Archives de catégorie : Citations & Morceaux choisis

SÉRIE NOIRE (Extrait)

Si vous n’êtes jamais allé dans le Bronx, continuez comme ça. Mais si un jour, par un effet pervers de travaux routiers, vous deviez traverser ce quartier de New York pour rentrer de JFK à Manhattan, renfoncez-vous au fond de votre taxi, ouvrez en grand le New York Times, plongez-y votre nez et ne regardez pas dehors. Mais si par malheur vous deviez absolument vous y rendre et que vous passiez du côté du carrefour Brook / 148ème, vous avez des chances de m’y rencontrer. Je traîne tous les jours dans le coin, vers chez Matt, plus précisément devant ou à l’intérieur du « Matt’s cocktail lounge ». Si jamais vous entriez au Matt’s cocktail Lounge, vous pourriez être surpris par le décalage abyssal qui existe entre le standing du lieu et son appellation de « cocktail lounge ». L’élégance du mot devait refléter les ambitions de Matt quand il avait ouvert sa boite une demi-douzaine d’années plus tôt. C’est l’effet habituel du Bronx que de dissoudre Continuer la lecture de SÉRIE NOIRE (Extrait)

INCIDENT DE FRONTIÈRE (Extrait)

(…) Ils approchaient d’un village. Des hommes arrivaient de partout, accompagnés de chèvres, de moutons, de chevaux, d’ânes, et de femmes et d’enfants. On pouvait même voir quelques dromadaires. Comme les voitures ne pouvaient plus avancer, ils les garèrent sur le bord de la route et en descendirent pour se mettre à suivre le flot. La foule se dirigeait vers un grand espace en bordure du village, limité par une simple ficelle à laquelle on avait noué de place en place des chiffons de couleur. Le spectacle était grandiose. Sous le piétinement des hommes et des animaux, des nuages de poussière ocre s’élevaient en se mélangeant aux fumées bleutées des marchands de kebabs. Dans la foule, de lents courants se dessinaient, se frôlaient, se croisaient et se contrariaient sans cesse. Des hommes plus pressés que les autres se frayaient un chemin au milieu des troupeaux, faisant naître les cris des bêtes et des propriétaires. Le bruit était immense. Les cris aigus des femmes et des enfants étaient parfois couverts par le braiement d’un âne ou Continuer la lecture de INCIDENT DE FRONTIÈRE (Extrait)

Caroline Fourest en veut

C’est extrêmement rare que je cite in extenso un article de presse. Ce n’est peut-être même jamais arrivé. Mais je vais faire une exception pour Caroline Fourest dont les interventions sur LCI, les articles sur Franc-Tireur, les interviews ici et là sont toujours lumineuses de bon sens, de générosité et de clarté. Caroline Fourest est Directrice éditoriale de l’hebdomadaire Franc-Tireur que je suis depuis plusieurs mois et que je vous recommande, soit sous forme papier, soit sous forme numérique.
Voici l’éditorial de C.F. de l’édition de F-T du 3 juillet.
(Je signale que je recopie cet article sans aucune autorisation de C.F. ou de F-T Mais je suis certain qu’ils ne m’en voudront pas.)

J’en veux, comme tous les commentateurs, au président de la République de nous avoir plongés dans cet enfer : une dissolution sans queue ni tête. J’en veux aux commentateurs de passer toujours plus de temps à baver sur les démocrates, sans jamais dire ce qu’ils font de bien, pour s’étonner ensuite de voir les apprentis totalitaires tirer les marrons du feu.

J’en veux aux Français qui avaient à leur disposition d’autres bulletins que le RN pour cracher leur colère et qui ont choisi la peste suprême. S’ils s’inquiètent pour leur sécurité, ils pouvaient voter pour la droite républicaine. S’ils tremblent pour leur pouvoir d’achat, ils pouvaient voter pour le Nouveau Front populaire. Bien sûr, le RN leur a promis les deux : plus de sécurité et plus de pouvoir d’achat, comme par magie. Mais qui peut être assez naïf pour y croire ? Qui ne voit pas qu’ils sont le chaos et non l’apaisement, qu’ils vont dégrader l’image et la note de la France, libérer le racisme et la défiance en guise de fausse solution à nos problèmes ?

J’en veux, terriblement, à la gauche du déni et du « pas de vagues », qui a tout fait pour pousser 10 millions de Français dans les bras du RN. À cette gauche irresponsable qui Continuer la lecture de Caroline Fourest en veut

des Esseintes va chez le dentiste

Jean des Esseintes est le héros décadent du roman de Joris-Karl Huysmans « À rebours » paru en 1884.
Après une vie agitée pendant laquelle il a fait l’expérience de tout ce que pouvait lui offrir la société de son temps, il acquiert un pavillon de la banlieue parisienne.
Au préalable, il le fait décorer des tentures, tissus, papiers peints et tapis les plus raffinés, les plus introuvables, les plus onéreux et il y réunit les ouvrages les plus précieux à ses yeux, les objets les plus rares. Il peut à présent s’y retirer du monde et se consacrer à l’oisiveté et à l’étude.
Mais une nuit, des Esseintes eut mal aux dents. Ne pouvant se rendre chez l’un de ses dentistes habituels « qu’on ne voyait point à sa guise ; il fallait convenir avec eux de visites, d’heures de rendez-vous », il se décida à « aller chez le premier venu, à courir chez un quenotier du peuple ».

Il restait, stupide, sur le trottoir ; il s’était enfin roidi contre l’angoisse, avait escaladé un escalier obscur, grimpé quatre à quatre jusqu’au troisième étage. Là, il était trouvé devant une porte où une plaque d’émail répétait, inscrit avec des lettres d’un bleu céleste, le nom de l’enseigne. Il avait tiré la sonnette, puis, épouvanté par les larges crachats rouges qu’il apercevait collés sur les marches, il fit Continuer la lecture de des Esseintes va chez le dentiste

Tout en vrac

Micheline Presle, Françoise Hardy, Anouk Aimée… tout fout le camp…

Les quantités de mes livres vendus sont restées stables en Juin : Zéro
Pour les avis de lecteurs, c’est pareil : Zéro
Amazon envisage des réductions de personnel.

Un ouvrier se jette du quatrième étage, laissant une veuve, trois orphelins et la fenêtre ouverte. (Félix Fénéon)

Les nouveaux électeurs du RN ont la mémoire courte et la crédulité grande.

L’idée n’est rien ; sans la phrase, je vais me coucher. (Jules Renard) Continuer la lecture de Tout en vrac

Histoire de Dashiell Stiller (extrait)

Lundi 26 octobre 1942

Premier jour de mon journal. Ça fait trois mois que je suis là mais c’est juste aujourd’hui que je commence. C’est Claude qui m’a dit de le faire. Il m’a donné des raisons pour ça : pour m’occuper et pour me souvenir plus tard. Mais moi, je commence à le connaître, Claude. Je l’aime bien, il m’a sauvé la mise une fois. Mais c’est un révolutionnaire, c’est plutôt un agitateur qu’un mouton. J’ai compris que ce qu’il voudrait vraiment c’est pour plus tard qu’il y ait des témoignages, des gens qui racontent ce qui se passe vraiment ici. Vu comme c’est parti, c’est probable que dans pas très longtemps, des gens, il y en aura plus beaucoup. Mais des trucs écrits, si on les cache bien, avec un peu de chance, ça pourra être retrouvé plus tard quand tout sera fini.
Donc voilà : un peu pour lui faire plaisir, un peu pour m’occuper, j’ai décidé de commencer mon journal. Bon mais là, j’ai plus le temps. Il va bientôt faire jour.

Mardi 27 octobre

Avant de commencer à raconter ce qui se passe dans le camp, Continuer la lecture de Histoire de Dashiell Stiller (extrait)

Antigone

Première publication : 20/02/2016

Comme nous sommes sans doute à l’aube d’une tragédie, j’ai pensé qu’il était bon de redéfinir le terme. Et pour cela, un auteur de droite m’a paru bien placé. 

Tirée de la tragédie de Sophocle (5ème siècle avant J.C.), Antigone est peut-être la plus belle pièce de Jean Anouilh, probablement la plus connue. Antigone, fille d’Œdipe, veut enterrer son frère Polynice, tué par son autre frère Etéocle. Mais Créon, oncle d’Antigone et roi de Thèbes, a interdit sous peine de mort qu’on enterre Polynice, considéré comme traitre à Thèbes. Le devoir de sœur d’Antigone s’oppose au devoir de roi de Créon. Antigone va enterre son frère malgré l’interdiction du roi, et le roi va faire exécuter Antigone malgré l’amour de Créon pour sa nièce. Tout le monde est juste et droit, il n’y a pas de méchant, mais chacun va au bout de son devoir ou de son destin et tout le monde va mourir.

C’est cela une tragédie.

Par la voix du Chœur qui commente l’action, Anouilh fait part de sa définition de la tragédie par opposition à celle du drame :

Le Chœur

Et voilà. Maintenant, le ressort est bandé. Cela n’a plus qu’à se dérouler tout seul. C’est cela qui est commode dans la tragédie. On donne Continuer la lecture de Antigone

La nuit des Roggenfelder (extrait)

Au lieu de lire cet extrait d’un texte érotique et transalpin déjà publié, vous feriez bien mieux d’aller voter…

(…) et tout en la regardant intensément dans les yeux, de ma main restée libre, je lui pris un sein et le serrai. Je fus surpris par sa douceur. Tandis qu’une tendre tiédeur gagnait la paume de ma main, je pensais que j’étais perdu : elle allait me gifler, ou crier, ou s’échapper pour courir jusqu’au refuge et me dénoncer à mes camarades horrifiés, je serais chassé sur le champ du refuge et de Sankt-Johann et je rentrerais chez mes parents couvert de honte…
— Non, Franz, dit Tavia en écartant doucement ma main de sa poitrine.
J’étais sauvé ! Elle n’allait pas me dénoncer… Et puis elle ajouta :
— Pas maintenant…

Pas maintenant ? Qu’est-ce que ça voulait dire pas maintenant ? Continuer la lecture de La nuit des Roggenfelder (extrait)

GISÈLE ! (Extrait)

(…) Sans même qu’il ait touché le frein, l’arrière de sa voiture se mit à déraper sur la droite. Bernard contre-braqua un peu trop fort. Aussitôt, il sentit l’arrière se déporter sur la gauche. Il contre-braqua encore une fois, et l’arrière repassa sur la droite.

nom de Dieu de nom de Dieu de nom de Dieu…

Au bord de la panique, Bernard se battait avec sa voiture. Le balancement s’amplifiait à chaque coup de volant. Dans l’encadrement du pare-brise, le double pinceau des phares balayait successivement la chaussée blanche marquée du sillage grisâtre du camion, puis la glissière de gauche, puis à nouveau la chaussée, puis la glissière de droite, pour revenir à la chaussée, puis la glissière de droite…

ça va mal ça va mal ça va mal…

Effectivement, ça allait mal, de plus en plus mal. Mais après quelques secondes, tous ces dérapages finirent par Continuer la lecture de GISÈLE ! (Extrait)

Blind dinner (extrait)

Ce soir, il y a un blind dinner dans un bel appartement de la Place des Vosges. C’est Renée qui reçoit. C’est Gérald qui raconte. Christiane entre dans le salon, en retard. Elle est grosse, très grosse… Renée fait les présentations.

(…) « Et voici Christiane, claironne Renée, triomphale. Nous allons pouvoir passer à table. Il faut lui pardonner son retard, explique Renée tout sourire. La pauvre m’expliquait dans l’entrée qu’elle avait eu un problème de dernière minute pour faire garder son fils Marc-Antoine.

—Pas mon fils, mon chien… Marc-Antoine. Je n’ai pas d’enfant, Dieu merci !

—Marc-Antoine ? C’est un chien ? demande Renée, stupéfaite. J’ai toujours cru…

—Un Koochie d’Afghanistan, l’interrompt Christiane. Quatre-vingt kilos, quatre-vingt-dix centimètres à l’encolure… une bête splendide. Il vous tue un mouton en moins de trois secondes… il déteste les moutons.

—Mon Dieu ! s’exclame Anne malgré son athéisme intransigeant.

—Il n’aime pas beaucoup les gens non plus, poursuit Christiane. C’est pour ça que j’ai du mal à trouver quelqu’un pour garder Marc-Antoine quand je sors le soir.

—Mais vous ne pouvez pas le laisser seul ? demande Marcelle.

— Impossible ! Marc-Antoine ne supporte pas la solitude. Ça le rend neurasthénique. Après, j’en ai pour deux jours à Continuer la lecture de Blind dinner (extrait)