Archives de catégorie : Récit

Une autre traversée de Paris

Le moral n’est pas au plus haut, c’est la saison des soldes, mais à la campagne, y’en n’a pas, le temps tourne à l’orage et la flemme règne en maitre. Alors voici un texte, auquel je ne mettrai qu’un 10/20, mais qui vous rappellera un peu Paris. 

Il est cinq heures.

Le jour se lève.

Au Bomby’s café de la Place d’Italie, un homme noir en bleu de travail est accoudé au comptoir devant une tasse de café. Son corps est entièrement relâché et sa silhouette forme une sorte de S. Son regard est ailleurs.

Un chien remonte en trottinant le boulevard Auguste Blanqui. Il connaît les jours et les heures du marché Corvisart. Un camion s’arrête pour le laisser passer.

Il est huit heures.

Rue Gay-Lussac, une femme cherche désespérément la rue d’Uhélème. Elle entre au café pour demander son chemin. Ici, on ne connaît que la rue d’Ulm. C’est déjà ça.

Rue Saint-Jacques, il y a cette jeune femme qui pleure dans son iPhone. Devant l’église Saint Jacques du Haut Pas, elle croise sans le voir un enfant qui rit parce que les pavés Continuer la lecture de Une autre traversée de Paris

Chagrin des côlons

Un récit de voyage par le Docteur Lorenzo dell’Acqua

En plus de celle d’exercer mon métier, j’ai eu la chance de faire pendant plus de trente ans de l’endoscopie digestive. Cette investigation courante explore à l’aide d’endoscopes flexibles les organes digestifs creux et accessibles comme l’estomac et le colon. Ces deux examens n’ont strictement aucun point commun, tant sur le plan technique que poétique. L’endoscopie de l’estomac est un acte quasiment automatique, le trajet comme la couleur rouge étant toujours les mêmes : d’abord on descendait tout droit puis on tournait vers le droite, puis on empruntait le tunnel du pylore et on explorait le duodénum. Tous les estomacs sont identiques. Jamais la moindre surprise. Cette uniformité de leur estomac, les hommes la partage avec Continuer la lecture de Chagrin des côlons

Les trois Marius

Il y eut d’abord les Trois Horaces, puis les Trois Curiaces. Un jour, vinrent les Trois Mousquetaires, les Trois Stooges, Les Trois lanciers du Bengale, sans compter les Trois premières fois. Parmi ces trios célèbres viennent se placer les Trois Marius. Voici le pourquoi et le comment dans un texte déjà diffusé le 22 novembre 2016. 

Dans Cinématurgie de Paris, un livre que j’ai déjà eu l’occasion de vous recommander, Pagnol raconte comment la version de sa fameuse pièce de théâtre Marius fût finalement tournée telle que vous l’avez vue. .

La pièce connaissait un énorme succès, jouée sans interruption depuis deux ans par Raimu, Fresnay, Charpin, enfin ceux que vous connaissez.
Bob Kane, patron de la Paramount en France voulait tourner la pièce, mais il considérait que des comédiens de théâtre n’étaient pas capables de jouer dans un film parlant, ou plutôt incapables d’attirer le public.
Les noms des acteurs qu’il citait pour tourner le film ne vous diraient rien ou pas grand-chose aujourd’hui, mais c’étaient ceux de véritables vedettes du cinéma de l’époque.
Pagnol se battit très fort pour imposer les comédiens qui jouaient sa pièce et il obtint gain de cause. Voici ce que lui dit Kane (La scène se passe en 1931 et c’est Pagnol qui raconte) :

 » –Voici, me dit-il, ce qui est convenu. Tu seras le superviseur de la production française, et tu auras pour collaborateur Alexandre Korda. Le film sera joué par tes acteurs puisque tu y tiens. De plus j’accepte de te donner des droits d’auteur sur les recettes, ce qui me vaudra de vifs reproches télégraphiques de la part d’Hollywood. Mais, en échange de ces sacrifices, tu m’autorises à tourner comme il me plaira une version allemande et une version suédoise de ton film. Je ferai, pour ces versions, les coupures qui me paraitront nécessaires, je choisirai les acteurs à mon goût, je changerai le titre, bref, tu me laisses une entière liberté. Es-tu d’accord ? Continuer la lecture de Les trois Marius

Une affaire de taille

Rediffusion d’un texte publié pour la première fois le 29 mai 2016.

Je vais vous raconter une histoire. C’est une histoire vraie. Il n’y a aucun doute sur sa véracité. Elle a été rapportée par l’un de ses intervenants. Et pas n’importe lequel ! Un prix Nobel ! C’est dire combien cette histoire ne peut qu’être vraie.

Quand il s’agit d’une histoire courte et vraie, on a l’habitude de parler d’anecdote. Voici donc une anecdote. Continuer la lecture de Une affaire de taille

GO WEST ! (48)

(…) J’hésitais parce que contrairement aux livres de souvenirs et aux récits de voyage, les livres d’enquête rencontrent souvent le succès. Bien ou mal écrits, la question n’est pas là, ils satisfont le goût d’un certain public pour le sensationnel, le scandaleux, surtout quand il frappe des personnalités connues. Avec les Kennedy, avec Marylin Monroe et même avec Lawford, on ne pouvait trouver guère mieux pour attirer le chaland. En ajoutant à tout ça un complot ourdi par des puissants, une énorme erreur judiciaire et la réhabilitation d’un Président adulé par une moitié de l’Amérique et détesté par l’autre, je détenais des éléments très forts. Écrire un volume là-dessus était vraiment tentant.

Et puis j’ai réfléchi. J’ai examiné sur les cinq dernières année les sorties de livres pouvant concerner de près ou de loin les acteurs principaux de cette tragédie. Ensuite, je suis passé aux articles récents de la presse écrite mentionnant leurs noms. Et puis j’ai recherché les programmes de télévision qui avaient abordé le sujet durant les deux années passées. Contrairement à ce que je pouvais craindre, ma recherche fut facile, et ceci pour deux raisons. Tout d’abord : Continuer la lecture de GO WEST ! (48)

GO WEST ! (47)

C’est un peu plus loin qu’il revenait en détail sur son enquête :
« Avant d’entrer cette nuit-là dans la chambre de Marylin, des cadavres morts par overdose, j’en avais vus pas mal, mais jamais l’expression qui demeurait sur leurs visages figés par la mort ne m’avait fait penser à un enfant endormi comme cela avait été le cas pour Marylin. Au contraire, la grimace définitive qui les défigurait révélait l’intensité de la douleur qu’ils avaient dû subir pendant leur agonie. Le visage de Marylin était tout à l’opposé, paisible et détendu.

De la même manière, alors qu’on retrouvait toujours les morts par overdose recroquevillés sur eux-mêmes, dans la position du fœtus, le corps de Marylin reposait tout tranquillement, ses jambes à peine fléchies, ses cheveux à peine décoiffés et son peignoir à peine en désordre, comme si elle s’était allongée pour faire une sieste. Il était donc impossible qu’elle soit morte par absorption de médicaments. Comme elle ne portait pas de traces de violences, je pensai tout de suite que seule une injection directe permettait d’expliquer sa mort subite. Mon intuition fut confirmée un plus tard quand j’obtins une copie du rapport du médecin légiste par un ami que j’avais au bureau du Coroner. Le rapport disait que la mort était due à la présence très abondante de Nembutal dans le sang de la victime. Un peu plus loin, il précisait incidemment qu’aucune trace de cette molécule n’avait été trouvée dans son système digestif. Par incompétence ou sur instructions, le Coroner n’avait pas tiré la conclusion évidente de cette absence : puisque le Nembutal n’avait pas été avalé, c’est qu’il avait été injecté et puisqu’on n’avait retrouvé sur place ni ampoule ni seringue, c’est qu’il avait été administré par un tiers. »

Et Clemmons concluait son chapitre ainsi :

« Il était donc maintenant établi qu’il s’agissait d’un homicide volontaire. Dans les affaires criminelles, la règle Continuer la lecture de GO WEST ! (47)

GO WEST ! (46)

(…) C’était à la fois trop compliqué, trop romantique et trop classique. Je n’arrivais pas à y croire, ou plutôt, je n’arrivais pas à croire que, moi, j’ai pu jouer un rôle dans une affaire aussi effrayante. Elle était encore plus effrayante que ce que j’avais imaginé autrefois, parce que, maintenant, je commençai à comprendre qu’elle était plus grave qu’un simple suicide, plus grave que le suicide d’une actrice mondialement célèbre, plus grave que la mise en cause d’un homme à l’époque le plus puissant de la planète.  À présent, malgré quelques zones d’ombre qui persistaient, j’étais certain de détenir la vérité. La voici.

Marietta, c’est à dire un agent spécial du FBI, avait dû pénétrer par effraction dans la chambre de Marylin vers 10 heures du soir. Il avait trouvé l’actrice à demi-inconsciente, probablement sur son lit, assommée par le champagne et les médicaments qu’elle avait absorbés en quantité depuis le début de l’après-midi. Il lui avait été facile de lui injecter une forte dose de Nembutal qui avait provoqué la mort en quelques minutes. Marietta avait ensuite déposé près du Continuer la lecture de GO WEST ! (46)

Go West ! (45)

(…)
« Salut Clemmons, quelle est la situation ?
— Miss Monroe est morte. Dans sa chambre, sur son lit. C’est Mr Lawford qui l’a découverte. La nurse Murray l’avait appelé parce qu’elle était inquiète. Il a cassé un carreau pour entrer. Il a vu Miss Monroe. Il a demandé à Mrs Murray d’appeler la police. Pas de trace de violence sur le corps ni dans la chambre. Il y a de l’alcool et des médicaments partout. Overdose accidentelle, suicide, homicide… »
Je reste le plus concis possible. Je ne lui parle pas de l’attitude bizarre de Lawford. Il verra bien lui-même. Bien sûr, je ne lui parle pas non plus de mon Français en cavale. Il l’apprendra toujours assez tôt par le commissariat. Ce qui m’étonne, c’est qu’il ne me demande pas de qui j’ai reçu l’ordre de venir chez Marylin. Mais je comprends qu’on a les mêmes employeurs quand il me demande : « Et le dictaphone, Clemmons ? Vous l’avez, le dictaphone ? »

C’est à ce moment que j’ai interrompu ma lecture pour me dire qu’il n’était pas près de l’avoir, le dictaphone, vu qu’il se baladait sur Bundy drive à moins d’un demi-mile de là dans la poche d’un étudiant français en cavale ! Cette petite réflexion me fit sourire et je ne pus m’empêcher de me demander : « Que ce serait-il passé soixante ans plus tôt si je n’avais pas ramassé le fichu appareil ? Est-ce que Lawford l’aurait remis à Clemmons ? Est-ce qu’il l’aurait gardé pour lui ? Est-ce qu’il l’aurait fait parvenir à Bobby Kennedy ? Et dans ce cas, qu’en aurait-il fait, l’Attorney General ? L’aurait-il rendu public pour innocenter les Kennedy de l’assassinat de Marylin ou l’aurait-il fait disparaitre pour cacher leur responsabilité dans son suicide ? » À force de me demander à l’infini ce qui se serait passé si j’avais fait ceci au lieu de cela, j’en vins à me poser d’autres questions, moins théoriques celles-là, sur ce que je venais de lire. Elles concernèrent d’abord le dictaphone, mais, naissant les unes des autres, elles ne tardèrent pas à se multiplier et à élargir leur champ pour finir par s’enchevêtrer dans ma tête en un réseau confus.

Le fameux dictaphone, d’abord…
Comment ceux qui se cachaient derrière le nom de Marietta pouvaient-ils savoir qu’il y en avait un dans la chambre de Marylin ? Et pourquoi voulaient-ils Continuer la lecture de Go West ! (45)

Go West ! (44)

(…)
— Allez ! Vas-y, génie ! Déballe-la, ton idée !
— OK Marietta. Lawford n’est pas clair. Il est très nerveux. Je pense que c’est lui qui l’a trouvé. Il était sur place bien avant moi et il a eu tout le temps de le planquer quelque part. C’est pas les endroits qui manquent.
— OK Victor. Retournez dans la maison et débrouillez-vous pour récupérer l’appareil.
— OK Marietta. Je peux le secouer un peu, l’acteur ?
— Faites ce qu’il faut !
— Hey ! C’est quand même le beau-frère du Président et de l’Attorney General ! Vous me couvrez s’il râle auprès des Kennedy ?
— Faites ce qu’il faut, on vous dit. Après, on verra. »

 Après, on verra !
Tu parles, oui ! C’est sûr qu’en cas de bavure, je vais me retrouver à faire la circulation à Compton ! Il va falloir le bousculer un peu, le beau-frère, mais pas trop, en douceur ! Je sors de ma voiture et reviens vers la maison. Quand j’approche du portail, j’aperçois Lawford dans la pénombre. Appuyé d’une main sur la portière de la Rolls, il est accroupi entre les deux voitures. On dirait qu’il cherche quelque chose sous sa voiture. Comme il me tourne le dos, il ne m’a pas vu. D’un ton aimable, je lui demande :
« —Vous avez perdu quelque chose ? Je peux vous aider ?
— Merci, ce n’est pas la peine, me répond-il avec empressement. En sortant de voiture tout à l’heure, j’ai dû laisser tomber mes lunettes… Elles doivent être par là… »
Soudain, il se retourne vers moi en se redressant.
« — Les voilà ! me dit-il en brandissant la paire de lunette de soleil qu’il avait dans sa poche de chemise quelques minutes plus tôt quand je parlais avec lui dans la cuisine. »
Et puis très vite, il rejoint le porche et rentre dans la maison. Continuer la lecture de Go West ! (44)

Go West ! (43)

(…) J’ai confirmé que j’avais bien compris : Marylin s’était suicidée. Sur place, il faudrait jouer mon rôle de flic normal, sanctuariser les lieux, faire les constatations, interroger les témoins tout en faisant mon boulot d’agent double en cherchant un Dictaphone. Pour quoi il faudrait faire tout ça, je n’en avais aucune idée. Je me disais que je ne le saurais probablement jamais, mais qu’avec Marylin et tous les pontes qui tournaient autour ce devait être drôlement important. Deux minutes plus tard, j’entrai dans 5th Helena drive. Il était 10:34 p.m.

C’est un cul de sac. La maison de Marylin est tout au fond, portail ouvert. Deux voitures garées côte à côte font face à la porte d’entrée, un cabriolet T’Bird et une Rolls Royce décapotée. Sous le porche il y a un type en bermuda qui s’avance vers moi entre les deux voitures. Je le reconnais tout de suite, c’est Peter Lawford, l’acteur. Je ne suis pas surpris, tout le monde sait que c’est un ami intime de Marylin. Je me présente. Lawford a l’air bouleversé.  Dans le désordre, il me dit que Marylin est dans sa chambre, qu’elle est morte, sur son lit, que c’est la nurse qui l’a appelé, qu’il est venu tout de suite, que c’est terrible, qu’il a cassé un carreau pour entrer dans la chambre, qu’elle a fait une overdose, qu’elle est morte, qu’il a appelé le médecin de Marylin, que la nurse a appelé la police, que c’est bien d’être venu si vite, qu’elle est morte… Je finis par l’interrompre et lui demander Continuer la lecture de Go West ! (43)