Tous les articles par Philippe

Sassi Manoon et les Texas Rangers

Serena Foster était née en 1888 dans la bonne société New-yorkaise. Après vingt ans d’une vie de luxe et de volupté, de plaisirs et de vanités, elle décida d’entrer dans les ordres. Elle avait alors 38 ans. Comme c’est l’usage, elle changea son prénom et choisit celui de Madeline en référence à ce qui la rapprochait, croyait-elle, de Sainte Marie-Madeleine, à savoir le péché et la rédemption.  C’est ainsi qu’elle devint Sister Madeline. Une fois ses vœux prononcés, et après une courte formation d’infirmière sage-femme, Sister Madeline fut envoyé en Louisiane, à Chattawbannack, pour y diriger le petit dispensaire-orphelinat qu’un magnat du pétrole y avait fondé pour racheter son âme au diable et réduire ses impôts. L’ile de Chattawbannack est située sur la Sabine River qui marque la frontière entre Texas et Louisiane. C’est l’endroit le plus chaud, le plus humide, le plus isolé, le plus désolé des endroit chauds, humides, isolés et désolés de cet état qui en compte beaucoup plus que n’importe quel autre état des États Unis. A cette époque, aucun pont ne reliait l’ile à la terre ferme et le seul lien entre le dispensaire et la civilisation était un émetteur radio et un petit bateau à moteur qui descendait la Sabine une fois par mois jusqu’à Pine Bluff pour aller chercher le Docteur Onemore-Fortherode, un vieux médecin anglais, original et alcoolique qui s’était installé dans la région pour s’adonner à  sa passion, sa collection d’alligators.

A son arrivée à Chattawbannack, deux ans avant les évènements que nous allons raconter, Sister Madeline avait été accueillie avec Continuer la lecture de Sassi Manoon et les Texas Rangers

Chandler, Thompson, Williams et Westlake

J’aime la Série Noire depuis longtemps et je dis pourquoi dans le texte ci-dessous. Ce texte, publié une première fois le 5 mai 2016, c’est ma Critique Aisée, la 75ème, de cette collection qui fit les beaux jours de mes nuits d’adolescent et d’adulte. Dans les Séries Noires, comme le dit la citation de Marcel Duhamel que je reproduis ci-dessous, il y a « de l’action, de l’angoisse, de la violence, du tabassage et du massacre », mais s’il n’y avait que ça, autant lire du Fleuve Noir, cette laborieuse copie de la Série Noire. Non, dans la Série Noire, il y a, presque toujours en tout cas, du style, du style dans l’écriture et dans les personnages,  Raymond Chandler avec son Philipp Marlowe, Jim Thompson et son Nick Corey, Charles Williams et son Oncle Sagamore Noonan, Donald Westlake et son John Dortmunder…
Plusieurs fois je me suis inspiré de la Série Noire pour écrire des histoires plutôt courtes, sortes de pastiches, ou plutôt d’hommages à ces écrivains véritables et mal connus. Demain, je rediffuserai ici une aventure de Sassy Manoon. 

Série Noire

La Série Noire a soixante-dix ans. Une gamine. Voici ce que Marcel Duhamel disait en 1948 de la collection qu’il avait créée : Continuer la lecture de Chandler, Thompson, Williams et Westlake

Go West ! (105)

(…) Soudain, elle se lève et dit :
— J’ai froid. Viens…
Nous avons rejoint la route et Patricia a tourné à droite vers le sud. Nous vous roulé quelques minutes encore et sur notre droite a surgi un modeste panneau de bois à la peinture blanche écaillée. En lettres bleu pâle à peine lisibles, il disait : Candlewood Motel – 5 miles. Patricia a freiné brusquement et pris le chemin que le panneau indiquait.

Samedi 18 août 1962 – Candlewood Motel, Apartment n°9Trappe, Md.

Ç’aurait dû être notre première vraie nuit ensemble, entière, comblée… Mais, encore une fois, ça ne s’est pas passé comme ça.

Dimanche ; c’est le petit matin, gris foncé. Dehors, le vent ne souffle plus ; la pluie tombe, verticale ; une pluie moyenne, régulière ; on dirait qu’elle est là depuis toujours et qu’elle n’aura pas de fin. J’écoute son pianotement sourd sur le toit de notre chambre. Dans un crépitement plus clair, les gouttes d’eau éclatent sur le bois de la terrasse. La glacière que nous y avons oubliée hier soir est restée ouverte. Ce qui reste des sandwiches va être fichu.  Par-dessus l’étroit ruban d’asphalte rongé par le sable qui nous a mené jusqu’au Candlewood Motel, au-delà de la plage hérissée d’herbes sauvages, à travers le rideau imprécis de la pluie, je contemple l’eau grise et plate de la baie de Chesapeake. Au loin, le faible éclat d’un phare surgit de temps en temps. Derrière moi, Patricia a fini par s’endormir. Son épaule et ses cheveux émergent seuls du drap qui sculpte son corps couché sur le côté. Mais elle bouge un peu, et, d’un seul mouvement, elle repousse le drap et se lève. Elle vient jusqu’à la baie vitrée et se plante à côté de moi, sans me toucher. Je n’ose pas la regarder. D’une voix neutre, elle dit :
— C’est drôle, la tempête s’est calmée.
Et puis, découvrant la glacière ouverte sous la pluie, elle ajoute :
— Il va falloir jeter tout ça. On va rentrer…
Puis elle traverse la pièce et Continuer la lecture de Go West ! (105)

Le JdC vs Le Figaro

Il m’arrive de lire Le Figaro ; pas sous forme papier, non, sauf quand je suis dans un café, mais vous savez que c’est assez rare. Je le lis sur internet, plus précisément sur mon téléphone. Dans la plupart des cas, je ne lis que ce qui apparait dans le mail que je reçois du journal, c’est à dire le titre-résumé.

À propos des articles du Figaro, j’ai deux remarques préliminaires à présenter. Elles sont hors sujet, mais je profite de l’occasion parce que « c’est pas tous les jours que je peux dire ce que je pense. »
1ère remarque :
— depuis plusieurs mois, étrangement, les nouvelles sont toutes mauvaises. Bizarre, bizarre…
2ème remarque, mais en trois points :
a) les articles du Figaro sont courts : ils ne consistent en général qu’en un bref développement du titre lui-même.
b) ils sont répétitifs, c’est à dire qu’ils redisent plusieurs fois en des termes à peine différents  ce qui a été déjà dit quelques lignes plus haut.
c) ils ne sont pas documentés, dans la mesure où ils exposent des faits ou des idées sans préciser quel est le témoin ou l’homme politique qui les a présentés.
Voilà pour le hors-sujet.

Mais aujourd’hui, Continuer la lecture de Le JdC vs Le Figaro

Pennac et Lorenzo

« Je l’ai rencontré à Beaubourg. Un homme qui suivait les visiteurs et qui les photographiait, de dos, dès qu’ils regardaient une toile. Son extrême discrétion, sa ténacité, le caractère systématique de ce que j’ai d’abord pris pour une manie, m’ont tant intrigué qu’à mon tour je me suis mis à suivre ce photographe clandestin. Y compris dans les rues. À ma grande surprise, il m’a entraîné de musée en musée, où il continuait son travail énigmatique. J’ai mis un certain temps à découvrir qui il était, ce qu’il faisait, et comprendre enfin que j’assistais à la création d’une œuvre profondément novatrice. Mon photographe saisissait les relations innombrables qui unissent les visiteurs de tous les musées aux créateurs de tous les temps. Ce faisant, il écrivait ce que j’appelle ici Le roman des regards.« 

Daniel Pennac.

Le Roman des regards sortira en librairie le 16 octobre prochain.

Pour acheter ou seulement pour en savoir davantage, cliquez sur ce lien : 

https://www.fnac.com/a21711285/Daniel-Pennac-Le-roman-des-regards

 

 

 

 

« Entre guillemets »

Ceci est une rediffusion d’un article  publié sur le JdC il y a plus de dix ans. Mon opinion sur cette manie qui n’a pas cessé de se répandre n’a pas bougé d’un iota.

 (Critique aisée n°58)

Voici ce que disait Proust il y a cent ans de cette agaçante manie qui consiste à parler entre guillemets. A l’époque du petit Marcel, on ne soulignait cet artifice que par une intonation spéciale (machinale et ironique, comme le dit le narrateur). Aujourd’hui, dans une époque de smileys, d’idéogrammes et d’acronymes infantiles, on croit bon de faire la même chose en y ajoutant ce geste stupide qui consiste à lever les deux mains à hauteur des épaules en dressant l’index et le majeur de chaque main de manière à former deux sortes de V, puis à plier ces quatre doigts à deux reprises. En ayant tracé ainsi dans l’espace deux guillemets de part et d’autre de son visage, on se croit autorisé, par cette typographie virtuelle, à dire n’importe quelle ânerie, pensant s’en être désolidarisé à l’avance par la mimique à la dernière mode.

« …et je remarquai, comme cela m’avait souvent frappé dans ses conversations avec les sœurs de ma grand’mère que quand il parlait de choses sérieuses, quand il employait une expression qui semblait impliquer une opinion sur un sujet important, il avait soin de l’isoler dans une intonation spéciale, Continuer la lecture de « Entre guillemets »

Go West ! (104)

— Et là, tu vois, tout s’éclairait, tout s’arrangeait. Patricia était redevenue tendre, on allait déposer Walter dans son summer camp et on allait être tranquilles, tous les deux, pendant des jours et des jours… et des nuits.
— Et ça ne s’est pas passé comme ça, bien sûr !
— Ben non… Pas tout à fait… Mais quand même un peu…
— Pauvre cloche, va !

Nous sommes partis dans la petite Coccinelle bleu métallisé de Patricia, elle au volant et moi à côté. A l’arrière, Walter partageait la banquette avec une glacière que Patricia avait préparée pour notre pique-nique. Juste avant que nous quittions la maison, je l’avais entendue se disputer avec son frère et depuis, Walter n’avait plus dit un mot. Il faisait la gueule en regardant fixement dehors à travers la vitre. Au début du voyage, Patricia avait tenté de rétablir la communication en vantant le Sparrows sailing summer camp où il allait passer les deux prochaines semaines, la plage sur la baie de Chesapeake, les dériveurs, les soirées feu de camp, les chahuts dans les chalets, le spectacle de fin de séjour. Elle même y était restée tout un mois l’été de ses quatorze ans et elle en avait gardé un formidable souvenir. Bien sûr, le camp des garçons était séparé de celui des filles, mais elle se souvenait de deux ou trois endroits pas très bien surveillés qui permettaient de passer d’un camp à l’autre… À tous les avantages qu’énumérait Patricia, son frère se contentait de répondre « M’en fous !» avant de Continuer la lecture de Go West ! (104)

Le Roman des regards

Un texte original, très personnel, de Daniel Pennac sur l’art et sur l’œuvre d’un étrange photographe qu’on découvrira avec jubilation.
Un jour au Centre Pompidou, Daniel Pennac aperçoit un homme qui photographie les visiteurs de dos, à la seconde où ils se penchent sur une toile – une démarche qui semble même suspecte puisque, une fois le cliché pris, il s’éloigne à grandes enjambées. Lorsque Pennac le revoit peu après au musée d’Orsay, son comportement l’intrigue tant qu’il le suit dans les rues de Paris, jusqu’au Louvre, où cet homme recommence le même manège…
Et quelle surprise, des semaines plus tard, quand Pennac découvre que son nouveau médecin, le Dr Laurent Mallet(1),n’est autre que le mystérieux individu ! Ce gastro-entérologue reconnaît les faits, et lui raconte qu’il s’apprête à intensifier son activité de photographe amateur, puisqu’il va bientôt partir à la retraite.
Depuis des années, Daniel Pennac souhaitait rendre compte de cette création photographique hors normes – plus d’un demi-million de clichés pris dans des Continuer la lecture de Le Roman des regards

Le dictionnaire de mon grand-père

Ces feuilles serrées dans une sorte d’étui en cuivre, c’est un dictionnaire. Il fait 5 centimètres de hauteur, 3,8 de largeur et  1 d’épaisseur. Aujourd’hui, il comporte 601 pages.
Ce dictionnaire ne donne pas la définition des mots, mais seulement leur orthographe. Quant il s’agit d’un substantif, il précise le genre.
Il est un peu abîmé, ce dictionnaire. Il lui manque les 34 premières pages — de abat à arroger —  de même que les pages au-delà de la page 635. Les pages 35 à 153 sont fripées mais encore lisibles.

S’il est abîmé comme ça, c’est qu’il a fait toute la guerre de 14 dans la poche du Caporal Coutheillas, Marcellin, mon grand-père. Lui qui n’avait pas son certificat d’études le consultait pour écrire son journal de guerre car, à cette époque, une parfaite orthographe était Continuer la lecture de Le dictionnaire de mon grand-père