— Et là, tu vois, tout s’éclairait, tout s’arrangeait. Patricia était redevenue tendre, on allait déposer Walter dans son summer camp et on allait être tranquilles, tous les deux, pendant des jours et des jours… et des nuits.
— Et ça ne s’est pas passé comme ça, bien sûr !
— Ben non… Pas tout à fait… Mais quand même un peu…
— Pauvre cloche, va !
Nous sommes partis dans la petite Coccinelle bleu métallisé de Patricia, elle au volant et moi à côté. A l’arrière, Walter partageait la banquette avec une glacière que Patricia avait préparée pour notre pique-nique. Juste avant que nous quittions la maison, je l’avais entendue se disputer avec son frère et depuis, Walter n’avait plus dit un mot. Il faisait la gueule en regardant fixement dehors à travers la vitre. Au début du voyage, Patricia avait tenté de rétablir la communication en vantant le Sparrows sailing summer camp où il allait passer les deux prochaines semaines, la plage sur la baie de Chesapeake, les dériveurs, les soirées feu de camp, les chahuts dans les chalets, le spectacle de fin de séjour. Elle même y était restée tout un mois l’été de ses quatorze ans et elle en avait gardé un formidable souvenir. Bien sûr, le camp des garçons était séparé de celui des filles, mais elle se souvenait de deux ou trois endroits pas très bien surveillés qui permettaient de passer d’un camp à l’autre… À tous les avantages qu’énumérait Patricia, son frère se contentait de répondre « M’en fous !» avant de retomber dans sa contemplation du paysage. Patricia a fini par abandonner l’espoir de le réconforter. Ensuite elle m’a demandé de raconter mon voyage et j’ai entrepris de lui en livrer une version expurgée.
Après Annapolis, Patricia a suivi la route côtière jusqu’à ce que nous tombions sur l’entrée du camp. Nous étions en retard et il y avait déjà une foule de parents et d’enfants qui se faisaient leurs adieux, tragiques, inquiets ou joyeux. Compte tenu de l’état d’esprit de Walter, Patricia fit tout pour abréger les présentations et les formalités. Au bout d’un quart d’heure, elle était revenue à la voiture auprès de laquelle je l’attendais. Elle s’est assise au volant et s’est immobilisée un instant, puis elle a poussé un grand soupir et elle a démarré la voiture. Enfin, tout en dirigeant la Coccinelle vers la sortie du camp, à mi-voix, comme pour elle-même, elle a prononcé ces mots :
— Et maintenant, allons-y !
— À partir de là, mon vieux, la journée est devenue formidable. Tout en roulant, Patricia me racontait la baie de Chesapeake, le paysage autour de nous, les merveilleuses vacances qu’elle avait passées au Sparrows summer camp ; elle me décrivait ce qu’elle avait préparé comme piquenique — pastèque, poulet grillé, ice-cream — me demandait si j’aimais ça. Elle avait même pris deux bouteilles de vin rosé. Elle était souriante, douce, joyeuse même, tu ne peux pas savoir !
— Mais si, mon vieux, je sais. J’étais là.
— On a pris un grand pont sur la baie, on a roulé encore un peu vers le sud et puis elle a pris un chemin de sable sur la droite. On s’est arrêté au pied des dunes à côté de trois ou quatre voitures qui étaient garées là. Chastement, chacun de notre côté de la voiture, on s’est mis en maillot de bain et on a traversé la dune en portant la glacière et nos serviettes de bain.
Marée basse, grand beau. La plage est infinie, splendide. De loin en loin, il y a des cerfs-volants, des parasols, des ballons, des gens allongés sur des serviettes, des enfants à genoux dans les flaques, des chiens. Je suis assis sur le sable. Patricia a ouvert la glacière et j’ai débouché la première bouteille de vin. Elle coupe la pastèque et m’en sert une tranche. Nous mangeons, nous buvons. Je verse le vin dans son gobelet et ma main frôle son genou. Je pense à ce qui va se passer tout à l’heure et surement elle y pense aussi. Embarrassée par cette rêverie, notre conversation s’éteint et meurt. C’est elle qui parle en premier :
— Tu viens te baigner ?
Doucement balancés par les premières vagues de la marée montante, nos corps se rapprochent et enfin se touchent. Nous flirtons dans l’eau froide.
Notre retour sur le sable est silencieux, un peu emprunté. Nous nous allongeons sur nos serviettes, côte à côte. Chacun de nous fait semblant de reprendre son souffle. Silence.
— Ouf ! C’était agréable, non ?
— Oui. Très.
Nouveau silence.
Je me tourne vers elle, je passe mon bras sous son dos, je l’embrasse. Elle me rend mon baiser. Bientôt, et pour la première fois depuis hier soir, je la retrouve comme au premier instant dans notre chambre d’hôtel du Quartier Latin. Et puis, doucement :
— Non… Il y a du monde… Non, vraiment, non… Arrête…
Un peu frustré, je me redresse brusquement et verse ce qui reste de rosé dans nos gobelets.
— Ne fais pas l’enfant, Philippe. Il y a du monde partout.
— Et alors ? On peut bien s’embrasser un peu, non ?
— Pas comme ça, allongés sur une plage, en maillots de bain… ce n’est pas très bien vu. C’est le Maryland, ici. Des gens pourraient se plaindre. Nous pourrions avoir des ennuis.
Long silence tendu, et puis :
— Parle-moi. Raconte-moi des choses… ce que tu as fait en Arizona… je ne suis jamais allée en Arizona… il paraît que c’est très beau là-bas… raconte-moi.
Alors je raconte, d’abord de mauvaise grâce : Flagstaff, Bill, le Museum Club, les indiens Hopi, Oak creek, et puis plus vivement l’Hudson 1951, le Grand Canyon, Los Angeles… Bien sûr, je ne dis pas un mot de Tavia ni, à part le fait de m’être fait voler, de ma nuit du 4 août à Santa Monica. Quand Patricia me demande pourquoi j’ai quitté mes compagnons de voyage, je dis que nous n’étions pas d’accord sur la suite : ils voulaient suivre la route côtière jusqu’à Seattle tandis que moi, je voulais qu’on reparte vers l’est, autrement dit vers Bethesda. On s’était disputé, je les avais plantés là et j’étais reparti en stop pour la rejoindre. Je continue à raconter, j’atténue, je transforme, j’invente, je mens. Sans problème, je m’étends sur Julius, sujet confortable, puis sur Elisabeth Sherman-Vance, sa grosse voiture, ses propositions indécentes et mon refus plein de dignité. Patricia m’écoute, allongée, les yeux fermés, sans m’interrompre, sans poser de question. On dirait que la tension entre nous est retombée. Tout va bien… Soudain, elle se lève et dit :
— J’ai froid. Viens…
Nous avons rejoint la route et Patricia a tourné à droite vers le sud. Nous vous roulé quelques minutes encore et sur notre droite a surgi un modeste panneau de bois à la peinture blanche écaillée. En lettres bleu pâle à peine lisibles, il disait : Candlewood Motel – 5 miles. Patricia a freiné brusquement et pris le chemin que le panneau indiquait.
A SUIVRE
Sachez brave gens, qu’en Amérique les plages ne sont pas celle de Trousse chemise chantée par Aznavour. On n’y rigole pas avec la pudeur.
Avec la paix non plus, à Oslo en tout cas. Pauvre Donald, il n’a pas eu son Nobel Prize. Snif! C’est d’abord une femme qui l’a eu, coin coin, c’est ensuite parce qu’elle incarne la démocratie face à ce gros lourdeau macho Maduro (toute ressemblance etc), coin coin, c’est enfin parce que le Prix Nobel de la Paix n’est pas forcément attribué à un bricoleur de paix, coin coin! Albert Camus l’as eu, Barack Hussein Obama l’as eu, coin coin coin….!