Archives de catégorie : Récit

La cerise sur le gâteau

par MarieClaire (Ce texte a été diffusé pour la première fois le 21/11/2017)

Le réveil sonne. Pas une vraie sonnerie, plutôt un genre de klaxon. Elle déteste ce bruit et sursaute. Il est sept heures trente, il serait temps de se lever, mais avant, elle s’étale encore une fois dans le grand lit tiède où elle est seule : Louis est parti la veille à Toulouse. Il se donne des airs importants quand sa boîte l’envoie en province. Lui et son fidèle attaché-case, cette idée la fait bien rire.

Ce matin, elle ne ressent pas l’élan qui devrait la mettre à bas du lit. Elle est seule, si tranquille. Penser à ce qui l’attend : la foule du métro, les heures au bureau, enfermée avec un travail sans intérêt, les collègues agaçants… Elle les voit déjà : Monsieur Poinseau son chef pointilleux, Simon qui a toujours perdu quelque chose et la dérange constamment, Suzanne et son sourire pincé. Il y a aussi Alma qui se prend pour une star et qui ne s’appelle sûrement pas Alma, plutôt Janine ou quelque chose comme ça…

Non, pas ce matin, elle ne pourra pas les affronter. Impossible de se lever. Ce serait si bon Continuer la lecture de La cerise sur le gâteau

Go West ! (95)

(…) Quant à Julius, je n’ai retenu de lui que ce que j’en ai dit plus haut : son accent, son rire, quelques bribes de sa vie, son ouverture d’esprit et sa gentillesse. Et soudain je me rappelle qu’alors que nous approchions d’Harrisburg, il m’a dit :
— Aujourd’hui, tu es un étudiant. Tu voyages, tu vois des pays, tu découvres des choses. Plus tard, tu seras un ingénieur. Un jour sans doute, tu seras important ; les gens t’écouteront. Alors quand tu leur raconteras ton voyage en Amérique, sois juste avec mon pays.

Nous sommes arrivés Harrisburg le vendredi 17 août en début d’après-midi. Une heure avant, nous nous étions arrêtés une dernière fois pour faire le plein d’essence dans une station-service. Julius avait consulté la carte routière offerte par Esso pour repérer la route qui pourrait me mener jusqu’à Washington, puis, il avait ouvert le coffre de la voiture et en avait extrait un rectangle de carton blanc. C’était le couvercle de la boite dans laquelle il avait rangé quelques livres et des dossiers. A l’aide d’un gros crayon bleu puisé au fond du carton, il avait tracé les contours de deux grandes lettres capitales qu’il avait ensuite remplis au moyen d’un gros crayon bleu. Le rectangle blanc disait maintenant « D.C. » Il me l’avait tendu en disant :
— Tiens ! Ça suffira. Les gens comprendront où tu vas.
Nous sommes repartis pour nous arrêter plus loin dans la dernière station-service avant l’embranchement pour Washington. Nous avons pris ensemble un dernier Coca et un dernier sandwich et puis je suis allé me placer à la sortie de la station et j’ai commencé Continuer la lecture de Go West ! (95)

Carpe diem, quam minimum credula postero

C’est pas pour me vanter, mais c’était quand même mieux avant !
Regardez un peu cette image de  la Fontaine Carpeaux. Elle date de cent cinquante ans.

Les hommes portent chapeau mou, melon ou gibus. Dans un coin, un ouvrier incongru porte une casquette.
Les femmes, elles aussi, sont en chapeau. Elles portent des robes à fronces et drapés, cintrées, baleinées, avec multiples découpes et manchettes incrustées. L’érotisme est dans les bottines à talons.
C’est pourquoi les jeunes filles, elles, portent des Continuer la lecture de Carpe diem, quam minimum credula postero

Go West ! (94)

(…) Julius rentrait chez lui chargé de cadeaux pour toute la famille mais, comme il me l’apprît quelque part entre Las Vegas et Denver, le cadeau le plus extraordinaire qu’il rapportait était pour lui : c’était sa voiture, la Cadillac Fleetwood Sixty Special, année 55, couleur rose, exactement le même modèle et la même couleur que la voiture d’Elvis Presley.

Si, comme le monde entier, je connaissais Elvis Presley, à cette époque, je n’en étais pas vraiment fan. Je me rangeais plutôt parmi les adeptes de Duke Ellington, d’Oscar Peterson et d’une récente révélation, Dave Brubeck. Que deux microsillons de Ray Charles figure dans ma discothèque me paraissait une concession suffisante à la musique populaire. Alors Elvis…
Je ne savais pas grand-chose de sa musique et pas davantage de sa vie privée. Mais je savais qu’effectivement, un jour, Elvis avait acheté une Cadillac rose. Cet événement avait déclenché les commentaires ironiques des journaux français qui y avait trouvé la confirmation du mauvais goût bien connu des Américains.

Julius avait acheté la voiture à un marin de la base de San Diego, un fils de famille, qui lui-même l’avait gagnée au poker à un vague scénariste hollywoodien. Le marin achevait un engagement d’un an dans la Marine que son conseil Continuer la lecture de Go West ! (94)

Se baigner dans la Seine ? 

Sous l’influence du lobby constructeur d’EDP (Engin de Déplacement Personnel) et corrupteur d’édiles, la voie Georges Pompidou a été sacrifiée sur l’autel festif du parisianisme bobo hidalgien. Le bon Georges n’en a pas fini de se retourner dans sa tombe.
Le 17 juin dernier, je l’ai parcourue, cette voie, du Pont des Arts au Pont Sully-Morland. Il faisait une chaleur à convertir un climato-sceptique. Curieusement, et malgré les hordes bigarrées de touristes ébahis et bon enfant ou épuisés et hargneux qui recouvraient les quais supérieurs, les ponts, les boulevards, les avenues, les places et les terrasses, sur l’ex-voie sur berge il n’y avait personne ; ou presque. À part quelques amoureux enlacés sur les pelouses à tiques et herbes folles, quelques clochards mal réveillés à odeur de régurgitation, quelque solitaires suicidaires et indécis car ne sachant pas nager, et deux ou trois égarés cherchant à sortir indemne de cette fournaise, il n’y avait personne ; ou presque. Dans les personnes ou presque, je ne compte pas les centaures arrogants Continuer la lecture de Se baigner dans la Seine ? 

Go West ! (93)

(…)Ceux-là savent qu’un ride de plus de quatre mille kilomètres en quatre jours, c’est une sacrée performance ; que seulement deux voitures aient été nécessaires à cet exploit, c’est un coup de chance phénoménal ; que l’une de ces voitures soit une Cadillac et l’autre une Lincoln Continental, que la première soit conduite par un sergent noir et la seconde par un chauffeur blanc, et que la Lincoln soit noire et la Cadillac rose, que tout cela ne peut être que du domaine du délire onirique, donc de l’impossible.
Mais nous sommes en Amérique, et là-bas, il arrive que le rêve américain devienne réalité.

Quand elle s’est approchée de moi, j’ai bien reconnu sur la calandre le V largement évasé de Cadillac surmonté de son blason, mais ce n’est que le lendemain matin, à la lumière du jour, que j’ai remarqué sa couleur. Pour le moment, tout ce que je voyais, c’était une grosse voiture arrêtée à ma hauteur avec, à l’intérieur, un homme noir qui se penchait vers moi et qui me demandait où j’allais.

— Washington ! Washington D.C. ! lui ai-je répondu, désabusé, presque agressif, comme si je considérais que cette destination était inaccessible et que de toute façon ce n’est certainement pas lui qui pourrait m’y emmener.

— Cool ! m’a répondu le bonhomme. Tu as un permis de conduire ?

L’espoir renaissait car, quand un type vous demande si vous avez un permis de conduire, ce n’est pas pour vous lâcher au bout de dix miles. Je lui ai dit Continuer la lecture de Go West ! (93)

Go West ! (92)

(…) Je ne sais pas ce qui m’a poussé à le faire, peut-être le fait qu’elle ait dit Philippe au lieu de Phil ou de petit homme, peut-être la chaleur du baiser que nous avions partagé un peu plus tôt, mais je l’ai fait.  Dans un mouvement très souple et très naturel, comme dans un film, j’ai passé mon bras gauche derrière sa nuque, je me suis penché vers elle et je l’ai embrassée. Tout d’abord, elle est restée sans réaction ; elle se laissait faire. Alors j’y ai mis un peu plus de passion, en même temps que je passai ma main sous sa chemise. C’est à cet instant que j’ai reçu un grand coup de son coude droit dans les côtes.
— Petit con ! Décidément, tu n’as rien compris !

C’est de cette façon lamentable que se terminèrent les trois jours les plus extraordinaires que j’aie jamais vécus : insulté, humilié, planté là sur le bord de la route, je regardais une petite voiture traverser en bondissant le terre-plein central pour rejoindre la chaussée qui retournait vers la ville.

Lorsque ses feux eurent disparu, je demeurai un moment immobile, puis je fis machinalement trois pas dans la direction de Las Vegas Continuer la lecture de Go West ! (92)

La trottinette, dangereuse aussi à l’arrêt

Avant-hier,  un incendie a causé la mort de plusieurs personnes dans un immeuble de Reims. Il avait pris naissance dans une trottinette électrique.
Il y a à peine plus d’un an, je publiai un texte qui rapportait un incident dont je venais d’être le témoin : l’incendie spontané d’une trottinette électrique dans un wagon de métro. Incendie impressionnant, flammes violentes de deux mètres de hauteur, fumées agressives, impossible à éteindre. Je publie à nouveau ce texte sans grand intérêt afin d’attirer votre attention sur ces engins, encore plus dangereux à l’arrêt qu’en circulation. Ne sous-estimez pas le danger d’incendie que présentent leurs batteries.

*

Ce matin, par extraordinaire, j’ai pris le métro. J’ai descendu le Boulevard Saint Michel jusqu’à la station Cluny, j’ai rechargé mon Continuer la lecture de La trottinette, dangereuse aussi à l’arrêt

Go West ! ( 91)

(…) Sur le coup, ça me fait plaisir que Mansi ait voulu me rendre service. Ça prouve bien qu’elle m’aime un petit peu !
— Merci, c’est gentil de la part de Mansi de…
— Ne te fais pas d’illusions. Elle veut surtout être sûre que tu ne vas pas revenir traîner dans le coin. Avec tes réactions de lycéen, on ne sait jamais. Elle m’a même demandé de te surveiller jusqu’à ce que quelqu’un t’ait pris en voiture ! Alors, tu vois…

Et paf ! Encore un coup à l’amour propre. En silence, je croise les bras et me rencogne contre la portière.
— Écoute, petit homme. Non, excuse-moi : écoute, Philippe…
Ça me fait du bien d’entendre mon prénom, prononcé en entier, plutôt gentiment.
— Écoute, Philippe. Tu prends tout ça trop au sérieux. Je te comprends, remarque. J’ai un petit cousin comme toi, Matt. Il est gentil, Matt, dix-huit ans, bien élevé, timide, maladroit. En septembre, il va rentrer à l’université, à Davis. Je le connais bien, Matt. Tu me fais un peu penser à lui.
— Un gentil crétin, quoi !
— Mais non, pas du tout ! Je l’aime bien, Matt, simplement, il n’est pas comme nous, je veux dire pas comme Mansi, comme Bob, ou comme moi. Quand je t’ai observé l’autre soir, installé comme tu l’étais chez Mansi, je l’ai tout de suite imaginé à ta place. Débarquer d’un seul coup dans un milieu totalement différent de celui dans lequel on a toujours vécu, ça ne doit pas être facile. Moi, je n’aurais jamais amené Matt dans une soirée comme ça, et s’il avait été là quand même, je l’aurais surveillé, je l’aurai protégé. Pendant un moment, j’ai bien failli le faire pour toi. Mais quand j’ai vu que tu t’entendais si bien avec Brenda… Continuer la lecture de Go West ! ( 91)

Go West ! (90)

(…) J’en ai pris plein la figure. Submergé par ce flot de révélations, je n’arrive pas à les assimiler. J’ai la gorge serrée, je suis incapable de prononcer un mot. J’ai fini de m’habiller depuis longtemps et c’est au moment où je me penche pour ramasser mes affaires qu’un sentiment de révolte m’envahit. J’attrape mon sac, marche jusqu’au coin du lit et m’assieds dessus, le sac entre mes pieds.
— Je ne pars pas !
— Quoi ? Et Bo qui arrive !
— Je m’en fous, je ne pars pas ! Bo ne me fait pas peur !

Je ne sais pas ce qui m’a pris. Ce Bo ne me fait pas peur ! est sorti malgré moi. On n’a pas idée de dire un truc pareil ! Et quand bien même ce serait vrai, quand bien même je l’affronterais, Bo, ça nous mènerait à quoi ? À une discussion de gentlemen au cours de laquelle je tenterais de le convaincre de me laisser dormir avec sa femme encore quelques jours ? À une bagarre dans laquelle j’aurais toutes les chances de me faire estropier et jeter dehors ? Ridicule ! Ridicule et dangereux ! Mais il a fallu que je le dise… Stupide !

— Fran ! Viens m’aider à foutre ce petit con dehors !

Fran arrive du salon. Ses deux bras pendent le long de son corps, mais au bout du bras droit, il y a un couteau de cuisine, pointé vers le sol. Elle fait deux pas vers moi et se fige. Son corps paraît à la fois souple et tendu, elle l’air impassible mais attentive, immobile et dangereuse comme un serpent. Je me lève brusquement et recule en trébuchant le long du lit. Le téléphone sonne. Continuer la lecture de Go West ! (90)