Go West ! (67)

(…) Mais moi, je n’avais pas encore réfléchi à tout ça, je n’avais pas encore assez de recul pour réaliser ces similitudes, je n’en avais pas encore tiré de conclusion de ces points communs. Pour moi, les filles demeuraient un mystère. Alors, une femme…
Mais j’y pense : si vous n’avez connu ni les femmes ni les États-Unis de cette époque, je ne voudrais pas que vous vous en fassiez une fausse idée en généralisant à toute une génération ce que je suis en train de dire de quelques-unes. Il y a eu sûrement, là-bas et à cette époque, des filles qui avaient fait ou qui allaient faire l’amour par sentiment amoureux, mais cet été-là, je n’en ai pas rencontré.

Donc, assis sur mon canapé, j’étais perplexe et longtemps, je suis resté silencieux, à observer le petit pendule osciller, à manger des sandwiches épicés, à boire du vin rouge, fumer des cigarettes blondes. Et puis, avec le temps, le vin, la nourriture, la voix chaude de Nancy, je me suis détendu, j’ai changé de position sur le divan, j’ai quitté le pendule des yeux et j’ai décidé d’accepter les choses telles qu’elles étaient et telles qu’elles se présenteraient. J’ai commencé à répondre à Nancy, à lui faire une ou deux remarques idiotes sur la cuisine, le vin, à lui poser des questions stupides sur sa maison, ses meubles, à faire la conversation. En réalité, je voulais me mettre à son niveau de détachement. Je voulais éviter de la regarder, je voulais lui montrer que j’étais à l’aise parce que tout ça, pour moi, c’était presque de la routine. Mais je n’y arrivai pas et je finis par revenir au pendentif :
— Il est joli, ton bijou, là. Qu’est-ce que c’est ? C’est indien ?
Elle le saisit entre deux doigts et se pencha vers moi pour me le montrer de plus près.
— C’est un Yongosona, une divinité en forme de tortue. Continuer la lecture de Go West ! (67)

BLIND DINNER (Extrait)

(…)

Renée relance le sujet de l’épidémie.

« Maintenant que nous sommes tous là, ne me dites pas que personne ici n’a écouté ce pauvre Président, quand même. Kris, vous l’avez écouté, vous ?

— Oui, bien sûr, mais le début seulement, lui répond Kris de l’autre extrémité de la table. Mon taxi m’attendait en bas.

— Alors ? C’est grave ? demande Anne, inquiète.

— Eh bien, à mon avis, ils ne savent pas trop à quoi s’en tenir encore, mais ce qui est sûr, c’est qu’en Chine, en Corée, Continuer la lecture de BLIND DINNER (Extrait)

Go West ! (66)

(…)Il est encore moins fréquent que les auteurs développent  »in corpore textus » des considérations sur ce qu’ils auraient pu ou voulu écrire mais n’ont pas fait, par choix ou par incapacité. C’est là le travail des thésards et des critiques, pas celui des écrivains. Bien que depuis peu, je m’honore, sans vergogne ni fausse modestie, de faire partie de la caste des écrivants, avec en ligne de mire subliminale le statut, supérieur et au mieux posthume, d’écrivain, je vais quand même me permettre de transgresser cette règle.

Nous en étions donc au point où, après m’être roulé voluptueusement dans une baignoire avec une femme entreprenante, je me trouvais, vêtu seulement d’un peignoir trop grand, assis jambes croisées sur un divan en train d’observer le mouvement fascinant d’un délicat petit pendule de turquoise et d’argent qui oscillait entre deux jolis seins, tandis qu’on me tendait des plats exotiques et épicés.

A ce point du récit, littérairement parlant, il eut été parfaitement logique Continuer la lecture de Go West ! (66)

Stop and Shoot in Motion

La nouvelle série photographique du précurseur Lorenzo dell’Acqua s’intitule Stop and Shoot in Motion (SSM). Il s’agit en réalité d’une évolution de sa précédente série Stop and Shoot qui avait défrayé la chronique dans les années 20. Le principe de base reste le même : le photographe prend des photos depuis la même position et sans jamais se déplacer mais Lorenzo en a fait évoluer les règles afin d’éviter les accidents de la circulation trop fréquents lorsque le photographe restait au milieu d’une chaussée à fort trafic et l’inévitable crève lorsqu’il restait immobile sous la pluie en hiver. Désormais, le photographe, toujours immobile à la même place, se positionne dans un véhicule en mouvement (in motion), c’est-à-dire à l’abri des intempéries et sans risque d’être renversé par un autre véhicule puisqu’il se trouve à l’intérieur de l’un d’entre eux. La règle stipule Continuer la lecture de Stop and Shoot in Motion

Pour le réveillon

Si vous ne croyez plus au Père Noël,
(parce que, pour Noël, c’est trop tard !) 

Si vous êtes radin,
(parce que le plus cher coute 11 euros)

Si vous avez encore un peu d’argent,
(parce que le moins cher coute 4 euros) 

S’il vous reste un ami
(parce que sceptique, radin et fauché comme vous l’êtes, en avoir davantage, ça serait étonnant, et que celui-là, il vaut mieux le garder)

Offrez-lui pour le jour de l’an,
(parce qu’il est encore temps)

Un bouquin de Coutheillas

Blind dinner

Un « Blind dinner », c’est un dîner un peu particulier dans lequel les invités ne se connaissent pas. Dans les beaux quartiers, c’est très à la mode. Renée, la maitresse de maison, trouve cela très chic et parfois follement drôle.  Mais ce soir-là, quand on a commencé à parler d’un mystérieux virus venant de Chine, le diner a vite tourné au vinaigre.

 

LA MITRO
et autres drôles d’histoires Continuer la lecture de Pour le réveillon

Un moment d’égarement

Première diffusion : 12/08/2017

Le couvert était mis : deux assiettes, les serviettes blanches bien pliées, en triangle, comme Élise les aimait. Les couverts d’argent luisaient doucement, les verres étincelaient. Elle ajouta quelques fleurs au centre de la table, s’assit, lissa sa jupe, arrangea ses cheveux, posa ses mains sur ses genoux et attendit.

A l’autre bout de la ville, le commissaire tendit la feuille au jeune homme pâle qui lui faisait face et lui demanda de relire et de signer. Le jeune homme pâle obtempéra.

La nuit était tombée, déjà neuf heures. Élise pensait à son rôti qui serait trop cuit. Elle se leva pour éteindre le four et en profita pour ranger la cuisine : l’ordre, en général, calmait ses inquiétudes.
Mais pourquoi était-il en retard ? Et s’il n’allait pas venir ? Elle l’avait invité bien qu’elle le connaisse très peu, elle ressentait un tel besoin d’une présence masculine. Il y en avait eu si peu dans sa vie…
Elle continuait à nettoyer, ranger, faire reluire ce qui était déjà propre. Tout était vraiment prêt. Une bonne Continuer la lecture de Un moment d’égarement

HISTOIRE DE NOËL (Extrait)

Cette année-là, alors que la température restait étrangement douce, la pluie avait commencé à tomber la veille de la Toussaint et, depuis ce jour, il n’avait pas cessé de pleuvoir. Les chemins s’étaient transformés en bourbiers, les ruisseaux en torrents et les torrents en rivière. On disait que si ça continuait comme ça, demain, la route qui menait de St-Géraud à La Claux serait coupée.

Noël marchait sous la pluie depuis bientôt deux heures. Son chapeau de feutre avait perdu sa forme et ses larges rebords rabattus sur ses oreilles pendaient maintenant jusque sur ses épaules. Ses vêtements détrempés s’étaient collés à son corps et pesaient lourd sur son dos et sur ses reins. Il avançait encore plus péniblement qu’à l’ordinaire, trainant son pied difforme dans les ornières du chemin. Noël pressait le pas autant que sa démarche le lui permettait. Il voulait arriver à la Prétentaine avant la nuit car il avait gardé de son enfance une sourde crainte de l’obscurité et des esprits malfaisants qui la peuplent. D’ailleurs aucun homme de la région, même le plus courageux ou le plus inconscient, n’aurait eu l’idée de marcher dans l’obscurité, le vent et la pluie à travers cette campagne à demi submergée.

Pourtant, malgré l’humidité qui le pénétrait, malgré la nuit qui approchait et malgré le mauvais chemin qu’il lui restait encore à parcourir, Noël était joyeux : c’en serait bientôt fini de son infirmité. Le docteur Cottard Continuer la lecture de HISTOIRE DE NOËL (Extrait)

Consécration à Notre-Dame

par Jim
Quel est l’homme le plus puissant du monde sur cette photo prise le 7 décembre à Notre Dame (source Fig Mag, photo Éric Tschaen) ? Est-ce ce personnage isolé à gauche, âgé, courbé, dubitatif, ou bien est-ce celui au premier plan, arrivé après tous les dignitaires du monde entier, qui a marché d’un pas assuré depuis le porche jusqu’au transept par le vaisseau central de la nef, puis, Auguste, maître de lui comme de l’univers, est passé devant les dignitaires subjugués assis au premier rang pour rejoindre sa place derrière eux, je vous le demande?