Go West ! (44)

(…)
— Allez ! Vas-y, génie ! Déballe-la, ton idée !
— OK Marietta. Lawford n’est pas clair. Il est très nerveux. Je pense que c’est lui qui l’a trouvé. Il était sur place bien avant moi et il a eu tout le temps de le planquer quelque part. C’est pas les endroits qui manquent.
— OK Victor. Retournez dans la maison et débrouillez-vous pour récupérer l’appareil.
— OK Marietta. Je peux le secouer un peu, l’acteur ?
— Faites ce qu’il faut !
— Hey ! C’est quand même le beau-frère du Président et de l’Attorney General ! Vous me couvrez s’il râle auprès des Kennedy ?
— Faites ce qu’il faut, on vous dit. Après, on verra. »

 Après, on verra !
Tu parles, oui ! C’est sûr qu’en cas de bavure, je vais me retrouver à faire la circulation à Compton ! Il va falloir le bousculer un peu, le beau-frère, mais pas trop, en douceur ! Je sors de ma voiture et reviens vers la maison. Quand j’approche du portail, j’aperçois Lawford dans la pénombre. Appuyé d’une main sur la portière de la Rolls, il est accroupi entre les deux voitures. On dirait qu’il cherche quelque chose sous sa voiture. Comme il me tourne le dos, il ne m’a pas vu. D’un ton aimable, je lui demande :
« —Vous avez perdu quelque chose ? Je peux vous aider ?
— Merci, ce n’est pas la peine, me répond-il avec empressement. En sortant de voiture tout à l’heure, j’ai dû laisser tomber mes lunettes… Elles doivent être par là… »
Soudain, il se retourne vers moi en se redressant.
« — Les voilà ! me dit-il en brandissant la paire de lunette de soleil qu’il avait dans sa poche de chemise quelques minutes plus tôt quand je parlais avec lui dans la cuisine. »
Et puis très vite, il rejoint le porche et rentre dans la maison.

Pourquoi ce type fait-il cela ? Pourquoi fait-il semblant d’avoir perdu en pleine nuit des lunettes de soleil alors qu’elles n’ont pas quitté la poche de sa chemise ? C’est parce qu’il cherche quelque chose d’autre. Un dictaphone, par exemple ; un dictaphone qu’il aurait ramassé dans la chambre de Marylin avant que j’arrive, par exemple ; un dictaphone introuvable qui intéresserait fichtrement le FBI. Et pourquoi le cherche-t-il sous sa propre voiture ?  Mais parce que c’est lui qui l’y a mis, bien sûr. Et pourquoi donc, s’il vous plait ? Pour me le cacher, pour le cacher à la police, c’est évident. Et pourquoi ça ? Parce que ce truc contient quelque chose d’important, de compromettant. Mais…, de compromettant pour qui ? Eh bien, pour lui… ou pour les Kennedy ?

Je me penche à mon tour pour regarder sous la Rolls et puis, par acquis de conscience, sous l’autre voiture. Rien. Si le dictaphone a été là à un moment quelconque, il n’y est plus, et s’il n’y est plus, c’est que quelqu’un l’a pris. Et ce quelqu’un, ce n’est pas moi, j’en suis certain, ce n’est pas Lawford puisqu’il le cherche encore, et je ne vois pas la nurse faire ce genre de truc. Alors qui ? Qui a ramassé le machin sous la voiture, qui a fichu le camp avec ? Il n’y a qu’une solution, c’est le Français, Philip Machinchouette. Son nom était trop compliqué pour que je m’en souvienne, mais Philip, j’en suis sûr. C’est le prénom du privé de romans le plus célèbre de Los Angeles, Marlowe, Philip Marlowe. Le petit salaud est sorti de ma voiture et, Dieu sait comment, il a récupéré l’appareil. Il va le revendre pour dix dollars au premier prêteur venu. Et dire que je l’ai laissé filer, que je lui ai laissé une vingtaine de minutes d’avance. Il a peut-être déjà quitté le quartier. Il faut absolument le rattraper et lui reprendre en douce le dictaphone. Pour ça il n’y a qu’une solution…

Telles étaient les réflexions que je m’étais faites en quelques secondes, le temps que Lawford referme sur lui la porte de la villa. Je me précipite vers ma voiture. Je repasse sur le canal 4 et je lance un avis de recherche contre un homme de race blanche, 5 pieds 11 pouces, 20 ans, cheveux châtains, portant un sac en toile et cuir, chemise bleue, jean bleu, chaussures de sport blanches, français, soupçonné d’usage et trafic de drogue et tentative de corruption d’officier de police, vu pour la dernière fois vers 10:30 p.m. dans la zone des Helena drives à Brentwood. La station m’informe qu’elle envoie deux voitures dans le quartier.

Après ça, je repasse sur le canal 8.
« — Marietta, ici Victor. Quelle heure est-il chez vous ?
— On s’en tape de l’heure, Victor ! Tu l’as retrouvé, le dictaphone ?
— Non, mais je sais qui l’a.
— Si c’est pour nous dire que c’est Lawford, fallait pas te déranger, Ducon. On le savait déjà.
— Non, c’est un petit voyou qui passait par là et qui l’a trouvé par terre. Il a fichu le camp avec. J’ai lancé un avis de recherche avec son signalement. Il n’ira pas loin. D’ici une heure, on l’aura récupéré, le type et le dictaphone…
— Dis-moi, Victor, t’es pas en train de me dire que tu as vu le type partir avec le machin sans lui sauter dessus et qu’en plus tu as lancé les flics à ses trousses, par hasard ? Rassure-moi, Ducon, t’es pas en train de me dire ça ? »

Ben… un peu quand même. Mais ça, je ne lui dis pas, à Marietta. Je ne vais quand même pas lui raconter le contrôle à Palisades, le Français dans ma voiture, moi qui l’oublie complètement, Lawford pas net qui cherche un truc sous sa voiture, le Français qui se taille avec le dictaphone… Et puis de toute façon, j’entends des sirènes et je vois une demi-douzaine de voitures de police qui entrent en trombe dans 5th Helena drive. En tête : la voiture du patron. 

« — Pas le temps de t’expliquer, Marietta… bien trop compliqué pour toi ! Faut que je te quitte, maintenant. Y a la cavalerie qui débarque ! Salut, connard ! »
Et je raccroche.

Le patron c’est Carter, Capitaine Syd Carter. Il dirige la brigade criminelle de West LA depuis dix ans. J’ai rarement eu affaire à lui, mais à chaque fois que ça s’est produit, je me suis demandé s’il n’était pas au courant de mes relations avec le FBI. Carter descend de sa voiture à la volée, fonce sur la mienne et monte à l’arrière.

« Salut Clemmons, quelle est la situation ?
— Miss Monroe est morte. Dans sa chambre, sur son lit. C’est Mr Lawford qui l’a découverte. La nurse Murray l’avait appelé parce qu’elle était inquiète. Il a cassé un carreau pour entrer. Il a vu Miss Monroe. Il a demandé à Mrs Murray d’appeler la police. Pas de trace de violence sur le corps ni dans la chambre. Il y a de l’alcool et des médicaments partout. Overdose accidentelle, suicide, homicide… »

Je reste le plus concis possible. Je ne lui parle pas de l’attitude bizarre de Lawford. Il verra bien lui-même. Bien sûr, je ne lui parle pas non plus de mon Français en cavale. Il l’apprendra toujours assez tôt par le commissariat. Ce qui m’étonne, c’est qu’il ne me demande pas de qui j’ai reçu l’ordre de venir chez Marylin. Mais je comprends qu’on a les mêmes employeurs quand il me demande :
« Et le dictaphone, Clemmons ? Vous l’avez, le dictaphone ? »

A SUIVRE

2 réflexions sur « Go West ! (44) »

  1. Pour lire les épisodes précédents, il te suffira de taper GO WEST dans la case de recherche (celle qui est sous le bandeau avec l’image d’une petite loupe) et les épisodes surgiront à tes yeux étonnés, mais dans l’ordre inverse des parutions.

  2. Ce goutte à goutte éditorial s’apparente à du sadisme: les feuilletons chers au 19 eme s étaient quotidiens … ceci étant ça oblige à un travail de mémoire… mais quand même, cela finit par s’apparenter à une mise à l’épreuve injuste du lecteur: date de parution de la suite aussi aléatoire que les prévisions de météo France

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