Une autre traversée de Paris

Le moral n’est pas au plus haut, c’est la saison des soldes, mais à la campagne, y’en n’a pas, le temps tourne à l’orage et la flemme règne en maitre. Alors voici un texte, auquel je ne mettrai qu’un 10/20, mais qui vous rappellera un peu Paris. 

Il est cinq heures.

Le jour se lève.

Au Bomby’s café de la Place d’Italie, un homme noir en bleu de travail est accoudé au comptoir devant une tasse de café. Son corps est entièrement relâché et sa silhouette forme une sorte de S. Son regard est ailleurs.

Un chien remonte en trottinant le boulevard Auguste Blanqui. Il connaît les jours et les heures du marché Corvisart. Un camion s’arrête pour le laisser passer.

Il est huit heures.

Rue Gay-Lussac, une femme cherche désespérément la rue d’Uhélème. Elle entre au café pour demander son chemin. Ici, on ne connaît que la rue d’Ulm. C’est déjà ça.

Rue Saint-Jacques, il y a cette jeune femme qui pleure dans son iPhone. Devant l’église Saint Jacques du Haut Pas, elle croise sans le voir un enfant qui rit parce que les pavés du parvis font tressauter sa patinette et trembler ses joues. Devant l’école communale, il attache sa machine à une grille et franchit en courant le porche sous le drapeau.

Il est en retard.

Un homme en habit vert descend lentement la rue Soufflot. Un téléphone collé à la joue, il pousse devant lui une poubelle à roulettes dans laquelle est planté un balai. A la terrasse du Comptoir du Panthéon, un garçon de café, les pouces dans les poches de son gilet, plateau et serviette sous le bras, le regarde passer. Il échange une plaisanterie avec un client et ricane.

Un car cellulaire remonte le boulevard Saint-Michel à vive allure. Il vient du Palais de Justice et file vers la Santé. Des doigts apparaissent aux grilles qui protègent ses fenêtres. Devant l’entrée du Luxembourg, une jeune fille s’arrête et regarde les doigts.

Il est midi.

Sur le bassin, les voiliers du Luxembourg virent ensemble sous une risée et s’emmêlent sous le jet d’eau, entourés de canards, d’enfants et de mères.

Un homme et une femme se sont donné rendez-vous place Saint Sulpice. Arrivée en avance, et sans pouvoir décider de quel côté attendre, elle commence à tourner autour de la fontaine.

À Saint-Germain des Prés, devant l’église, un minibus noir est arrêté, entouré de lentes silhouettes. De l’autre côté de la place, trois américaines boivent du chardonnay à la terrasse.

Il est trois heures.

Sur la Passerelle des Arts, des hommes en bleu arrivent en groupe. Ils commencent à cisailler les garde-corps pour libérer les dizaines de milliers de cadenas d’amour que des vingtaines de milliers d’amoureux y ont accrochés. « Comme c’est dommage ! » dit un passant. Un autre demande : « Mais que vont-ils en faire sans les clés ? » Plus loin, un touriste argentin regarde couler la Seine. Il est seul et s’ennuie.

Aux Tuileries, un groupe d’asiatiques entoure un guide à parapluie. Un moment, ils observent la voûte de l’arc de triomphe du Carrousel, puis chacun se prend en selfie. Une femme Rom s’approche et tente de leur vendre une bague qu’elle prétend avoir trouvée à leurs pieds. Ils s’éparpillent.

Sur la place de la Concorde, du haut de la nacelle n°12 de la grande roue, un couple avec enfants observe en dessous de lui la circulation prise en masse. Un autobus à impériale lutte avec une camionnette couverte d’échelles et de tuyaux pour atteindre le passage qui leur permettra de franchir la zone de travaux. Une procession de gyrophares piétine avec fureur pour franchir le pont.

Le soir et la pluie se mettent à tomber.

Il est cinq heures.

Rue du Faubourg Saint-Honoré, sur le bitume, les feux des voitures se mélangent aux lumières des magasins. Deux femmes descendent d’une limousine sous le parapluie que brandit leur chauffeur. Elles entrent en riant chez Louboutin.

Place de l’Opéra, sous la verrière du Grand Hôtel, quelques américains commencent à dîner. A moins qu’ils ne soient anglais.

Un peu plus loin, Old England a définitivement fermé. Les palissades annoncent pour bientôt la plus grande boutique de montres de luxe de Paris et au-delà. Un militaire entre dans un restaurant.

Il est huit heures.

La pluie cesse.

Le fleuve qui roule sur le trottoir des Capucines se divise entre la file d’attente pour les adieux d’une vedette de la chanson, l’attroupement devant la façade du théâtre Édouard VII, et les derniers instants de solde d’un magasin de vêtements pour jeunes gens à tendance américaine.

Gare Saint-Lazare, l’heure de l’affluence est passée. Pourtant, devant les fausses valises empilées, une dizaine de personnes, hommes et femmes, attendent. Elles ont rendez-vous, mais pas les unes avec les autres.

Rue Jean-Baptiste Pigalle, un autocar décharge sa cargaison devant le Paris-Follies. Le Comité d’Entreprise des Transports Bricard de Sarreguemines passe sous l’enseigne en se poussant du coude.

Il est dix heures passées. Il va sûrement pleuvoir.

Place du Tertre, les clients de La Crémaillère sortent par groupes. Ils chantent la Complainte de la Butte en finissant d’enfiler leur manteau. Ils vont bientôt descendre les escaliers du Sacré Cœur jusqu’au square d’Anvers. Peut-être y a-t-il encore un bistrot ouvert.

Il pleut.

Il est deux heures.

Au Tabac Le Clignancourt, un chauffeur routier a garé son semi-remorque devant l’arrêt d’autobus pour un café croissant. Le moteur tourne.

Le jour se lève.

Il est cinq heures.

Paris s’éveille.

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