il a la parole. Soyez attentifs, car c’est plutôt compliqué.

Le Poète (avec hésitation)

Merci, le Chœur !

Et maintenant, raconterai-je comment le jeune prince d’Antanaclase, royaume des grasses hypallages et des hypotyposes rebondies, fut conçu dans un déchainement de passion animale et exotique ? Dirai-je les souffrances de la Reine et les joies injustifiées du Roi lors de la délivrance du divin rejeton ? Chanterai-je la douceur de l’enfance d’Homéotéleute à la lourde tête et au long col ? Non, car tout cela est déjà accompli.

Je dirai plutôt la malédiction qu’Héra la Mortifiée a fait tomber sur le pauvre prince en se penchant sur son berceau à l’insu de son véritable géniteur, qui déjà était retourné aux affaires courantes, c’est à dire à la séduction de quelque mortelle naïve et flattée. Car c’est elle bien sûr qui l’avait équipé de ce cou gracile et allongé en référence ironique à l’aspect que son divin mais infernal époux avait pris pour pousser la chansonnette à la reine d’Antanaclase. C’est elle aussi qui l’avait surmonté, ce cou ridicule, d’une tête démesurée en référence à l’orgueil du même métal du patron de l’Olympe. Non contente de cette double disgrâce, elle avait jeté sur le destin d’Homéotéleute le Mal Fichu une terrible malédiction qu’elle aimait bien résumer ainsi : Continuer la lecture de Homéotéleute et Polyptote (5)

Go West ! (92)

(…) Je ne sais pas ce qui m’a poussé à le faire, peut-être le fait qu’elle ait dit Philippe au lieu de Phil ou de petit homme, peut-être la chaleur du baiser que nous avions partagé un peu plus tôt, mais je l’ai fait.  Dans un mouvement très souple et très naturel, comme dans un film, j’ai passé mon bras gauche derrière sa nuque, je me suis penché vers elle et je l’ai embrassée. Tout d’abord, elle est restée sans réaction ; elle se laissait faire. Alors j’y ai mis un peu plus de passion, en même temps que je passai ma main sous sa chemise. C’est à cet instant que j’ai reçu un grand coup de son coude droit dans les côtes.
— Petit con ! Décidément, tu n’as rien compris !

C’est de cette façon lamentable que se terminèrent les trois jours les plus extraordinaires que j’aie jamais vécus : insulté, humilié, planté là sur le bord de la route, je regardais une petite voiture traverser en bondissant le terre-plein central pour rejoindre la chaussée qui retournait vers la ville.

Lorsque ses feux eurent disparu, je demeurai un moment immobile, puis je fis machinalement trois pas dans la direction de Las Vegas Continuer la lecture de Go West ! (92)

Homéotéleute et Polyptote (4)

Résumé du premier acte :

Homéotéleute est le prince héritier du royaume d’Antanaclase, mais pas que. Il est aussi le (n+1) ème bâtard de Zeus, qui l’a conçu avec l’épouse du roi d’Antanaclase. Il vient de quitter son ile pour Athènes afin d’y suivre un cycle de Sémantique Sportive de Haut Niveau. Au sortir d’un cours, il rencontre la très-très jolie Polyptote, une jeune Zeugmienne de basse extraction. Ça sent le coup de foudre et l’inévitable Récitant s’est extasié sur l’heureux hasard qui a présidé à cette rencontre : « Leur rencontre devait tout au hasard, et rien ne les prédestinait à se trouver en ce lieu, en cet instant et, surtout, libres de toute attache. »

Acte II

Le décor est maintenant entièrement couleur fushia, sauf le banc (en marbre de Thassos) et le cognassier du Péloponnèse.

Le Chœur Antique

— « Leur rencontre devait tout au hasard » ? Hé, ho, le Récitant ! Vous rigolez ou quoi ? Avec des prénoms pareils ! Avec des parents comme ça ! « Rien ne les prédestinait… » ? Non, mais, nous rêvons ! 

Et, selon vous, qui a poussé Polyptote à s’inscrire Continuer la lecture de Homéotéleute et Polyptote (4)