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Go West ! (110)

(…) Alors, oui, il y avait des bas, de la frustration, du dépit, mais j’avais toujours peur de la brusquer. Je me disais que notre flirt, notre bonne entente de faux cousins ne pouvait pas ne pas évoluer vers quelque chose de plus fort. Alors, j’étais doux, gentil, gai et, de temps en temps, je faisais une tentative… enfin, tu vois, j’espérais. Et finalement, j’ai eu raison…
— Oui, je sais… encore une fois, tu vas me parler de la nuit du Marvin’tavern.

La soirée du Marvin’s tavern a tout changé. Je ne sais plus du tout ce que Patricia et moi y avions mangé, mais je me rappelle très bien que nous avions bu du vin et que la soirée avait été merveilleuse. Je me sentais inspiré, confiant, drôle, oserai-je dire brillant, et séduisant même. Patricia était ravissante, gaie et attentive. Ce soir-là, face à face dans notre petit box près de la fenêtre, nous avions flirté, je veux dire flirté verbalement, en nous tenant la main à travers la table, en nous disant des choses… pas des « je t’aime » bien entendu, mais des choses… Une fois dans la voiture, Patricia était devenue tendre et nous nous étions embrassés.

Comme il était encore tôt, elle m’avait proposé d’aller prendre un verre dans une boite de jazz. À cet instant, moi, je ne rêvais que de rentrer tout droit à la maison, mais je ne voulais pas avoir l’air d’un barbare, alors j’avais dit Continuer la lecture de Go West ! (110)

Go West ! (109)

(…) Veulerie, paresse, facilité ? Je ne sais pas, mais j’ai fini par laisser mes questions en plan. L’essentiel, c’était que Patricia était redevenue gentille et gaie, peut-être même amoureuse. En tout cas, elle ne me demandait pas de partir. L’essentiel, c’était que j’allais rester près d’elle. Bien sûr, je gardais en moi cette blessure d’amour ou d’amour-propre, cette image de ce salopard de Carver couchant avec Patricia pendant que moi, tout feu tout flamme, je préparais mon voyage pour la rejoindre. Mais l’essentiel, c’était que celui qui était près de Patricia aujourd’hui, c’était moi.

Les parents de Patricia ne devaient rentrer de voyage que le 1er septembre pour aller le lendemain chercher Walter à son camp de voile. La maison était donc toute à nous pour une douzaine de jours. Carver était en vacances quelque part avec femme et enfants et son cabinet était fermé jusqu’au 3. Patricia était donc libre de son temps et elle me le consacra entièrement. Elle fit même preuve de grandes qualités d’organisatrice, de guide et d’animatrice. Chaque jour, au milieu de la matinée, nous partions en voiture vers le centre de Washington et nous visitions musées, monuments, bâtiments fédéraux, quartiers de la ville, tout ce qui était à voir de la capitale des États-Unis. Avec les années, les images que j’en avais gardées, statues gigantesques, palais somptueux, perspectives majestueuses, se sont peu à peu floutés. Pourtant, quelques-unes demeurent encore bien nettes : la salle inoccupée des séances du Sénat, évocation de la toute-puissance de ce nouvel empire romain, sobres pupitres sénatoriaux, moquette étoilée, silence de cathédrale ; le vilain petit bâtiment rouge brique de la Philips Collection avec, à l’intérieur, Auguste Renoir, le Déjeuner des Canotiers devant lequel nous étions restés longtemps assis à imaginer les vies, les amours et les destins de chacun des personnages et même du petit chien ; l’irrépressible émotion devant la simplicité splendide du cimetière militaire d’Arlington ; l’énergie des conquérants d’Iwo Jima incarnée dans le Memorial du Corps des Marines ; l’élan et la légèreté du terminal de Dulles Airport…

En fin de journée, nous rentrions à Bethesda pour y diner sur Continuer la lecture de Go West ! (109)

Go West ! (108)

(…) Je me suis laissé tomber, assis sur le lit. Elle s’est assise à côté de moi et nous sommes restés un moment comme ça, moi, la tête entre les mains, elle, me caressant le dos. Et puis elle m’a poussé doucement sur le côté jusqu’à ce que je m’allonge ; je n’ai pas résisté et, tout de suite, je me suis couché en chien de fusil, ramassé sur moi-même ; elle en a fait autant, son corps collé au mien, imbriqué. J’ai dû m’endormir avant elle.

Les derniers jours qui me restaient à vivre avec Patricia, seize exactement, d’abord à Washington puis, pour finir, à New-York, ne se sont pas passés comme je l’avais espéré. Et pourtant, tous ces jours, toutes les nuits qui les ont suivies, nous les avons vécus côte à côte, tous les deux, dans la même maison ou dans la même chambre d’hôtel, sans que personne ne nous dérange ni même ne nous observe. Nous avons dormi ensemble, nous avons pris des petits déjeuners ensemble, nous sommes allés au cinéma et au théâtre, nous avons pris l’avion ensemble, roulé en voiture, pris le métro, visité des musées et des grands magasins, flâné dans des rues et dans des jardins… Presque tout ce qu’on doit faire ou voir à Washington et à New-York, nous l’avons fait, nous l’avons vu. Pendant ces quelques jours, notre vie a ressemblé à celle d’un couple en vacances. C’était un peu comme si, Patricia et moi, nous étions en voyage de noces. Seize jours dont je n’aurais jamais osé rêver. Mais le cœur n’y était pas… pas vraiment.

Au retour de la baie de Chesapeake, quand nous étions arrivés devant sa maison, je n’avais pas la moindre idée de ce que Patricia allait faire. La fin de la nuit avait été difficile tant pour elle que pour moi et, depuis que nous avions quitté le Candlewood Motel, nous n’avions pas échangé trois mots. Rester Continuer la lecture de Go West ! (108)

Go West ! (107)

(…) tu m’écrivais que tu viendrais chez moi, que nous serions ensemble… Là, j’aurais dû t’en dissuader ; j’aurais dû te dire non, tu ne peux pas venir parce que mes parents… parce que mon travail… parce que…, mais je n’ai pas eu ce courage. J’essayais vaguement de te le faire comprendre… j’étais moins tendre dans mes lettres, je les faisais plus brèves, je mettais plus de temps à répondre aux tiennes, et à chaque occasion, j’élevais de nouveaux obstacles à ta venue chez moi. Mais je ne te disais pas « Ne viens pas ! Tu vas te faire du mal, tu m’aimes trop et je ne t’aime pas assez, il faut que tu m’oublies, ne viens pas ! ». Et puis, en même temps, je pensais « Eh bien, qu’il vienne après tout, puisqu’il y tient tant ! On verra bien !»

Mais ce n’est pas vrai, ce qu’elle raconte ! Ce n’est pas vrai ! Elle m’attendait, elle voulait que je vienne… Pendant tout ce temps, elle m’a fait croire que… et ce n’était pas vrai ?

« Et puis un jour, c’était la fin du mois de mai et je venais de recevoir ta lettre qui me disait quand tu allais arriver. Ce jour-là, j’ai vu John dans la rue. Tout de suite, je suis entrée dans un magasin pour me cacher, mais quand il a dépassé la vitrine, je suis sortie et j’ai commencé à le suivre. Je me demandais pourquoi je faisais ça, c’était idiot, il ne fallait pas… mais je le suivais. Je l’ai suivi jusqu’à ce qu’il se retourne brusquement pour appeler un taxi. Il m’a vue, il a hésité une seconde. Il avait l’air bouleversé. Il est venu vers moi, mais je lui ai fait signe que non, que je ne voulais pas… Alors, il a souri tristement, il a haussé les épaules et il est monté dans son taxi. Je l’ai regardé s’éloigner. Il ne s’est pas retourné, il ne m’a pas fait de signe. Je me sentais vide, épuisée, mon cœur battait à cent à l’heure, mais j’étais fière de moi : au moins, j’avais résisté à cette tentation…
Mais le lendemain matin, j’ai appelé son cabinet en me faisant passer pour une de mes amies. Il y avait un rendez-vous de libre en fin d’après-midi. Je l’ai pris… Continuer la lecture de Go West ! (107)

Go West ! (106)

(…) Et puis, à Paris, tu es revenu me chercher… notre déjeuner, notre balade, ta joie de me retrouver, ta fierté de me montrer ta ville… et toujours, cette gentillesse maladroite, cette délicatesse, ce respect même… c’était émouvant. D’un seul coup, sur la petite place, j’ai décidé tout envoyer promener, j’ai décidé de tomber amoureuse.  Et je t’ai amené par la main jusqu’à ma chambre d’hôtel… Tu as dû me prendre pour une fille facile… »

Sa respiration s’était accélérée. Elle s’est tue un instant. Moi, je pensais que ce n’était pas très flatteur d’être considéré comme un enfant, mais au moins, elle le disait : elle était tombée amoureuse.
— Moi aussi je t’aime, Patricia. Comment aurais-je pu te prendre pour une fille facile ?

Ça y était, je l’avais dit, le mot gênant, le mot interdit, définitif, celui qui change tout, ou qui casse tout, je l’avais dit, ce je t’aime redoutable. Mais comment ne pas le dire à une fille dont on rêve depuis des mois, pour qui on a traversé l’Atlantique et les États-Unis ? Comment ne pas le dire quand il est minuit, qu’on est couché dans le même lit, à côté d’elle, dans une chambre au bord de la mer et que c’est elle qui vient de vous dire la première qu’elle vous aimait ? Parce qu’elle l’avait dit, ou tout comme. Alors on dit « Moi aussi je t’aime ».
Mais Patricia n’a pas relevé. C’était comme si je n’avais rien dit. Elle a allumé sa lampe de chevet et après un long silence, elle s’est remise à parler.

« Maintenant, il faut que tu saches Continuer la lecture de Go West ! (106)

Go West ! (105)

(…) Soudain, elle se lève et dit :
— J’ai froid. Viens…
Nous avons rejoint la route et Patricia a tourné à droite vers le sud. Nous vous roulé quelques minutes encore et sur notre droite a surgi un modeste panneau de bois à la peinture blanche écaillée. En lettres bleu pâle à peine lisibles, il disait : Candlewood Motel – 5 miles. Patricia a freiné brusquement et pris le chemin que le panneau indiquait.

Samedi 18 août 1962 – Candlewood Motel, Apartment n°9Trappe, Md.

Ç’aurait dû être notre première vraie nuit ensemble, entière, comblée… Mais, encore une fois, ça ne s’est pas passé comme ça.

Dimanche ; c’est le petit matin, gris foncé. Dehors, le vent ne souffle plus ; la pluie tombe, verticale ; une pluie moyenne, régulière ; on dirait qu’elle est là depuis toujours et qu’elle n’aura pas de fin. J’écoute son pianotement sourd sur le toit de notre chambre. Dans un crépitement plus clair, les gouttes d’eau éclatent sur le bois de la terrasse. La glacière que nous y avons oubliée hier soir est restée ouverte. Ce qui reste des sandwiches va être fichu.  Par-dessus l’étroit ruban d’asphalte rongé par le sable qui nous a mené jusqu’au Candlewood Motel, au-delà de la plage hérissée d’herbes sauvages, à travers le rideau imprécis de la pluie, je contemple l’eau grise et plate de la baie de Chesapeake. Au loin, le faible éclat d’un phare surgit de temps en temps. Derrière moi, Patricia a fini par s’endormir. Son épaule et ses cheveux émergent seuls du drap qui sculpte son corps couché sur le côté. Mais elle bouge un peu, et, d’un seul mouvement, elle repousse le drap et se lève. Elle vient jusqu’à la baie vitrée et se plante à côté de moi, sans me toucher. Je n’ose pas la regarder. D’une voix neutre, elle dit :
— C’est drôle, la tempête s’est calmée.
Et puis, découvrant la glacière ouverte sous la pluie, elle ajoute :
— Il va falloir jeter tout ça. On va rentrer…
Puis elle traverse la pièce et Continuer la lecture de Go West ! (105)

Go West ! (104)

— Et là, tu vois, tout s’éclairait, tout s’arrangeait. Patricia était redevenue tendre, on allait déposer Walter dans son summer camp et on allait être tranquilles, tous les deux, pendant des jours et des jours… et des nuits.
— Et ça ne s’est pas passé comme ça, bien sûr !
— Ben non… Pas tout à fait… Mais quand même un peu…
— Pauvre cloche, va !

Nous sommes partis dans la petite Coccinelle bleu métallisé de Patricia, elle au volant et moi à côté. A l’arrière, Walter partageait la banquette avec une glacière que Patricia avait préparée pour notre pique-nique. Juste avant que nous quittions la maison, je l’avais entendue se disputer avec son frère et depuis, Walter n’avait plus dit un mot. Il faisait la gueule en regardant fixement dehors à travers la vitre. Au début du voyage, Patricia avait tenté de rétablir la communication en vantant le Sparrows sailing summer camp où il allait passer les deux prochaines semaines, la plage sur la baie de Chesapeake, les dériveurs, les soirées feu de camp, les chahuts dans les chalets, le spectacle de fin de séjour. Elle même y était restée tout un mois l’été de ses quatorze ans et elle en avait gardé un formidable souvenir. Bien sûr, le camp des garçons était séparé de celui des filles, mais elle se souvenait de deux ou trois endroits pas très bien surveillés qui permettaient de passer d’un camp à l’autre… À tous les avantages qu’énumérait Patricia, son frère se contentait de répondre « M’en fous !» avant de Continuer la lecture de Go West ! (104)

Go West ! (103)

(…) Elle a dit non, qu’il était tard, qu’elle était fatiguée, qu’elle devait se lever de bonne heure demain matin, qu’on allait réveiller son frère et que la véranda… que non, vraiment, la véranda, ce n’était pas possible. J’ai insisté un peu, mais elle m’a regardé avec ce sourire si doux, un peu triste, mais aussi un peu prometteur. Alors, j’ai lâché sa main. Elle s’est dressée sur la pointe des pieds pour déposer sur mon font un baiser aérien et je l’ai regardée grimper l’escalier, légère, et disparaître vers sa chambre. Debbie Reynolds…
C’est là que j’aurais dû comprendre.

— Et tu n’as pas compris…
— Eh ben… non ! À ce moment-là, je n’ai pas compris.
— Tu n’as pas compris que l’heure tardive, la fatigue, le frangin, la véranda, ça faisait beaucoup de raisons pour un refus.
— Mais, c’était vrai tout ça ! Il était tard, il y avait Walter à l’étage au-dessus, et puis, et je l’ai tout de suite regretté, vouloir entraîner Patricia sur la moquette de la véranda, c’était quand même un peu brutal…
— Et même carrément sordide. Ça ! Pour un soi-disant romantique… enfin… Et le baiser sur le front… pas vraiment amoureux, le baiser sur le front… plutôt amical, presque maternel… On n’embrasse pas comme ça quelqu’un qu’on attend depuis des mois, voyons !
— Tu as sûrement raison mais, qu’est-ce que tu veux, moi, je voulais y croire, à ses excuses. Je voulais croire que ça allait s’arranger. J’y trouvais même un côté positif, à son drôle d’accueil : je me disais que le lendemain, quand elle serait reposée, disponible, quand on se serait débarrassé Continuer la lecture de Go West ! (103)

Go West ! (102)

(…) Une lumière s’allume au-dessus de la porte, trois verrous se dénouent bruyamment et la porte s’ouvre, vite bloquée par un entrebâilleur. C’est Walter. Il me regarde du genre « Alors, comme ça, c’est toi, Philippe ! » et referme la porte sans dire un mot. Il la rouvre largement et me fait entrer.
Walter est brun, les cheveux lisses coupés au bol. Il doit avoir une douzaine d’années mais il est déjà grand, un peu fort, un peu enveloppé. Le contraste avec sa sœur est frappant. Je pense qu’il faudra bientôt qu’il fasse attention. Il porte un large bermuda vert militaire et un sweat-shirt presque de la même couleur. Il est pieds nus.
— Alors, comme ça, c’est toi, Philippe ? (…)

Walter parle clairement, il me regarde droit dans les yeux, sans sourire. Je lui réponds négligemment :
— Oui. Patricia est là ?
— C’est toi qui as appelé tout à l’heure ?
— Oui. Patricia est là ?
— Le type qu’elle a rencontré en Suisse ?
— C’est ça. Patricia n’est pas là ?
— Tu couches avec, mec ?
— Tu es fou ! Nous sommes juste amis !
— T’es sûr, mec ?
— Bien sûr que je suis sûr ! Elle n’est pas là ?
— Mouais…
— Écoute-moi juste une seconde, Walter. Continuer la lecture de Go West ! (102)

Go West ! (100)

(…) J’aurais voulu lui expliquer que je n’étais pas ce qu’elle croyait, un petit vagabond fauché, perdu dans un pays trop grand pour lui, à la merci de la compassion ou des caprices de ses citoyens. J’aurais voulu qu’elle sache que chez moi, en France, à Paris, je n’étais pas si fragile, que j’étais entouré d’amis et de parents respectables, que j’étais considéré, moi, futur ingénieur, plein d’avenir, et qu’un jour, bientôt… Mais je n’y arrivais pas. Je n’y arrivais pas parce la colère montait en moi, qu’elle m’obscurcissait l’esprit, bousculait mes idées, encombrait ma langue, et que je n’en pouvais plus. Je devais être rouge de fureur car Ms Sherman-Vance se mit à me regarder d’un autre œil.
— Qu’est-ce qu’il y a ? chuchota-t-elle, inquiète. Ça ne va pas, Philippe ?
C’est sur ce « Ça ne va pas ? » que j’explosai.

Je ne sais plus très bien ce que je lui ai dit, à Bette, ni dans quel ordre, ni sur quel ton. Ce que je me rappelle, c’est que j’ai commencé par rebondir sur son « Ça ne va pas, Philippe ? » avec un « Non, ça ne va pas ! ». Je me rappelle aussi que j’ai dit ça avec fureur, à voix basse, sans desserrer les dents, réussissant le paradoxe de crier en chuchotant. Pour le reste, je ne suis sûr de rien, mais ça n’a pas dû être joli. Je crois bien que je lui ai tout balancé, son insupportable suffisance, son égocentrisme, son snobisme, son manque de considération, la stupidité de ses solutions et jusqu’au manque d’attrait de sa petite-fille. Je crains même de n’avoir pas usé de ces mots-là mais plutôt de certains de leurs synonymes peu élégants que je me refuse à reproduire ici tant je les regrette à présent.

J’ai fini par me taire, un peu essoufflé, un peu surpris par la violence de mon discours, un peu honteux aussi. Je n’ose pas regarder Ms Sherman-Vance. À la radio, Brenda Lee chante I’am sorry. Continuer la lecture de Go West ! (100)