Archives de catégorie : Critiques

Buren

Cette critique a déjà été publiée le 5 décembre 2017. Ce qui m’a conduit à la rediffuser, c’est l’exposition de deux gigantesques suspensions dans les deux nefs principales du Bon Marché à Paris. Avec ces deux grands lustres,  faits chacun d’un accrochage très ordonné de panneaux d’Altuglass (ou équivalent) de forme et de couleur identique, Buren répète sa déclinaison du plastique couleur bonbon acidulé sans la renouveler. Lassant…

Les deux plateaux (Critique aisée n°108)

Vous, vous avez toujours appelé ça les « Colonnes de Buren », mais en fait le titre donné par l’artiste à cette œuvre est « Les Deux Plateaux ». Il y a une explication à cela, mais c’est plutôt rasoir.

Avec Klein suivi de près par Arman, j’avais entamé il y a peu une petite série de photographies intitulée « Les bidons de l’Art « . La photographie que je vous présente aujourd’hui aurait fort bien pu en constituer le troisième élément car voici, selon moi, un très joli exemple d’art bidon. Mais Buren, ses plateaux, ses colonnes et le reste de son œuvre méritaient plus que ça. Alors, voilà :

Commandé en 1983 par François Mitterrand à Daniel Buren sous l’impulsion de Jack Lang, alors Ministre de la Culture, cette installation a déclenché de nombreuses polémiques dès la publication du projet. Les travaux ont été stoppés sous la présidence de Jacques Chirac, et le projet de destruction de ce qui avait été réalisé a failli aboutir. Il a finalement été abandonné devant l’assignation lancée par Buren contre François Léotard, successeur de Lang au ministère de la culture, sur la base du droit moral de l’artiste sur son œuvre. Le projet a donc été mené à son terme, et même rénové entièrement tout récemment.

On ne peut associer les noms de Buren et de Lang sans évoquer ce bruit qui a couru très fort en son temps : en 1983, au moment où Jack Lang passait commande des colonnes, les parents de Daniel Buren lui vendaient leur appartement de la Place des Vosges pour une somme dont la modicité pourrait s’expliquer par la générosité de la commande de l’Etat. Je ne sais absolument pas si cela est la vérité, mais ça y ressemble tellement !

Revenons à l’art, ou à l’esthétique, ou appelez ça comme vous voulez.

Les quelques oeuvres que j’ai pu voir de Buren ne m’ont inspiré ni beaucoup d’émotion ni beaucoup d’admiration.

Tout d’abord, les colonnes : leur très onéreuse répétitivité donne une impression de sécheresse, de désert, d’apocalypse froide.  Par ailleurs, on a le droit de se demander ce que viennent faire là les profondes tranchées qui sillonnent le plateau, pratiquement invisibles et parcourues d’eau, sinon de permettre au passant d’y jeter sa cigarette comme dans un vulgaire caniveau.

Ensuite, quelques panneaux verticaux d’altuglass (ou équivalent) à la —par ailleurs très intéressante— Galleria Continua de Boissy-le-Chatel, m’ont fait penser irrésistiblement à un présentoir-nuancier de panneaux de salle de bain chez Leroy-Merlin.

Et puis, l’énorme exposition Monumenta au Grand Palais, avec son accumulation de disques d’altuglass (encore) placés à différentes hauteurs au-dessus des visiteurs comme d’énormes parasols plats décorés à la manière « sucette rock », un peu migraineux, ou un peu écœurant selon les tempéraments.

Enfin, la transformation ­—heureusement provisoire— par collage de film aux couleurs habituelles sur les magnifiques voiles transparentes de la Fondation Louis Vuitton au Bois de Boulogne, devenues de la sorte une gigantesque papillote pour bonbon acidulé.

Dans les oeuvres de Buren, Ludovic Moreeuw, son biographe, voit ceci :

« Les œuvres de Buren, qui se mesurent à un ensemble de questions liées à la perception, la couleur, l’architecture ou les relations spatiales, visent à permettre une perception directe et à provoquer une réponse sollicitant la sensibilité et la réflexion du spectateur. Son art envahit l’espace pour en révéler les limites à la fois spatiales, institutionnelles et esthétiques.« 

Et Daniel Buren lui-même y voit cela :

« (une) transformation du lieu d’accueil faite grâce à différentes opérations, dont l’usage de mon outil visuel. Cette transformation pouvant être faite pour ce lieu, contre ce lieu ou en osmose avec lui, tout comme le caméléon sur une feuille devient vert, ou gris sur un mur de pierres. Même dans ce cas, il y a transformation du lieu, même si le plus transformé se trouve être l’agent transformateur. Il y a donc toujours deux transformants à l’œuvre, l’outil sur le lieu et le lieu sur l’outil, qui exercent selon les cas une influence plus ou moins grande l’un sur l’autre. »

En fait, moi qui n’ai reçu aucune éducation artistique, ce que je vois dans l’œuvre de Buren, c’est la volonté de jouer avec les effets d’optique, vingt ans après que Vasarely ait commencé à lasser tout le monde, avec les couleurs de supermarché des années 50 et, comme trop d’artistes contemporains, avec les accumulations, les répétitions et les déclinaisons d’une seule idée. Mais laquelle ?

L’Énéïde

Cette Critique aisée porte le numéro 23. Elle a déjà été diffusée en juin 2014.

À Hubert

Cet énorme poème peut être tout aussi connu que l’Odyssée, mais il est certainement moins lu. (En matière de littérature, la renommée et la quantité de lecteurs sont deux choses très différentes) Quand j’ai lu l’Iliade puis l’Odyssée un peu avant trente ans, ce fut un grand choc et un grand plaisir, renouvelé depuis à différents âges.
Aborder Virgile me faisait peur, probablement à cause du qualificatif de poète qui s’attache à lui, et ce n’est que quarante ans après l’Iliade que, grâce à un ami, Hubert, j’ai ouvert l’Enéide. Nouveau choc, nouveau plaisir, à renouveler. L’Enéide est un magnifique et violent roman d’aventures, un tragique roman d’amour, un conte où se mêlent histoire antique et mythologie. Passionnant.
Evidemment, il faut se faire au style. On n’est Continuer la lecture de L’Énéïde

Que faut-il penser d’ Histoire de Dashiell Stiller ?

Des écrivains vous répondent…

La première question qui vient à l’esprit quand on s’interroge sur un roman tel que cette Histoire de Dashiell Stiller est celle-ci : où son auteur se cache-t-il, dans quel personnage ?
Une analyse sommaire du roman pourrait mener à conclure que Stiller, c’est Coutheillas. Stiller est écrivain, Coutheillas voudrait l’être. Dashiell est encore jeune, Philippe pense qu’il l’est toujours… Ceux qui connaissent bien Coutheillas ont pu décliner ainsi les ressemblances avec le photographe américain, mais pour cela, il leur aura fallu patienter car, avant le dernier chapitre, le lecteur ne saura rien de Dashiell, sinon qu’il est tombé amoureux d’Isabelle par une douce fin d’après-midi à Saint-Germain des Prés.
Si légitime que soit ce désir pour l’amateur de romans de découvrir le déguisement de l’auteur, pour le romancier devant l’œuvre de son confrère, ce n’est qu’une recherche superficielle. En effet, il est constant que dans un roman, consciemment ou inconsciemment, l’auteur met de lui-même dans chacun de ses personnages. C’est en cela que je diffère, sans que cela amoindrisse en quoi que ce soit mon admiration pour lui, de Gustave Flaubert, mon frère ainé, quand il clame que Madame Bovary, c’est lui ! A supposer qu’il ait vraiment prononcé cette sentence, ce dont on peut raisonnablement douter, je pense qu’il faut comprendre que Madame Bovary, c’est aussi lui, car Charles aussi, c’est lui, Homais de même, Rodolphe sans doute. N’allez pas vous récrier en alléguant qu’Homais est un imbécile et que Flaubert Continuer la lecture de Que faut-il penser d’ Histoire de Dashiell Stiller ?

LE GRAND MEAULNES (Critique)

LE GRAND MEAULNES
ALAIN-FOURNIER, 1913.

par Lorenzo dell’Acqua

Mon roman préféré pourrait avoir bien d’autres titres en raison des significations différentes qu’il a eues au cours de ma vie : Robin des Bois et la Belle au Bois Dormant en Sologne ou Les Trois Mousquetaires, Le Bon, la Brute et le Truand ou bien encore l’Idéaliste, l’Utopiste et le Passif, et enfin  Augustin, Frantz, Julien, moi et les autres pour faire plaisir aux inconditionnels de Claude Sautet.

Comme celle de la plupart des romans, la lecture du Grand Meaulnes n’est pas la même selon l’âge où on le découvre. Mais, ce qui me semble plus rare, sa vision en change chez un même lecteur avec le temps. Tel a été mon cas. En schématisant, je l’ai lu pour la première fois pendant la préadolescence, une seconde fois pendant l’adolescence et bien d’autres fois à l’âge adulte. Et chaque lecture fut pour moi celle d’un roman complètement différent comme le montrent ces titres imaginaires que je lui ai donnés.

Lors de ma découverte du Grand Meaulnes, je n’ai vu aucune différence avec les aventures d’Ivanhoë et surtout, forêt oblige, de Robin des Bois. Un héros idéal tombe amoureux d’une princesse Continuer la lecture de LE GRAND MEAULNES (Critique)

Faut-il dissoudre le peuple ?

 Voici ce que j’écrivais le 16 novembre 2016. Pour le lire avec profit, il faut d’abord se rappeler que :
— Le Royaume Uni avait voté pour le Brexit le 23/06/2016
— Donald Trump avait été élu Président des États-Unis le 8/11/2016
— Et qu’une élection présidentielle se profilait en France pour le 7/05/2017 avec de fortes probabilités pour que Mlle Le Pen participe au second tour, ou pire.

Êtes-vous de l’avis qu’à ce texte, à part les dates, il n’est pas nécessaire de changer quoi que ce soit ?

 

 Faut-il dissoudre le peuple ?

Pour l’extrême droite comme pour l’extrême gauche et, quelques fois, même pour la gauche non extrême, l’élection de Donald Trump, c’est le sursaut attendu des indignés, des oubliés et des déçus de toutes sortes contre le système, c’est la victoire du peuple contre les élites et des tas d’autres choses tout aussi lyriques et enthousiasmantes.

Bon. Si on veut.

Mais si la victoire du peuple contre les élites, c’est Continuer la lecture de Faut-il dissoudre le peuple ?

J’en ai marre !

Il y a six ans environ, je publiai cette critique de la conversation. Les choses ayant plutôt tendance à empirer dans ce domaine, il devenait urgent que je la publie à nouveau. 

J’en ai marre !

La conversation est sans conteste l’une des activités qui distingue le mieux l’homme de l’animal. Qui plus est, c’est aussi l’exercice qui permet de distinguer l’homme distingué de l’homme tout court. Nos ancêtres, tout au moins ceux d’entre eux qui, depuis Platon jusqu’au baron de Charlus, se trouvaient en haut de leur panier, avaient poussé l’art de converser vers des sommets qui, contemplés aujourd’hui depuis nos marécages embrumés, paraissent bien inaccessibles.
S’il existe plusieurs catégories de conversations, chacune d’entre elles, quand elle est honorablement pratiquée, peut présenter de l’intérêt. On distingue habituellement:

—les propos anodins ou, comme disent les anglais, small talks, les petites conversations, sur le temps qu’il fait, l’augmentation du prix des fruits et légumes ou l’ingratitude des enfants,
—le dialogue, qui est un échange de propos sensés, d’égal à égal, du moins pour le temps de l’exercice,
—la conférence, forme élaborée du soliloque, et sa forme plus modeste, la causerie qui, malheureusement, consistent la plupart du temps à asséner des banalités à des gens qui sont peut-être venus pour ça, mais pas toujours de leur plein gré,
le conciliabule, qui réunit au moins deux personnes pour se mettre d’accord par la discussion sur un certain nombre de points ou de dispositions à prendre, et qui revêt toujours un aspect Continuer la lecture de J’en ai marre !

La règle du jeu

Critique aisée n°234 (Rediffusion)

George Mikes a dit : « La meilleur définition de l’humour que je connaisse est celle-ci : ‘’L’humour est une affirmation de la dignité de l’homme, une façon de déclarer sa supériorité à tout ce qui lui arrive.’’ Je dis que c’est la meilleure définition parce que c’est moi qui l’ai trouvée. »
Eh bien, comme George, je trouve que ma critique de La Règle du jeu est la meilleure que l’on puisse trouver. C’est pourquoi je vous la ressert sans vergogne. 

La Règle du jeu
Jean Renoir – 1939
Marcel Dalio, Nora Grégor, Jean Renoir, Roland Toutain, Paulette Dubost, Julien Carette, Gaston Modot…

La première fois
La première fois que j’ai vu La Règle du jeu, c’était au Champollion. Pas à l’Actua-Champo, non, dans la grande salle, au Champo.
La grande salle du Champollion ! Cent places ? Cent cinquante ? Légèrement en pente, elle était si petite que, pour pouvoir projeter sur un écran de taille acceptable, le propriétaire avait fait installer un système très particulier : par le truchement d’un périscope, le film était projeté sur le mur du fond de la salle où un miroir renvoyait les images sur l’écran. L’Actua-Champo, dont la salle était encore plus petite, ne bénéficiait pas, je crois, de ce système ; c’est dire la taille de l’écran.
Mais la première fois que j’ai vu La Règle du jeu, c’était bien au Champollion, dans la grande salle.
Je devais avoir 17, 18, 19 ans tout au plus. C’était l’été, les vacances… le mois d’août plus précisément. Il faisait chaud, sûrement. J’étais seul. À ce moment-là, je n’avais pas de petite amie, ou alors elle n’était pas là, je ne sais plus. Il devait être 4 heures de l’après-midi et je passais rue des Écoles, probablement à la recherche d’une âme sœur. On n’est pas sérieux quand on a 17 ans et qu’on a des platanes verts sur le Boulevard Saint-Michel.
Il devait faire chaud, je l’ai dit. Je crois même qu’il y avait de l’orage dans l’air, pas au sens figuré, de l’orage, du vrai. L’affiche au-dessus de l’entrée annonçait « La Règle du jeu« . Elle n’était pas bien tentante. C’était l’affiche originale sans doute. On y voyait surtout deux visages, celui Continuer la lecture de La règle du jeu

Averses à La Flotte

Mercredi 3 avril : Pluie ininterrompue à La Flotte
par Lorenzo dell’Acqua

         Quand on ne joue ni aux cartes ni au scrabble, le mauvais temps à la mer oblige à se rabattre sur des activités solitaires. Cette semaine, j’ai lu un roman de Jean d’Ormesson dont le sous-titre aurait pu être : l’Eloge de la Futilité. Contrairement à ce qu’il dit avec une fausse modestie dont il est coutumier, ce livre ou plutôt cette autobiographie, Je dirai malgré tout que cette vie fut belle, est de loin son meilleur roman. Et il faut bien reconnaître que la réalité y dépasse la fiction. Cette constatation me perturbe un peu car il m’est devenu de plus en plus difficile de lire des ouvrages de fiction. Il me semble logique d’aimer les fictions quand on est jeune et que la vie s’offre à nous avec toutes ses possibilités. On y découvre alors les voies que l’on aimerait emprunter ou au contraire celles qui nous rebutent. Mais quand la vie est derrière nous, se plonger dans la fiction ne m’intéresse plus et me semble même absurde. A quoi revenir sur ce que nous n’avons pas réalisé ou su réaliser au cours de notre vie ? Aurais-je dû être un autre ? C’est le début de la dépression, à coup sûr !

         La lecture de ce livre de Jean d’O est troublante Continuer la lecture de Averses à La Flotte

Le joueur d’échecs

Critique aisée n°265

Le joueur d’échecs
Stefan Sweig

Au fur et à mesure de mon exploration post-scolaire, tardive et paresseuse de la littérature, je me suis constitué une modeste collection d’auteurs favoris. Elle comporte forcément un grand nombre de lacunes ; c’est ainsi que je n’ai jamais rien lu de Joel Dicker (en fait si, 40 pages, et je le regrette encore), d’Annie Ernaux ou de Chrétien de Troyes, auteurs consacrés, couronnés et révérés unanimement. Alors, j’ai honte et, de temps en temps, je fais un effort pour sortir de mes habitudes et je vais piocher chez un libraire un de ces livres idolâtrés. C’est exactement de cette manière, par exemple, que j’ai découvert Proust et sa Recherche (je vous ai suffisamment cassé les pieds avec le Petit Marcel pour que vous sachiez ce que j’en pense). C’est aussi comme cela que j’ai découvert avec enthousiasme Bret Easton Ellis, Virgile, Maurice Pons et quelques autres.

Mais ma méthode hasardeuse et autodidacte ne m’a pas donné que des satisfactions, et si je ne suis pas Continuer la lecture de Le joueur d’échecs

Un cœur en hiver

Critique aisée n°213 (rediffusion)

Un cœur en hiver
Claude Sautet – 1992
Emmanuelle Béart, Daniel Auteuil, André Dussolier

Il y a quelques temps, je vous avais donné mes impressions de César et Rosalie. Aujourd’hui, je voudrais vous parler un peu d’Un cœur en hiver et tout d’abord souligner les points communs et les différences qui me sont apparus entre ces deux films.

Les points communs
Premièrement, ils sont tous les deux de Claude Sautet. Deuxièmement, je les avais vus tous les deux à leur sortie. Troisièmement, je les ai tous les deux revus très récemment sur Netflix.

Les différences
Tout d’abord, ils sont Continuer la lecture de Un cœur en hiver