Archives de catégorie : Récit

Go West ! (110)

(…) Alors, oui, il y avait des bas, de la frustration, du dépit, mais j’avais toujours peur de la brusquer. Je me disais que notre flirt, notre bonne entente de faux cousins ne pouvait pas ne pas évoluer vers quelque chose de plus fort. Alors, j’étais doux, gentil, gai et, de temps en temps, je faisais une tentative… enfin, tu vois, j’espérais. Et finalement, j’ai eu raison…
— Oui, je sais… encore une fois, tu vas me parler de la nuit du Marvin’tavern.

La soirée du Marvin’s tavern a tout changé. Je ne sais plus du tout ce que Patricia et moi y avions mangé, mais je me rappelle très bien que nous avions bu du vin et que la soirée avait été merveilleuse. Je me sentais inspiré, confiant, drôle, oserai-je dire brillant, et séduisant même. Patricia était ravissante, gaie et attentive. Ce soir-là, face à face dans notre petit box près de la fenêtre, nous avions flirté, je veux dire flirté verbalement, en nous tenant la main à travers la table, en nous disant des choses… pas des « je t’aime » bien entendu, mais des choses… Une fois dans la voiture, Patricia était devenue tendre et nous nous étions embrassés.

Comme il était encore tôt, elle m’avait proposé d’aller prendre un verre dans une boite de jazz. À cet instant, moi, je ne rêvais que de rentrer tout droit à la maison, mais je ne voulais pas avoir l’air d’un barbare, alors j’avais dit Continuer la lecture de Go West ! (110)

Le côté de l’aurore

première diffusion : pendant le confinement

Il y a des jours où, pour un peu,
Champ de Faye ressemblerait
vachement à Combray !

Robert de Montesquiou – Apollon aux lanternes – 1898

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Ce matin, vers quatre heures et demi, alors que j’étais descendu à la cuisine pour me préparer le café qui au réveil m’est indispensable tant au corps qu’à l’esprit, je constatai que la pénombre de la pièce était percée d’une lueur orangée, vacillante et chaleureuse. C’était le feu qui brulait déjà dans la cheminée, m’apportant ainsi la confirmation qu’à nouveau, Albertine s’était levée avant moi. Partagé entre le sentiment de la reconnaissance envers celle qui m’avait évité le désagrément d’entrer en chaussons et tenue de nuit dans une pièce qui sans son intervention pré-matinale eut été désagréablement froide et celui de la déception de n’avoir pu, encore une fois, lui éviter la pénible tâche de l’arrangement et de l’ignition des lourdes bûches rugueuses  dans l’âtre encombré des cendres de la veille, je saisis la bouilloire dont l’anse encore tiède me disait qu’Albertine s’était préparé les trois tasses de thé qui, le matin, lui sont aussi nécessaires que l’opium au toxicomane, et je la mis à chauffer.

C’est comme hypnotisé par le petit œil rouge du récipient calorifère, Continuer la lecture de Le côté de l’aurore

Go West ! (109)

(…) Veulerie, paresse, facilité ? Je ne sais pas, mais j’ai fini par laisser mes questions en plan. L’essentiel, c’était que Patricia était redevenue gentille et gaie, peut-être même amoureuse. En tout cas, elle ne me demandait pas de partir. L’essentiel, c’était que j’allais rester près d’elle. Bien sûr, je gardais en moi cette blessure d’amour ou d’amour-propre, cette image de ce salopard de Carver couchant avec Patricia pendant que moi, tout feu tout flamme, je préparais mon voyage pour la rejoindre. Mais l’essentiel, c’était que celui qui était près de Patricia aujourd’hui, c’était moi.

Les parents de Patricia ne devaient rentrer de voyage que le 1er septembre pour aller le lendemain chercher Walter à son camp de voile. La maison était donc toute à nous pour une douzaine de jours. Carver était en vacances quelque part avec femme et enfants et son cabinet était fermé jusqu’au 3. Patricia était donc libre de son temps et elle me le consacra entièrement. Elle fit même preuve de grandes qualités d’organisatrice, de guide et d’animatrice. Chaque jour, au milieu de la matinée, nous partions en voiture vers le centre de Washington et nous visitions musées, monuments, bâtiments fédéraux, quartiers de la ville, tout ce qui était à voir de la capitale des États-Unis. Avec les années, les images que j’en avais gardées, statues gigantesques, palais somptueux, perspectives majestueuses, se sont peu à peu floutés. Pourtant, quelques-unes demeurent encore bien nettes : la salle inoccupée des séances du Sénat, évocation de la toute-puissance de ce nouvel empire romain, sobres pupitres sénatoriaux, moquette étoilée, silence de cathédrale ; le vilain petit bâtiment rouge brique de la Philips Collection avec, à l’intérieur, Auguste Renoir, le Déjeuner des Canotiers devant lequel nous étions restés longtemps assis à imaginer les vies, les amours et les destins de chacun des personnages et même du petit chien ; l’irrépressible émotion devant la simplicité splendide du cimetière militaire d’Arlington ; l’énergie des conquérants d’Iwo Jima incarnée dans le Memorial du Corps des Marines ; l’élan et la légèreté du terminal de Dulles Airport…

En fin de journée, nous rentrions à Bethesda pour y diner sur Continuer la lecture de Go West ! (109)

La planche et les deux canards, fable luxembourgeoise

Rediffusion

Bonjour !

Il est 8h49 et, ce matin, mon bureau, c’est la Fontaine Médicis du Jardin du Luxembourg. C’est assez rare que je vienne m’installer en cet endroit, souvent humide et froid. Mais en cette matinée du 14 juin, à cette heure, la température est idéale pour écrire une fable. Vous allez voir.
J’aime bien cette eau en pente qui semble glisser vers Polyphème surprenant Galatée dans les bras d’Acis. Ce matin, l’eau de la fontaine est noire, un effet de l’éclairage sans doute, et mis à part les imperceptibles ondes concentriques qui entourent trois canards endormis, elle est sans ride. Et la fable ? J’y viens.

Contrairement aux canards de Sologne dont on sait qu’ils s’envolent à l’aube par-dessus les ajoncs dans le soleil levant, le canard parisien n’est pas matinal. Ils sont trois à flotter comme des épaves, comme ça, le bec sous l’aile. Ils dorment. Hésitante, une planche remonte lentement à la surface. D’où vient-elle ? Que faisait-elle au fond ? Pourquoi a-t-elle décidé Continuer la lecture de La planche et les deux canards, fable luxembourgeoise

Go West ! (108)

(…) Je me suis laissé tomber, assis sur le lit. Elle s’est assise à côté de moi et nous sommes restés un moment comme ça, moi, la tête entre les mains, elle, me caressant le dos. Et puis elle m’a poussé doucement sur le côté jusqu’à ce que je m’allonge ; je n’ai pas résisté et, tout de suite, je me suis couché en chien de fusil, ramassé sur moi-même ; elle en a fait autant, son corps collé au mien, imbriqué. J’ai dû m’endormir avant elle.

Les derniers jours qui me restaient à vivre avec Patricia, seize exactement, d’abord à Washington puis, pour finir, à New-York, ne se sont pas passés comme je l’avais espéré. Et pourtant, tous ces jours, toutes les nuits qui les ont suivies, nous les avons vécus côte à côte, tous les deux, dans la même maison ou dans la même chambre d’hôtel, sans que personne ne nous dérange ni même ne nous observe. Nous avons dormi ensemble, nous avons pris des petits déjeuners ensemble, nous sommes allés au cinéma et au théâtre, nous avons pris l’avion ensemble, roulé en voiture, pris le métro, visité des musées et des grands magasins, flâné dans des rues et dans des jardins… Presque tout ce qu’on doit faire ou voir à Washington et à New-York, nous l’avons fait, nous l’avons vu. Pendant ces quelques jours, notre vie a ressemblé à celle d’un couple en vacances. C’était un peu comme si, Patricia et moi, nous étions en voyage de noces. Seize jours dont je n’aurais jamais osé rêver. Mais le cœur n’y était pas… pas vraiment.

Au retour de la baie de Chesapeake, quand nous étions arrivés devant sa maison, je n’avais pas la moindre idée de ce que Patricia allait faire. La fin de la nuit avait été difficile tant pour elle que pour moi et, depuis que nous avions quitté le Candlewood Motel, nous n’avions pas échangé trois mots. Rester Continuer la lecture de Go West ! (108)

Roland, Claude, Jacques et les autres

par Lorenzo dell’Acqua

Comme vous le savez, les écrits et la vie de NRCB ont eu un impact considérable sur Lorenzo. Son témoignage sincère et honnête doit être interprété à l’aune des connaissances linguistiques, psychanalytiques, sociologiques, littéraires, historiques, politiques, cynégétiques, photographiques, humoristiques, sportives, religieuses et cinématographiques les plus avancées de notre temps.

La lecture de son Œuvre complète a confirmé à Lorenzo la justesse de la thèse de Roland : l’écrivain Ph. C. ne s’est pas installé par hasard dans son domaisne du Bas de l’Aisne alors qu’il était originaire de Touraisne. Ce choix lui a été inconsciemment dicté par l’analogie homophonique entre le Bas de l’Aisne et la madeleine de Marcel Proust aux conséquences incalculables sur sa vie et sa carrière. De nombreux autres savants ont conforté l’intuition géniale de Roland. Jacques, le psychanalyste, pense que le choix de Philippe relevait de ce qu’il nomme dans ses écrits : « l’auto intuition innée et inconsciente des précurseurs », comme celle de Napoléon Bonaparte et de Jules César (pas celui de Sautet). Claude effectua une mission ethnographique à Chants de Fées dévasté par l’analphabétisme plus que par la guerre de 14. Il en était revenu déprimé et le titre de l’ouvrage qu’il rédigea, « Retour de l’Enfer », était si péjoratif que ses élus lui demandèrent d’en changer. Il faut bien reconnaître que « Tristes Tropiques » est beaucoup plus attractif sur le plan touristique ce qui explique aussi le choix de cette destination par NRCB.
En introduction à son témoignage hagiographique, Lorenzo a rédigé Continuer la lecture de Roland, Claude, Jacques et les autres

Go West ! (107)

(…) tu m’écrivais que tu viendrais chez moi, que nous serions ensemble… Là, j’aurais dû t’en dissuader ; j’aurais dû te dire non, tu ne peux pas venir parce que mes parents… parce que mon travail… parce que…, mais je n’ai pas eu ce courage. J’essayais vaguement de te le faire comprendre… j’étais moins tendre dans mes lettres, je les faisais plus brèves, je mettais plus de temps à répondre aux tiennes, et à chaque occasion, j’élevais de nouveaux obstacles à ta venue chez moi. Mais je ne te disais pas « Ne viens pas ! Tu vas te faire du mal, tu m’aimes trop et je ne t’aime pas assez, il faut que tu m’oublies, ne viens pas ! ». Et puis, en même temps, je pensais « Eh bien, qu’il vienne après tout, puisqu’il y tient tant ! On verra bien !»

Mais ce n’est pas vrai, ce qu’elle raconte ! Ce n’est pas vrai ! Elle m’attendait, elle voulait que je vienne… Pendant tout ce temps, elle m’a fait croire que… et ce n’était pas vrai ?

« Et puis un jour, c’était la fin du mois de mai et je venais de recevoir ta lettre qui me disait quand tu allais arriver. Ce jour-là, j’ai vu John dans la rue. Tout de suite, je suis entrée dans un magasin pour me cacher, mais quand il a dépassé la vitrine, je suis sortie et j’ai commencé à le suivre. Je me demandais pourquoi je faisais ça, c’était idiot, il ne fallait pas… mais je le suivais. Je l’ai suivi jusqu’à ce qu’il se retourne brusquement pour appeler un taxi. Il m’a vue, il a hésité une seconde. Il avait l’air bouleversé. Il est venu vers moi, mais je lui ai fait signe que non, que je ne voulais pas… Alors, il a souri tristement, il a haussé les épaules et il est monté dans son taxi. Je l’ai regardé s’éloigner. Il ne s’est pas retourné, il ne m’a pas fait de signe. Je me sentais vide, épuisée, mon cœur battait à cent à l’heure, mais j’étais fière de moi : au moins, j’avais résisté à cette tentation…
Mais le lendemain matin, j’ai appelé son cabinet en me faisant passer pour une de mes amies. Il y avait un rendez-vous de libre en fin d’après-midi. Je l’ai pris… Continuer la lecture de Go West ! (107)

La cour de Petra

Vous voyez ce petit coin de Luxembourg sur la photo ? Pendant quelques années, vers la fin des années 50, au début des 60, ce fut notre coin, à nous, notre territoire.

Ce n’est pas que personne d’autre n’avait le droit d’y venir.  Combien de fois n’y suis-je pas arrivé, déçu de voir que la place était occupée par des intrus, des gens de passage, des inconnus ? Mais, sans que nous n’y ayons jamais exercé notre droit de préemption, ce coin était à nous.

Nous, c’était Continuer la lecture de La cour de Petra

Go West ! (106)

(…) Et puis, à Paris, tu es revenu me chercher… notre déjeuner, notre balade, ta joie de me retrouver, ta fierté de me montrer ta ville… et toujours, cette gentillesse maladroite, cette délicatesse, ce respect même… c’était émouvant. D’un seul coup, sur la petite place, j’ai décidé tout envoyer promener, j’ai décidé de tomber amoureuse.  Et je t’ai amené par la main jusqu’à ma chambre d’hôtel… Tu as dû me prendre pour une fille facile… »

Sa respiration s’était accélérée. Elle s’est tue un instant. Moi, je pensais que ce n’était pas très flatteur d’être considéré comme un enfant, mais au moins, elle le disait : elle était tombée amoureuse.
— Moi aussi je t’aime, Patricia. Comment aurais-je pu te prendre pour une fille facile ?

Ça y était, je l’avais dit, le mot gênant, le mot interdit, définitif, celui qui change tout, ou qui casse tout, je l’avais dit, ce je t’aime redoutable. Mais comment ne pas le dire à une fille dont on rêve depuis des mois, pour qui on a traversé l’Atlantique et les États-Unis ? Comment ne pas le dire quand il est minuit, qu’on est couché dans le même lit, à côté d’elle, dans une chambre au bord de la mer et que c’est elle qui vient de vous dire la première qu’elle vous aimait ? Parce qu’elle l’avait dit, ou tout comme. Alors on dit « Moi aussi je t’aime ».
Mais Patricia n’a pas relevé. C’était comme si je n’avais rien dit. Elle a allumé sa lampe de chevet et après un long silence, elle s’est remise à parler.

« Maintenant, il faut que tu saches Continuer la lecture de Go West ! (106)

Go West ! (105)

(…) Soudain, elle se lève et dit :
— J’ai froid. Viens…
Nous avons rejoint la route et Patricia a tourné à droite vers le sud. Nous vous roulé quelques minutes encore et sur notre droite a surgi un modeste panneau de bois à la peinture blanche écaillée. En lettres bleu pâle à peine lisibles, il disait : Candlewood Motel – 5 miles. Patricia a freiné brusquement et pris le chemin que le panneau indiquait.

Samedi 18 août 1962 – Candlewood Motel, Apartment n°9Trappe, Md.

Ç’aurait dû être notre première vraie nuit ensemble, entière, comblée… Mais, encore une fois, ça ne s’est pas passé comme ça.

Dimanche ; c’est le petit matin, gris foncé. Dehors, le vent ne souffle plus ; la pluie tombe, verticale ; une pluie moyenne, régulière ; on dirait qu’elle est là depuis toujours et qu’elle n’aura pas de fin. J’écoute son pianotement sourd sur le toit de notre chambre. Dans un crépitement plus clair, les gouttes d’eau éclatent sur le bois de la terrasse. La glacière que nous y avons oubliée hier soir est restée ouverte. Ce qui reste des sandwiches va être fichu.  Par-dessus l’étroit ruban d’asphalte rongé par le sable qui nous a mené jusqu’au Candlewood Motel, au-delà de la plage hérissée d’herbes sauvages, à travers le rideau imprécis de la pluie, je contemple l’eau grise et plate de la baie de Chesapeake. Au loin, le faible éclat d’un phare surgit de temps en temps. Derrière moi, Patricia a fini par s’endormir. Son épaule et ses cheveux émergent seuls du drap qui sculpte son corps couché sur le côté. Mais elle bouge un peu, et, d’un seul mouvement, elle repousse le drap et se lève. Elle vient jusqu’à la baie vitrée et se plante à côté de moi, sans me toucher. Je n’ose pas la regarder. D’une voix neutre, elle dit :
— C’est drôle, la tempête s’est calmée.
Et puis, découvrant la glacière ouverte sous la pluie, elle ajoute :
— Il va falloir jeter tout ça. On va rentrer…
Puis elle traverse la pièce et Continuer la lecture de Go West ! (105)