Archives de catégorie : Critiques

Averses à La Flotte

Mercredi 3 avril : Pluie ininterrompue à La Flotte
par Lorenzo dell’Acqua

         Quand on ne joue ni aux cartes ni au scrabble, le mauvais temps à la mer oblige à se rabattre sur des activités solitaires. Cette semaine, j’ai lu un roman de Jean d’Ormesson dont le sous-titre aurait pu être : l’Eloge de la Futilité. Contrairement à ce qu’il dit avec une fausse modestie dont il est coutumier, ce livre ou plutôt cette autobiographie, Je dirai malgré tout que cette vie fut belle, est de loin son meilleur roman. Et il faut bien reconnaître que la réalité y dépasse la fiction. Cette constatation me perturbe un peu car il m’est devenu de plus en plus difficile de lire des ouvrages de fiction. Il me semble logique d’aimer les fictions quand on est jeune et que la vie s’offre à nous avec toutes ses possibilités. On y découvre alors les voies que l’on aimerait emprunter ou au contraire celles qui nous rebutent. Mais quand la vie est derrière nous, se plonger dans la fiction ne m’intéresse plus et me semble même absurde. A quoi revenir sur ce que nous n’avons pas réalisé ou su réaliser au cours de notre vie ? Aurais-je dû être un autre ? C’est le début de la dépression, à coup sûr !

         La lecture de ce livre de Jean d’O est troublante pour moi car elle remet en cause ces justifications discutables. Là, la réalité ou la vraie vie, comme j’appelle aujourd’hui les seuls livres qui me passionnent, est si incroyable qu’elle en devient une fiction. Oui, la jeunesse de Jean d’O. dans les châteaux de sa famille (j’ai toujours eu un faible pour les châteaux où je n’ai pas grandi) est aussi saisissante que celle de Chateaubriand à Combourg. La multitude de personnalités qu’il a rencontrées dont certaines sont aussi des célébrités a quelque chose d’irréel, d’impossible, d’inaccessible pour le commun des mortels. Dernière et troublante interrogation : pourquoi Mitterrand a-t-il voulu avoir son ultime conversation avec lui ?

         Cet ouvrage, je l’ai aimé parce qu’il m’a fait rêver comme l’aurait fait jadis une fiction dans laquelle je me serais projeté avec délices. Le constat est clair : j’aurais aimé vivre sa vie, donc on est bien en pleine fiction. Alors, pourquoi mon rejet, à de rares exceptions près comme celle-là, des ouvrages de fiction en général ? Certains m’auraient-ils plu parce qu’ils n’étaient pas de la fiction mais une réalité en mieux ou en pire, peut-être fausse mais crédible à mes yeux ? Je pense au Grand Meaulnes, aux Trois Mousquetaires ou A la Recherche.

L’art montre des choses belles mais fausses. Oscar Wilde.

         Au Plaisir de Dieu est une magnifique et originale vision du XX ème siècle à travers les yeux d’une famille aristocratique décadente mais attachante. C’est la fin d’un monde qui ne s’est pas aperçu que la mer était basse. Le bateau de leurs principes ancestraux s’est échoué et ne voguera plus jamais. Jean d’O. n’émet pas de regret et ne verse qu’une discrète larme de nostalgie. Il fait une analyse objective de cette évolution dont les protagonistes ne sont mêmes pas responsables. Ils sont les figurants muets et paralysés d’un film d’anticipation auquel ils ne comprennent rien. Jean d’O. y mélange avec élégance la réalité et la fiction, le sel et le poivre, le beurre et l’argent du beurre. Autrement dit, la vraie vie et le roman.

Je me demande si la froideur des pères fait l’extrême sensibilité des fils. Philippe Besson

 Henri Calet

             » … je fus accueilli par une jeune, fraîche et souriante jeune fille qui m’a dit que le musée était fermé le matin… sa robe vert amande m’avait mis le printemps à la bouche « 

             » Le XIV ème arrondissement est un arrondissement très intéressant, mais il n’y passe ni fleuve, ni rivière, ni canal. C’est un arrondissement aride « ..

            « Nous nous promenions dernièrement, un ami égyptien et moi, dans une rue (assez triste) qui longe le jardin des Plantes. La rue de Buffon, je crois. Nous remarquâmes une grande façade claire, décorée de bas-reliefs représentant des animaux sauvages. C’eût pu être un cinéma, ou une gare, mais il n’y avait pas de queue devant la porte. En réalité, c’est le musée du duc d’Orléans (La galerie de Paléontologie). Nous décidâmes d’y entrer, à tout hasard. Le billet ne coûte d’ailleurs que dix francs … Qu’allions-nous voir à l’intérieur ? Nous ne fûmes pas déçus … Il n’y avait personne d’autre que nous dans le grand hall, à part un vieux gardien qui s’était momentanément assis sur la mâchoire inférieure d’une baleine bleue (trente mètres) … Notre visite se terminait. Trois enfants nous avaient rejoints ; ils imitaient entre eux les rugissements des fauves. Il est bon que les enfants aillent là ; ils s’instruisent et s’amusent du même coup ».                                                                  L’aventure empaillée. De ma lucarne, 1949

Un art doit exprimer ce qu’aucun autre art ne peut exprimer

            Picasso l’avait bien dit quand la photo est apparue : « Désormais c’est la photo qui montre la réalité, le peinture doit montrer autre chose ». Son propos illustre bien l’évolution de la peinture qui à cette époque devient de moins en moins figurative. Elle ne pouvait plus se vanter d’être un art irremplaçable, elle avait déjà été remplacée mais dans ce domaine uniquement. Les œuvres de Picasso expriment elles aussi et encore plus la pensée de leur auteur.

            Le cinéma est bien un art car il peut exprimer ce que la littérature et les autres arts ne peuvent pas exprimer.

Dans La Jeune Fille à la Perle retraçant la relation supposée entre Vermeer et sa servante, il est une scène démonstrative. Elle lui prépare ses couleurs qu’elle pose sur la grande table. Sa main demeure immobile à quelques centimètres de celle du peintre. La caméra fixe pendant un temps qui m’a semblé infini les deux mains si proches. Et l’on se demande si elles vont se toucher, se prendre, se caresser. C’est bouleversant. On ne retrouve pas la magie de cet instant dans le livre dont est tiré le film.

Molière. Ce film d’Ariane Mnouchkine est selon moi un double chef d’œuvre narratif et technique. Comme film, il réunit au maximum les trois facettes qu’offre le cinéma : une histoire, des images et une musique. Du jamais égalé. Une scène est aussi un hymne à cet art. Molière enfant est dans une foire de village et une cartomancienne lui prend la main pour lui prédire son avenir. Elle le regarde stupéfaite pendant que la caméra suit un gigantesque ballon aux couleurs vives qui s’élève majestueusement dans le ciel. Elle hésite et lui dit : « dans ta main, je vois, je vois, je vois …. la GLOIRE ».

Le Jour le plus long. La sentinelle allemande de garde dans le blockhaus regarde la Manche à la jumelle avant d’aller se coucher. Le jour se lève à peine. Il ne voit qu’une légère brume sur la ligne d’horizon en ce matin de juin. Il est pour partir mais revient une dernière fois scruter la mer. Et là, ce qu’il découvre et que nous découvrons avec lui est un spectacle hallucinant : la brume se dissipe et apparaît une ligne ininterrompue de navires de guerre alliés qui foncent vers la côte. On est le 6 juin 1944 à l’aube et c’est le début du Débarquement. La scène est incroyable. J’ai appris récemment qu’il y avait plus de soldats anglais que de soldats américains sur les plages de Normandie ce jour-là. Mais qu’ils aient été anglais ou américains, leur sacrifice devrait encore nous émouvoir aujourd’hui.

Dans Out of Africa de Sydney Pollack, il est deux scènes l’une au début et l’autre à la fin du film qui se correspondent. Quand l’héroïne arrive dans la petite gare, elle traverse le pub rempli d’hommes européens qui ne la regardent pas et ne la saluent pas. A la fin du film, après avoir tant donné à ce pays, elle est ruinée et doit regagner le Danemark. Quand elle traverse le pub, cette fois dans l’autre sens pour gagner la gare, tout le monde se lève en silence pour lui rendre hommage. Cette scène noble me tire les larmes. Ce metteur en scène avait commis aussi Petulia, un film délicieux malheureusement tombé dans l’oubli.

Nocturne Indien d’Alain Corneau. C’est la nuit. La caméra en un long et lent travelling balaie la gare de Bombay jonchée de voyageurs en saris multicolores endormis à même le sol. L’adagio du quintette pour cordes de Schubert accompagne cette scène qui dure une éternité. C’est magnifique.

Bambi. Il se retrouve seul après que sa maman a été abattue par des chasseurs. Des biches viennent le chercher et lui montrent la horde.  » Voilà désormais ta famille et le grand cerf majestueux que tu avais aperçu un jour sous les flocons de neige, c’est ton papa « . Là, je me demande si je ne vais pas pleurer à nouveau.

Itinéraire d’un enfant gâté de Claude Lelouch. Bien sûr, on pourrait dire que la scène où Belmondo explique à Anconina comment dire bonjour n’est qu’une scène de théâtre qu’ils auraient pu jouer des centaines de fois. Mais non car elle est unique. Cette scène relève du génie : celui de l’acteur ou celui du metteur en scène ? Je ne connais pas d’autre art qui ait exprimé avec une telle émotion le souci de transmettre.

Amadeus de Milos Forman. La scène montre Salieri pétrifié en entendant une mélodie venue d’un salon du château. Il murmure : c’est la musique des Dieux. Il s’agit de l’adagio du Divertimento opus 10 de Mozart. Comme Salieri, on est surpris nous aussi du contraste entre cette musique à la délicatesse infinie et la vulgarité de son auteur.

Chambre avec vue de James Ivory. La jeune fille avait rencontré lors de sa visite de Florence un jeune homme dont elle était tombée amoureuse. Je ne me souviens pas si cet amour est consommé mais en tout cas il est partagé. Des années plus tard lors d’une party dans le parc d’un château en Angleterre, la maîtresse de maison lit un extrait d’un roman à succès et la jeune fille entend le récit mot pour mot de sa rencontre avec son amoureux en Toscane. L’actrice joue à la perfection et en silence ce qu’elle ressent : surprise, colère et émotion.

Ran de Kurozawa. Les armées aux tenues colorées dessinent de véritables peintures mouvantes sur le relief vallonné. C’est d’une beauté absolue qu’aucune autre technique n’aurait pu restituer.

Richard Lester La Rose et la Flèche. Bien que ce film soit le récit anecdotique des derniers jours de Robin des Bois, c’est un chef d’œuvre absolu. Le thème, la vieillesse d’un héros, est universel car nous sommes tous des héros, à nos propres yeux, parfois aux yeux de notre compagne et rarement de quelques personnes indulgentes. Ce sujet nous concerne donc tous. La fin est terrible. Marianne, son amoureuse de toujours, fait croire à Robin qu’elle lui donne un remède pour soigner ses blessures. C’est en réalité un poison mortel qu’elle absorbera ensuite elle aussi.

            D’autres films sont du cinéma mais ne sont pas de l’art en ce sens que le théâtre ou la littérature auraient pu dire la même chose. Je pense aux films de Woody Allen, d’Éric Rohmer et de la nouvelle vague quand bien même ils se passent en extérieur. J’ai pourtant adoré la Collectionneuse et j’ai été fasciné par l’acteur principal, Patrick Bauchau. Il m’a fallu longtemps pour en comprendre les raisons : P. Bauchau est fils de psychanalyste comme moi et il a en plus exactement la même voix que moi …

La photo est-elle un art ? Une œuvre d’art doit naître de rien : une page vierge, un bloc de pierre, une portée vide, une toile blanche, ce qui n’est jamais le cas de la photo. Ou alors l’œuvre d’art doit exprimer ce qu’aucun autre art ne pourrait exprimer, ce qui est bien le cas de la photo même si ma subjectivité fausse le débat.

         Cette phrase du Guépard de Lampedusa est un roman en soi : « Elle était dangereusement agréable à regarder …« . J’ai terminé Gare Saint Lazare de Betty Duhamel dont la seule critique trouvée sur le net est catastrophique. En plus du faible intérêt du sujet (ce qui n’est pas à mon avis un motif valable pour condamner un auteur) il lui est reproché des fautes de français à foison. Ce roman ne méritait donc pas selon elle d’être publié chez Gallimard. Je ne suis pas d’accord. Au contraire, il fait preuve d’une très grande originalité car la manière d’écrire évolue de la même façon que l’état mental de l’auteur. Au début, c’est une jeune fille de bonne famille dont le style est élégant. Puis, au fil du temps, sa santé psychique se dégrade et son style d’écriture aussi. J’ai trouvé cela poignant. Les dernières pages sont quasiment de la littérature abstraite comme la peinture ou la musique contemporaines. Pour les lecteurs-auditeurs, il n’y a plus de mélodie ni même de musique. Ses propos sont devenus anarchiques, incohérents, voire déments.

         Je me suis plongé dans mes écrits illustrés de Paris des années 2017 à 2020. Le motif était désintéressé et sans arrière-pensée nombriliste. Je cherchais le récit d’Henri Calet racontant sa visite à la Galerie de Paléontologie du Jardin des Plantes en 1949. J’avais pour objectif de demander à Nicolas d’Estienne d’Orves  ou plutôt de faire demander à mon ami Max qui se vante de le connaître s’il connaissait ce texte ancien dont pas un mot ne saurait être changé pour décrire l’atmosphère incroyable qui règne encore aujourd’hui dans ce lieu que lui et moi adorons.

         J’ai d’abord trouvé qu’il s’agissait d’un Journal honnête, un peu fastidieux car répétitif, d’où émergeaient cependant des passages intéressants. Comme si, par moments, ma sensibilité prenait le pas sur l’anecdotique. Le problème est que, le plus souvent, l’anecdote l’emporte. Pourtant, j’ai aimé bien des passages que n’aurait pas désavoué un amoureux de Paris n’acceptant pas la dégradation de la plus belle ville du Monde. Avec le recul, et sans aucune indulgence, il m’a semblé que la majorité des photos étaient belles. Pour qui aime Paris, c’est une balade sans fin dans une ville extraordinaire.

         Qui est capable de dire aujourd’hui ce qui restera de l’œuvre de d’Ormesson dans cinquante ans ? Personne. La même question se pose pour la majorité des auteurs contemporains dont la plupart seront oubliés.

         A ce sujet, il m’est arrivé cette histoire édifiante mais instructive. Un jour de juin, j’attendais dans la salle d’attente d’un médecin et je feuilletais des revues parmi lesquelles il y avait le Monde Littéraire de janvier. Je m’y repris à plusieurs fois mais force était de constater que je ne connaissais aucune œuvre ni aucun auteur dont elle parlait. Pire, même leurs noms ne me disaient rien du tout. Panique invraisemblable ! La seule explication plausible était que j’avais des troubles cognitifs car je suis de près les parutions littéraires contemporaines. Je ne pouvais donc pas ignorer tout ce qui était paru en janvier. Je regarde à nouveau la couverture et je m’aperçois avec un immense soulagement (pour moi mais pas pour les écrivains) que ce numéro était bien de janvier mais d’il y a dix ans ! D’ailleurs, cette revue avait cessé de paraître depuis plusieurs années. Autrement dit, dix ans après, la quasi-totalité des écrivains et de leurs œuvres étaient tombés dans l’oubli le plus total. Cruelle expérience pour nous autres les écrivains en herbe.

         Parmi les auteurs actuels promis à une postérité méritée, je ne vois que Modiano et Houellebecq. J’ai déjà donné mes raisons pour Modiano. Pourquoi ses romans intimistes, répétitifs à outrance, sans valeur morale, ont-ils pu mériter le Prix Nobel ? Parce qu’ils expriment poétiquement ce qu’est la Mémoire, avec ses lacunes, ses approximations, ses modifications, ses oublis et ses rajouts comme nous le révèlent aujourd’hui les neurosciences. C’est là le génie des grands écrivains qui, bien que n’ayant aucune connaissance ni compétence, anticipent les découvertes objectives de la science. Je reste émerveillé par tous ceux qui ont su interpréter les comportements de leurs contemporains sans avoir la moindre formation en psychologie.

         Il est d’autres écrivains dont le drame ne cesse de me troubler : ceux qui ont la plus belle écriture mais qui ne sont pas et ne seront jamais de grands écrivains comme Jérôme Garcin, Pierre Assouline, Emmanuel Carrère et bien d’autres. Comment les reconnaitre ? C’est facile : ils ont écrit plus de biographies et de récits que de romans. Je ne leur jette pas la pierre, bien au contraire. Quelle torture de ne pas pouvoir inventer une fiction que leur style magnifierait. Mon ami Philippe n’est pas d’accord. Il considère qu’en littérature, seul le style compte alors que selon moi il n’y a pas de grand auteur sans histoire, grande ou petite. Le style est un don mais il n’est pas le résultat d’efforts. C’est une qualité innée comme la couleur des yeux ou la sonorité de la voix. Autrement dit, le style est un talent qui relève de la loterie mais pas du génie. En revanche, l’invention d’une histoire avec des comportements cohérents, une justesse psychologique, une portée philosophique relèvent du génie.

Le joueur d’échecs

Critique aisée n°265

Le joueur d’échecs
Stefan Sweig

Au fur et à mesure de mon exploration post-scolaire, tardive et paresseuse de la littérature, je me suis constitué une modeste collection d’auteurs favoris. Elle comporte forcément un grand nombre de lacunes ; c’est ainsi que je n’ai jamais rien lu de Joel Dicker (en fait si, 40 pages, et je le regrette encore), d’Annie Ernaux ou de Chrétien de Troyes, auteurs consacrés, couronnés et révérés unanimement. Alors, j’ai honte et, de temps en temps, je fais un effort pour sortir de mes habitudes et je vais piocher chez un libraire un de ces livres idolâtrés. C’est exactement de cette manière, par exemple, que j’ai découvert Proust et sa Recherche (je vous ai suffisamment cassé les pieds avec le Petit Marcel pour que vous sachiez ce que j’en pense). C’est aussi comme cela que j’ai découvert avec enthousiasme Bret Easton Ellis, Virgile, Maurice Pons et quelques autres.

Mais ma méthode hasardeuse et autodidacte ne m’a pas donné que des satisfactions, et si je ne suis pas Continuer la lecture de Le joueur d’échecs

Un cœur en hiver

Critique aisée n°213 (rediffusion)

Un cœur en hiver
Claude Sautet – 1992
Emmanuelle Béart, Daniel Auteuil, André Dussolier

Il y a quelques temps, je vous avais donné mes impressions de César et Rosalie. Aujourd’hui, je voudrais vous parler un peu d’Un cœur en hiver et tout d’abord souligner les points communs et les différences qui me sont apparus entre ces deux films.

Les points communs
Premièrement, ils sont tous les deux de Claude Sautet. Deuxièmement, je les avais vus tous les deux à leur sortie. Troisièmement, je les ai tous les deux revus très récemment sur Netflix.

Les différences
Tout d’abord, ils sont Continuer la lecture de Un cœur en hiver

Itinéraire d’un enfant gâté

 

Itinéraire d’un enfant gâté
Claude Lelouch, 1988
par Lorenzo dell’Acqua

Itinéraire d’un enfant gâté est un film de Claude Lelouch qui va à l’encontre de mes théories sur la vanité des fictions. Celui-là en est une particulièrement invraisemblable. L’histoire ne tient pas debout. Et pourtant, ce film me tire des larmes chaque fois que je le revois. L’émotion naît chez moi non pas de l’horreur qui ne me fait pas pleurer mais changer de chaîne, elle naît au contraire de la noblesse d’âme et de sentiments. Et dans ce film, on est servis ! L’histoire n’est pas crédible mais les sentiments des personnages sont vrais et bouleversants. C’est de l’amour, non pas à la Lelouch, mais à la louche. Depuis la première vision,  je trouve que c’est une ode à la paternité dont je ne connais pas d’autre exemple dans le cinéma. C’est aussi un film rempli de bienveillance même s’il y a, comme dans la vraie vie, des méchants très méchants. La scène Continuer la lecture de Itinéraire d’un enfant gâté

Bricoles sans suite et non démoralisantes

On m’a dit que récemment, mes textes étaient plutôt démoralisants.
Démoralisants ? Parce que, le moral, vous l’aviez, vous ?
Ah bon ?
Alors voici quelques bricoles non démoralisantes.

Deux films en deux jours

En deux jours, je viens de revoir deux films, un vieux et un récent, deux comédies pleines de charme, réalisées à 70 ans de distance, par deux des plus grands réalisateurs américains, sur des scénarios écrits par deux artistes juifs ostracisés l’un par McCarthy et l’autre par #Metoo, avec deux comédiennes adorables et deux jeunes premiers de leur temps, tournés en décors naturels dans les deux villes qui, en dehors de Paris, sont mes préférées, Rome et New York.

Vous avez deviné sans doute : ces deux films sont Vacances Romaines et Un jour de pluie à New York, l’un réalisé par William Wyler sur un scénario de Dalton Trumbo, l’autre par Woody Allen sur son propre scénario, l’un avec Audrey Hepburn et Gregory Peck, l’autre avec Elle Fanning et Timothée Chalamet, l’un à Rome dans le Centro Storico, l’autre à Manhattan dans le Village et Upper East Side. Les deux films sont des Continuer la lecture de Bricoles sans suite et non démoralisantes

Rendez-vous à cinq heures avec une façon d’aimer

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Critique littéraire
par Lorenzo dell’Acqua
Une façon d’aimer
Dominique Barberis, 2023

A la différence de Modiano, D. Barberis, l’auteur du roman « Une façon d’aimer », ne se nourrit pas de bribes de souvenirs mais de bribes de témoignages. Son imagination comble les vides pour inventer une histoire cohérente alors que celles de Modiano restent toujours floues. Son roman, plus proche de Maupassant, est criant de vérité en particulier sa description de la vie coloniale en Afrique à la fin des années cinquante ; on s’y croirait.

 « Une façon d’aimer » est une histoire banale comme en vivent beaucoup de gens dont on n’entendra jamais parler et qui ne seront jamais des héros. Aux yeux de son auteur, ils le sont autant que Madame Bovary. Ses personnages obscurs, pour ne pas dire quelconques, ressentent un jour la même chose que les personnages de romans : la passion. D. Barberis nous dit que la passion existe aussi chez ceux qui, intellectuellement, culturellement, socialement, n’en sont pas les protagonistes classiques. Elle redonne leurs titres de noblesse à tous ceux qui ont connu pour de vrai ce que les romans racontent pour de faux. Eux, ils l’ont vécue, ils en ont souffert et parfois ils en sont morts. Qui le dit, qui le raconte, qui le sait ? C’est surement une de ses qualités de réussir à intéresser les lecteurs à des gens banals dont l’histoire n’est exceptionnelle Continuer la lecture de Rendez-vous à cinq heures avec une façon d’aimer

Histoire de Dashiell Stiller – Critique aisée n°264 (texte intégral)

Pour ceux qui n’aime pas les textes en petits morceaux, voici la critique aisée 264 à lire d’une traite.

Histoire de Dashiell Stiller
Philippe Coutheillas, 2023
Amazon, 419 pages, 12€

 Il m’arrive parfois de quitter le second degré ; il m’arrive aussi de quitter nuance, réserve et modestie et généralement, ça se produit en même temps. En voici la preuve :
J’ai relu Histoire de Dashiell Stiller. Il le fallait : c’était nécessaire pour les corrections d’épreuves avant publication. Mais c’est aussi par goût que je l’ai fait et, comme je le disais l’autre jour dans une critique plus lapidaire parue fin août dernier : j’ai aimé ce que j’ai lu.

Oui, j’ai aimé. Cela vous surprend, n’est-ce pas, de lire ici ce genre d’aveu ? Ce sont des choses qui ne se font pas : c’est fichtrement casse-gueule, c’est un faux-pas, une faute de goût, et, pire, c’est une erreur.
Eh bien, c’est peut-être une erreur, mais c’est comme ça. L’âge venant, l’envie vous prend de plus en plus souvent d’être franc. Et puis, faire l’élégant, le modeste, le nonchalant, le détaché, ça finit par vous définir : les gens pensent que vous ne croyez pas à ce que vous faites ; Continuer la lecture de Histoire de Dashiell Stiller – Critique aisée n°264 (texte intégral)

Que faut-il penser d’ Histoire de Dashiell Stiller ? (9)

A peine sorti de presse, l’Histoire de Dashiell Stiller déclenche les polémiques auxquelles les ouvrages de Philippe Coutheillas nous ont habitués.
Histoire de Dashiell Stiller… Roman d’aventures, autofiction, roman historique, histoire d’amour, roman à l’eau de rose, roman de l’été, bide de l’année… tout à été dit.
Mais que peut-on en penser, que FAUT-il en penser ?

Des écrivains vous répondent…

Moi, j’avais jamais rien dit, rien demandé. Rien. Ça m’est arrivé comme ça, un matin, par la poste. Normalement, je reçois rien par la poste, que des cadavres de chat, des cloportes empaillés, des merdes dans de la cellophane et des lettres d’injures. Que des amis qui m’envoient ça ! Des copains d’avant comme ils disent à l’ORTF. Ça prouve au moins qu’ils pensent à moi. D’avant quoi, les copains ?  D’avant la guerre, c’est sûr ! La Grande, je veux dire. Z’ont pas aimé mes souvenirs d’au bout de la nuit alors ils m’envoient des leurs, des souvenirs bien frais de leurs entrailles, des trucs qu’ils ont libérés hier soir dans du papier bonbon en faisant bien attention de pas se salir les doigts. C’est pour offrir qu’ils disent. Moi, je m’en fous de leurs attentions. Je les balance dans le jardin et c’est mes chiens qui Continuer la lecture de Que faut-il penser d’ Histoire de Dashiell Stiller ? (9)

Rendez-vous à cinq heures avec les souvenirs

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Aimer Modiano

Chaque fois que nous évoquons un souvenir, nous le modifions.

Sa profession médicale et les hasards de la vie nous firent nous retrouver par hasard cinquante ans plus tard. Nous parlâmes de cette époque avec nostalgie. Comme j’évoquais ma passion pour Patrick Modiano, elle me demanda si je me souvenais de la soirée passée chez Dominique Zerhfuss, une de ses amies d’enfance et future femme de l’écrivain. Dans son souvenir, il s’agissait d’un magnifique appartement du quai Anatole France donnant sur la Seine et les Jardins des Tuileries où nous étions allés ensemble. Je suis absolument certain n’y être jamais allé et, d’ailleurs, je n’ai pas non plus le moindre souvenir de Dominique Zerhfuss. Lisant ce soir une biographie de Modiano, je m’aperçois qu’il s’est marié en septembre 1970. Continuer la lecture de Rendez-vous à cinq heures avec les souvenirs

Jacques Perret épinglé –  Critique aisée n°17

Personne ne lit plus Jacques Perret et c’est bien dommage. J’espère vous en donner l’envie en rediffusant cette Critique aisée n°16, déjà parue le  18 Avril 2014.

« Jacques Perret était un homme contre, un homme du refus. Rien de ce qui était français ne lui était étranger. Folliculaire de la réaction, écrivain du transcourant « plume Sergent-Major », styliste hors-pair qui buvait avec soin afin d’éviter tout faux-pli dans le jugement, il eut la faiblesse de ne jamais dire non à l’aventure et au voyage. Il tenait la littérature pour un art d’agrément qui aurait pris tournure de gagne-pain. Il aimait Aymé et aussi Bloy, Blondin, Conrad, Dos Passos ; il en tenait pour le duc d’Anjou et la dimension sacrificielle de la messe selon saint Pie V. J’avais été à sa rencontre à la fin de ses jours, dans son appartement près du Jardin des Plantes où il cachait son bonheur d’être Français. Il avait quelque chose du Jacques Dufilho, de Milady et du Crabe-tambour, les traits comme les idées, mais en moins âpre, plus doux. Dans sa chambre, il y avait deux cadres : dans l’un, le grand Turenne ; dans l’autre, son grand frère. »

Voilà ce qu’en 2011 Pierre Assouline écrivait sur son blog à propos de l’auteur du Caporal Epinglé. Je ne saurais dire mieux ou plus, donc je vais me taire,  mais avant, je vous dis : Continuer la lecture de Jacques Perret épinglé –  Critique aisée n°17