J’ai un nouvel iPad. À bord, il y a maintenant une sorte d’Intelligence Artificielle embarquée. Elle s’appelle Apple Intelligence. Quand on l’utilise, elle travaille en interne sans échanger avec de mystérieux centres californiens ou chinois. De ce fait, bien sûr, elle n’a pas les capacités de la vraie A.I., celle qui fait peur, qui se trompe, et bouffe des milliards de kilowatts-heures. Pourtant, elle peut rendre des services, notamment en matière d’écriture. J’ai expérimenté ses possibilités pour la première fois en lui soumettant le passage le plus célèbre de À la Recherche du Temps Perdu, celui de la madeleine. Lisez d’abord le passage tel que l’a écrit Marcel Proust. C’est long, mais admirable et facile à lire.
(Notre passé) est caché hors de son domaine et de sa portée, en quelque objet matériel (en la sensation que nous donnerait cet objet matériel), que nous ne soupçonnons pas. Cet objet, il dépend du hasard que nous le rencontrions avant de mourir, ou que nous ne le rencontrions pas.
Il y avait déjà bien des années que, de Combray, tout ce qui n’était pas le théâtre et le drame de mon coucher, n’existait plus pour moi, quand un jour d’hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j’avais froid, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de thé. Je refusai d’abord et, je ne sais pourquoi, me ravisai. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblaient avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour, en me remplissant d’une essence précieuse : ou plutôt cette essence n’était pas en moi, elle était moi. J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D’où avait pu me venir cette puissante joie ? Je sentais qu’elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu’elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D’où venait-elle ? Que signifiait-elle ? Où l’appréhender ? Je bois une seconde gorgée où je ne trouve rien de plus que dans la première, une troisième qui m’apporte un peu moins que la seconde. Il est temps que je m’arrête, la vertu du breuvage semble diminuer. Il est clair que la vérité que je cherche n’est pas en lui, mais en moi. Il l’y a éveillée, mais ne la connaît pas, et ne peut que répéter indéfiniment, avec de moins en moins de force, ce même témoignage que je ne sais pas interpréter et que je veux au moins pouvoir lui redemander et retrouver intact, à ma disposition, tout à l’heure, pour un éclaircissement décisif. Je pose la tasse et me tourne vers mon esprit. C’est à lui de trouver la vérité. Mais comment ?Grave incertitude, toutes les fois que l’esprit se sent dépassé par lui-même ; quand lui, le chercheur, est tout ensemble le pays obscur où il doit chercher et où tout son bagage ne lui sera de rien. Chercher ? Pas seulement : créer. Il est en face de quelque chose qui n’est pas encore et que seul il peut réaliser, puis faire entrer dans sa lumière.
Et je recommence à me demander quel pouvait être cet état inconnu, qui n’apportait aucune preuve logique, mais l’évidence de sa félicité, de sa réalité devant laquelle les autres s’évanouissaient. Je veux essayer de le faire réapparaître. Je rétrograde par la pensée au moment où je pris la première cuillerée de thé. Je retrouve le même état, sans une clarté nouvelle. Je demande à mon esprit un effort de plus, de ramener encore une fois la sensation qui s’enfuit. Et pour que rien ne brise l’élan dont il va tâcher de la ressaisir, j’écarte tout obstacle, toute idée étrangère, j’abrite mes oreilles et mon attention contre les bruits de la chambre voisine. Mais sentant mon esprit qui se fatigue sans réussir, je le force au contraire à prendre cette distraction que je lui refusais, à penser à autre chose, à se refaire avant une tentative suprême. Puis une deuxième fois, je fais le vide devant lui, je remets en face de lui la saveur encore récente de cette première gorgée et je sens tressaillir en moi quelque chose qui se déplace, voudrait s’élever, quelque chose qu’on aurait désancré, à une grande profondeur ; je ne sais ce que c’est, mais cela monte lentement ; j’éprouve la résistance et j’entends la rumeur des distances traversées.
Certes, ce qui palpite ainsi au fond de moi, ce doit être l’image, le souvenir visuel, qui, lié à cette saveur, tente de la suivre jusqu’à moi. Mais il se débat trop loin, trop confusément ; à peine si je perçois le reflet neutre où se confond l’insaisissable tourbillon des couleurs remuées ; mais je ne puis distinguer la forme, lui demander comme au seul interprète possible, de me traduire le témoignage de sa contemporaine, de son inséparable compagne, la saveur, lui demander de m’apprendre de quelle circonstance particulière, de quelle époque du passé il s’agit.
Arrivera-t-il jusqu’à la surface de ma claire conscience, ce souvenir, l’instant ancien que l’attraction d’un instant identique est venue de si loin solliciter, émouvoir, soulever tout au fond de moi ? Je ne sais. Maintenant je ne sens plus rien, il est arrêté, redescendu peut-être ; qui sait s’il remontera jamais de sa nuit ? Dix fois il me faut recommencer, me pencher vers lui. Et chaque fois la lâcheté qui nous détourne de toute tâche difficile, de toute œuvre important, m’a conseillé de laisser cela, de boire mon thé en pensant simplement à mes ennuis d’aujourd’hui, à mes désirs de demain qui se laissent remâcher sans peine.
Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l’heure de la messe), quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m’avait rien rappelé avant que je n’y eusse goûté; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d’autres plus récents; peut-être parce que de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s’était désagrégé; les formes,—et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel, sous son plissage sévère et dévot—s’étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d’expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir.
Et dès que j’eus reconnu le goût du morceau de madeleine trempé dans le tilleul que me donnait ma tante (quoique je ne susse pas encore et dusse remettre à bien plus tard de découvrir pourquoi ce souvenir me rendait si heureux), aussitôt la vieille maison grise sur la rue, où était sa chambre, vint comme un décor de théâtre s’appliquer au petit pavillon, donnant sur le jardin, qu’on avait construit pour mes parents sur ses derrières (ce pan tronqué que seul j’avais revu jusque-là); et avec la maison, la ville, la Place où on m’envoyait avant déjeuner, les rues où j’allais faire des courses depuis le matin jusqu’au soir et par tous les temps, les chemins qu’on prenait si le temps était beau. Et comme dans ce jeu où les Japonais s’amusent à tremper dans un bol de porcelaine rempli d’eau, de petits morceaux de papier jusque-là indistincts qui, à peine y sont-ils plongés s’étirent, se contournent, se colorent, se différencient, deviennent des fleurs, des maisons, des personnages consistants et reconnaissables, de même maintenant toutes les fleurs de notre jardin et celles du parc de M.Swann, et les nymphéas de la Vivonne, et les bonnes gens du village et leurs petits logis et l’église et tout Combray et ses environs, tout cela que prend forme et solidité, est sorti, ville et jardins, de ma tasse de thé1.
Dans cet incroyable et magnifique texte, probablement le plus connu de toute l’œuvre de Proust, qui décrit par le menu et au scalpel l’expérience de mémoire involontaire que subit le Narrateur à l’absorption d’une gorgée de thé mêlée de miettes de ce gâteau court et dodu que l’on nomme Petite Madeleine, Apple Intelligence a détecté les 21 points clés que voici :
- Nature du passé : Caché dans un objet matériel inconnu.
- Découverte du passé : Dépend du hasard de rencontrer l’objet.
- Impact du passé : La sensation de l’objet matériel déclenche des souvenirs du passé.
- Déclencheur du souvenir : Une gorgée de thé avec un morceau de madeleine a déclenché un souvenir involontaire.
- Impact du souvenir : Le souvenir a apporté une joie intense et a transcendé les préoccupations quotidiennes de la vie.
- Origine et signification du souvenir : L’origine et la signification du souvenir étaient inconnues, mais il était clair qu’il était lié à quelque chose de plus profond que le simple goût du thé et du gâteau.
- Recherche de la vérité : Le narrateur cherche la vérité, mais réalise qu’elle ne se trouve pas dans le thé qu’il boit, mais en lui-même.
- Rôle de l’esprit : Le narrateur se tourne vers son esprit pour trouver la vérité, mais est incertain de la façon de procéder.
- Création de la vérité : Le narrateur comprend que la vérité n’existe pas encore et qu’il doit la créer lui-même.
- Recherche d’un état inconnu : Le narrateur tente de retrouver un état de bonheur inexplicable vécu lors de la première gorgée de thé.
- Méthodes employées : Il tente de recréer l’état en se remémorant le moment, en isolant ses sens et en forçant son esprit à se distraire.
- Résultat de l’effort : Une sensation vague et profonde semble remonter, mais son identité reste inconnue.
- Souvenir insaisissable : Un souvenir visuel lié à une saveur tente d’affleurer à la conscience, mais reste confus et indistinct.
- Recherche de sens : Le narrateur cherche à déchiffrer le souvenir pour comprendre l’époque ou la circonstance particulière du passé qu’il représente.
- Lutte intérieure : La paresse empêche le narrateur de persévérer dans sa quête de souvenir, le poussant à se concentrer sur le présent.
- Souvenir involontaire : Le goût d’une madeleine trempée dans du thé ou du tilleul évoque un souvenir d’enfance à Combray.
- Souvenir oublié : La vue de la madeleine n’a pas déclenché le souvenir avant qu’elle ne soit goûtée, car son image s’était associée à des souvenirs plus récents.
- Odeur et saveur : L’odeur et la saveur sont les seules choses qui persistent du passé, évoquant des souvenirs longtemps après que les images et les sons se soient estompés.
- Souvenir involontaire : Le goût d’une madeleine trempée dans du thé de tilleul évoque un souvenir vif de la maison de la tante du narrateur.
- Souvenir détaillé : Le souvenir comprend la maison, la ville, les rues, les chemins et les jardins, tous vividement rappelés.
- Expérience transformatrice : Le souvenir se déploie comme des fleurs dans l’eau, donnant forme et substance à Combray et à ses environs.
Après cet exercice, j’ai demandé à Apple Intelligence de réécrire de manière concise ce texte qui compte près de 1400 mots,. Voici comment AI l’a réduit de moitié.
Notre passé est caché dans un objet matériel inconnu, que nous pourrions ou non rencontrer avant de mourir.
Il y a longtemps, à Combray, rien d’autre que mon coucher ne comptait pour moi. Un jour d’hiver, ma mère, voyant que j’avais froid, me proposa du thé, ce que j’acceptai à contrecœur. Elle apporta des Petites Madeleines, des gâteaux en forme de coquille de Saint-Jacques. En trempant une madeleine dans le thé, un plaisir intense me submergea, me rendant indifférent aux soucis de la vie. Cette joie, liée au goût mais bien plus profonde, me fit sentir vivant et précieux. Je me demandai d’où elle venait et ce qu’elle signifiait. Je bois une seconde gorgée, puis une troisième, mais je ne trouve rien de plus. La vertu du breuvage diminue, et je réalise que la vérité que je cherche est en moi. Il l’a éveillée, mais ne la connaît pas, et ne peut que répéter un témoignage que je ne comprends pas. Je pose la tasse et me tourne vers mon esprit pour trouver la vérité. Comment ? C’est une grave incertitude lorsque l’esprit se sent dépassé. Chercher n’est pas suffisant : il faut créer. Il doit réaliser quelque chose qui n’existe pas encore et le faire entrer dans sa lumière.
Je me demande encore quel est cet état inconnu, sans preuve logique, mais évident dans sa félicité et sa réalité, devant lequel les autres s’évanouissent. Je veux le retrouver. Je pense au moment où j’ai pris la première cuillerée de thé. Je ressens le même état, sans nouvelle clarté. Je demande à mon esprit de faire un effort pour retrouver cette sensation qui s’enfuit. Pour ne rien interrompre, j’écarte tout obstacle et tout bruit. Mais voyant mon esprit se fatiguer sans succès, je le laisse se distraire pour se ressourcer avant une dernière tentative. Puis, je fais le vide devant lui, je lui rappelle la saveur de cette première gorgée, et je sens quelque chose en moi qui bouge, veut s’élever, quelque chose de profondément ancré qui monte lentement, avec résistance et le bruit des distances traversées.
Ce qui vibre en moi est probablement une image ou un souvenir visuel lié à une saveur, essayant de me rejoindre. Mais il est trop lointain et flou ; je ne vois qu’un reflet neutre où se mêlent des couleurs indistinctes. Je ne peux pas distinguer la forme ni lui demander de m’expliquer la saveur ou de me dire de quel moment du passé il s’agit.
Ce souvenir, cet instant ancien, viendra-t-il à la surface de ma conscience, attiré par un moment similaire ? Je ne sais pas. Maintenant, je ne sens plus rien, il s’est arrêté, peut-être redescendu ; qui sait s’il remontera un jour ? Je dois essayer dix fois, me pencher vers lui. Et chaque fois, la paresse me conseille de laisser tomber, de boire mon thé en pensant simplement à mes soucis d’aujourd’hui et à mes désirs de demain.
Soudain, un souvenir m’est revenu. C’était le goût d’une madeleine trempée dans du thé ou du tilleul que ma tante Léonie me donnait le dimanche matin à Combray avant la messe. La vue de la madeleine ne m’avait rien rappelé jusqu’à ce que je la goûte. Peut-être que son image s’était liée à des souvenirs plus récents, ou que ces souvenirs anciens s’étaient désagrégés. Mais l’odeur et la saveur, plus fragiles mais plus persistantes, restent longtemps, comme des âmes, pour rappeler et porter le souvenir.
Dès que j’ai goûté la madeleine trempée dans le tilleul de ma tante, la vieille maison grise où elle vivait est apparue comme un décor de théâtre. Avec elle, la ville, la Place où j’allais avant le déjeuner, les rues où je faisais des courses, et les chemins que nous empruntions par beau temps ont émergé. Comme des morceaux de papier qui prennent forme dans l’eau, les fleurs du jardin, le parc de M. Swann, les nymphéas de la Vivonne, les villageois, leurs maisons, l’église, et tout Combray ont pris forme et solidité de ma tasse de thé.
Mais le mieux, c’est encore ce qui suit, je veux dire le résumé de la madeleine de Proust en soixante-quatre mots !
Un souvenir d’enfance, déclenché par le goût d’une madeleine trempée dans du thé, refait surface. Ce souvenir, lié à la tante Léonie et à Combray, ravive toute une époque de la vie de l’auteur, illustrant la puissance des souvenirs olfactifs et gustatifs. L’auteur réalise que, même après la disparition des êtres et des choses, les odeurs et les saveurs persistent, gardant vivaces les souvenirs.
Comme ça, au moins, on sait de quoi ça parle.
Ça me rappelle une anecdote que j’ai déjà citée quelque part dans ce journal sans pouvoir la retrouver :
Quelqu’un demandait à un éditeur (ou un critique d’art) de lui résumer2 A la Recherche du Temps Perdu. Au lieu de lancer à ce quidam le Gen Z stare3 qu’il aurait amplement mérité, l’éditeur (ou le critique d’art) a donné cette réponse : « Le petit Marcel veut devenir écrivain ».
Plus subtil, plus spirituel, plus chic, tu meurs !
Note 1 : Extrait de « Du Côté de chez Swann » – « A la Recherche du temps perdu » – Marcel Proust (1365 MOTS)
Note 2 : Puis-je rappeler au passage que l’œuvre comporte trois mille pages ?
Note 3 : Gen Z stare : Merci de vous reporter à l’article récemment paru ici-même sur le sujet.
Et j’ajoute toujours à propos du monarque Donald the 1st que toute ressemblance avec un autre monarque existant ou ayant existé, élu à l’origine démocratiquement ou pas, serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d’une pure coïncidence.
Ce qui a retenu mon attention de l’analyse faite par Apple Intelligence (malgré son harcèlement quotidien je m’en passe) c’est « la création de la vérité ». Trump, encore lui, en a très bien compris le processus et les mots pour la dire lui viennent aisément, d’autant plus que son vocabulaire est magistralement limité et qu’il ne sait pas lire.