Archives de catégorie : Citations & Morceaux choisis

Bonnes nouvelles

« La nouvelle se porte bien1 ; elle est en train d’échapper aux périls où le roman est exposé (occupation du terrain par les écrivains philosophes, dissociation du moi, effondrement du sujet, après celui de l’objet)2. La nouvelle tient bon, grâce à sa densité. Elle garde un public vrai, celui qui ne demande pas un livre de lui servir d’aliment (un écrivain n’est pas un restaurant). Il n’y a pas de quoi se nourrir dans une nouvelle, c’est un os. Pas de place pour la méditation, pour un système de pensée. On peut tout mettre dans une nouvelle, même le désespoir le plus profond, mais pas la philosophie du désespoir. Les personnages sont cernés, gelés dans leur caractère ; ils n’ont pas le temps de tomber malade, de mourir de la maladie du roman contemporain. La nouvelle opère à chaud, le roman, à froid. La nouvelle est une nacelle trop exiguë pour embarquer l’Homme : un révolté, oui, la révolte, non. »
Paul Morand – Ouvert la nuit -Préface à l’édition de 1957

Ouvert la nuit, publié en 1921, est le deuxième recueil de nouvelles de Paul Morand (1888-1976).  Morand fut un diplomate écrivain, beaucoup plus écrivain que diplomate, antisémite, dandy, ambassadeur sous Vichy, beaucoup plus dandy qu’ambassadeur,  à ma connaissance ni condamné ni même jugé pour collaboration, mais exilé Continuer la lecture de Bonnes nouvelles

Chaque matin j’allais la voir se baigner

(…) Chaque matin j’allais la voir se baigner ; je la contemplais de loin sous l’eau, j’enviais la vague molle et paisible qui battait sur ses flancs et couvrait d’écume cette poitrine haletante, je voyais le contour de ses membres sous les vêtements mouillés qui la couvraient, je voyais son cœur battre, sa poitrine se gonfler ; je contemplais machinalement son pied se poser sur le sable, et mon regard restait fixé sur la trace de ses pas, et j’aurais pleuré presque en voyant le flot les effacer lentement.
Et puis, quand elle revenait et qu’elle passait près de moi, que j’entendais l’eau tomber de ses habits et le frôlement de sa marche, mon cœur battait avec violence ; je baissais Continuer la lecture de Chaque matin j’allais la voir se baigner

D’Alep à Paris

Les lignes qui suivent sont extraites du récit que fit Hanna Dyab, de son voyage de sa ville natale d’Alep jusqu’à Paris dans les années 1708 – 1709 alors qu’il était employé comme guide par un envoyé spécial de Louis XIV en orient. Dyab a écrit ses souvenirs de voyage dans un livre au style fleuri « D’Alep à Paris« , qui vient seulement d’être traduit de l’arabe. Ici, la sobre description d’une effrayante prison-hôpital pour enfants. Heureux temps du Roi Soleil !

(…) Il y a aussi à Paris un hôpital¹ pour les enfants insoumis, qui se trouve dans un couvent de religieux en lisière de la ville. Votre humble serviteur alla le visiter. On me fit pénétrer dans le lieu où ces enfants sont emprisonnés. Je vis une une salle allongée avec, sur toute sa longueur, une grande poutre en bois. Des anneaux en fer y sont fixés, auxquels les enfants sont attachés par une chaîne. Ils sont placés de telle façon qu’aucun d’entre eux Continuer la lecture de D’Alep à Paris

The sense of humour, goddamnit !

Ce n’est pas sans raison que les Anglais disent d’un homme qu’il a ou qu’il n’a pas le « sense of humour » – car c’est également un sens – et c’est parce que la plupart des gens s’en trouvent dépourvus qu’il est si mal considéré.  Il est vrai d’ajouter que si tout un chacun possédait le sens de l’humour, l’humour en souffrirait car, pour qu’une plaisanterie humoristique ait son plein rendement, il convient d’être trois : celui qui la profère, celui qui la comprend et celui à qui elle échappe, le plaisir de celui qui la goute étant décuplé par l’incompréhension de la tierce personne.

Sacha Guitry (bien sûr)

5 mai 1945, la prise du Nid d’Aigle

Hitler s’est suicidé le 30 avril. Pourtant, en ce début du mois de mai 1945, la guerre continue. Le 4, une colonne de blindés US et la 2ème D.B. de Leclerc investissent Berchtesgaden où se trouve la résidence privée du Führer. Le lendemain, en fin d’après-midi, c’est un commando français qui le premier prend possession du Nid d’Aigle, sorte de refuge de luxe qui surplombe Berchtesgaden à 1700 mètres d’altitude. Il y a donc 80 ans aujourd’hui, le drapeau français était planté sur le point culminant de l’Allemagne nazi. 

Ce qui s’est réellement passé Continuer la lecture de 5 mai 1945, la prise du Nid d’Aigle

Poutine, Trump, Cortés et Cie

Quand les premières nouvelles du débarquement d’Hernan Cortés,  parvinrent à la capitale de l’Empire aztèque, Moctezuma II convoqua immédiatement ses plus proches conseillers. Quelle attitude adopter face à ces visiteurs inattendus arrivés d’on ne sait où à bord de curieuses cités flottantes ?
Certains estimèrent qu’il fallait repousser les intrus sur-le-champ. Il n’aurait pas été difficile pour les troupes impériales de venir à bout de quelques centaines d’impudents qui avaient osé pénétrer sur les terres de la Triple Alliance sans y être invités. « Oui, mais », dire les autres. D’après les premiers rapports sur les étrangers, ceux-ci semblaient dotés de pouvoirs surnaturels : ils étaient entièrement recouverts de métal, contre lequel se cognaient les fléchettes les plus acérées. Ils chevauchaient de grandes bêtes, comme des cerfs, qui leur obéissaient au doigt et à l’œil. Et surtout, ils maîtrisaient le souffle de feu et le tonnerre de sarbacanes leur permettant de tuer tous ceux qui s’opposaient à leur volonté. Et si, au lieu de barbares impudents, il s’agissait de dieux ? Et si leur chef, blanc, barbu, Continuer la lecture de Poutine, Trump, Cortés et Cie

Nighthawks 1

Première diffusion : 7/09/2019

Nighthawks est probablement le tableau de plus célèbre d’Edward Hopper (1882-1967). Les commentateurs s’accordent en général pour dire que ce tableau, peint en 1942, est une représentation de la solitude et de l’aliénation de l’individu dans la société américaine.

Pourtant cette interprétation est loin de faire l’unanimité chez les spécialistes et plus particulièrement chez les gardiens de musée, surtout depuis qu’un jeune chercheur de l’Université d’Hawal-Bumpil-On-The-Gange a retrouvé dans l’un des containers qui renferment les documents en instance de classement du Whitney Museum de New York une série de croquis qui mettent en évidence les hésitations du maître quant à la signification de son œuvre majeure. Voici le premier d’entre eux qui exprime le désarroi pathétique de la femme devant l’absurdité du temps qui passe en même temps que l’assurance insolente de l’homme devant l’absurdité de la femme.
Nota bene : Avant d’envoyer des insultes à la Rédaction, rappelez vous que c’est Hopper qui pense et que nous sommes en 1942

 

ANTIOCHOS EST INQUIET (Extrait)

Antiochos le troisième, dit le Grand, dit le Magnanime, Mégas Basileus, Roi de Pergame, Souverain de la Grande Syrie, Suzerain de toutes les tribus qui voyagent sous son Auguste Protection entre les rives de la mer infinie du Couchant et les sommets enneigés du Levant, Sublime Inspirateur des Arts et des Sciences, Général infaillible des armées innombrables, Antiochos est inquiet.

Antiochos est inquiet parce que le Sage est mort. Celui qui annonçait les éclipses de lune et de soleil est mort, brusquement, sans laisser de testament, sans laisser de prophétie. Alors Continuer la lecture de ANTIOCHOS EST INQUIET (Extrait)

Breaking news

Il y a dans la Recherche du Temps Perdu un personnage, Monsieur de Norpois, qui sait tout, selon lui, des usages et du parler diplomatiques. Pour lui, la diplomatie consiste essentiellement à « préparer l’opinion », et c’est ainsi que :

« (…), à la veille de la déclaration de guerre, en 1870, quand la mobilisation était presque achevée, M. de Norpois (restant dans l’ombre naturellement) avait cru devoir envoyer à ce journal fameux, l’éditorial suivant :
« L’opinion semble prévaloir dans les cercles autorisés que, depuis hier, dans le milieu de l’après-midi, la situation, sans avoir, bien entendu, un caractère alarmant, pourrait être envisagée comme sérieuse et même, par certains côtés, comme susceptible d’être considérée comme critique. M. le marquis de Norpois aurait eu plusieurs entretiens avec le ministre de Prusse afin d’examiner dans un esprit de fermeté et de conciliation, et d’une façon tout à fait concrète, les différents motifs de friction existants, si l’on peut parler ainsi. La nouvelle n’a malheureusement pas Continuer la lecture de Breaking news