GO WEST ! (46)

(…) C’était à la fois trop compliqué, trop romantique et trop classique. Je n’arrivais pas à y croire, ou plutôt, je n’arrivais pas à croire que, moi, j’ai pu jouer un rôle dans une affaire aussi effrayante. Elle était encore plus effrayante que ce que j’avais imaginé autrefois, parce que, maintenant, je commençai à comprendre qu’elle était plus grave qu’un simple suicide, plus grave que le suicide d’une actrice mondialement célèbre, plus grave que la mise en cause d’un homme à l’époque le plus puissant de la planète.  À présent, malgré quelques zones d’ombre qui persistaient, j’étais certain de détenir la vérité. La voici.

Marietta, c’est à dire un agent spécial du FBI, avait dû pénétrer par effraction dans la chambre de Marylin vers 10 heures du soir. Il avait trouvé l’actrice à demi-inconsciente, probablement sur son lit, assommée par le champagne et les médicaments qu’elle avait absorbés en quantité depuis le début de l’après-midi. Il lui avait été facile de lui injecter une forte dose de Nembutal qui avait provoqué la mort en quelques minutes. Marietta avait ensuite déposé près du lit de façon à ce qu’il soit découvert le dictaphone d’un modèle identique à celui que l’actrice utilisait de temps en temps pour répéter ses rôles. Puis, et pour un agent spécial cela n’avait certainement pas présenté de difficulté, il était ressorti par la porte-fenêtre et l’avait refermée sans laisser de trace de son passage. Cinq à six minutes avaient dû suffire à l’agent du FBI pour accomplir ces tâches. On peut imaginer que c’est pendant cette période qu’un bruit inquiétant avait été perçu par la nurse. Gémissement de Marylin, chute d’un objet, bruit de la porte fenêtre se refermant ? Le témoignage de Mrs Murray ne répond pas à cette question. Mais ce que l’on sait de façon certaine, c’est que Clemmons avait reçu son premier appel à 10:17, pendant qu’il me contrôlait sur la plage de Pacific Palisades. Marietta avait donc eu cinq pleines minutes pour rejoindre sa voiture, s’éloigner de 5th Helena drive et donner par radio ses consignes à Clemmons. En faisant les constatations qui sont d’usage sur les lieux d’une mort suspecte, la taupe du FBI avait pour rôle d’officialiser la découverte du dictaphone. Ensuite, la diffusion dans la presse du message d’adieu de la star devait créer le scandale : Marylin avait été la maitresse du Président des États-Unis ! Les mensonges de son amant et les menaces de son frère l’avaient poussée au suicide !

Mais les choses ne s’étaient pas déroulées comme prévu. Tout d’abord, celui qui avait trouvé le dictaphone ne l’avait pas remis à la police. Pièce rapportée de la famille Kennedy, Peter Lawford avait voulu avertir JFK, ou plus probablement son frère, de l’existence de l’enregistrement compromettant et demander ce qu’il fallait en faire. Pour ajouter à la confusion, pendant que l’acteur prenait ses consignes auprès de l’Attorney General, un étudiant français de passage subtilisait le petit appareil et partait en cavale à travers le pays. De ce fait, le message accusateur restait ignoré. Une enquête bâclée et vraisemblablement orientée par Sydney Carter, patron de la Brigade Criminelle et agent double au service du FBI, avait maladroitement conclu à un « suicide probable », laissant ainsi la porte ouverte à l’imagination des foules complotistes. C’est ainsi qu’était née la théorie d’un assassinat sur ordre de la Maison Blanche. En fin de compte, l’objectif recherché par les assassins était plus qu’atteint : JFK n’était plus responsable du suicide de sa maitresse, il l’avait fait éliminer !

Et moi, le responsable involontaire mais décisif de l’échec de ce complot, je venais de parvenir soixante ans plus tard à la conclusion contraire : Marylin Monroe avait été tuée sur ordre du FBI, son assassinat avait été déguisé en suicide et un faux message d’adieu avait été fabriqué dans le but de nuire aux Kennedy en leur faisant porter la responsabilité morale du suicide.

Je suis pleinement conscient des lacunes qui affaiblissent le faisceau de mes déductions. Par exemple, on peut se demander comment le faux enregistrement de Marylin a été réalisé alors que les techniques de synthèse de la voix ne sont apparues qu’au début des années 2000. Aurait-on fait appel à une imitatrice de génie ? Avec du temps et des moyens techniques, on aurait pu tout aussi bien coller ensemble des bouts de dialogues prélevés dans les films de Marylin Monroe, c’est possible, je n’en sais rien. Mais ce qui est certain, c’est que le message existe et que ce n’est pas l’actrice qui l’avait enregistré. On aimerait aussi connaitre les raisons que le FBI avait de vouloir nuire au Président des États-Unis. Je n’ai pas d’élément précis à apporter sur ce point si ce n’est que les relations entre Edgar Hoover d’une part et John et Robert Kennedy d’autre part étaient notoirement mauvaises.

On pourrait souhaiter enfin que ma démonstration soit étayée par d’autres témoignages que ceux d’un agent double, d’une vedette de cinéma et d’un étudiant étranger en cavale. En particulier, celui de la nurse, Mrs Murray aurait été le bienvenu, ne serait-ce que pour confirmer les horaires et les agissements des uns et des autres, et plus particulièrement ceux de Peter Lawford, de Jack Clemmons et de Syd Carter. Concernant la nurse, un article de presse paru en octobre 62 dans un tabloïde de Westwood avait affirmé que Mrs Murray, alertée par le bruit venant de la chambre de Marylin, avait aperçu deux hommes s’enfuyant par le jardin. Ceci ne figurant pas dans les procès-verbaux de ses auditions, des journalistes avaient voulu l’interviewer sur ce sujet. Cela n’avait malheureusement pas été possible, Mrs Murray étant décédée début novembre dans un accident de la route quand, alors qu’elle était seule à bord, sa voiture a plongé dans le Pacifique du haut d’une falaise au nord de San Luis Obispo.

Le policier Jack Clemmons fut écarté définitivement de l’enquête dès le 5 août au petit matin par le Capitaine Carter, dont on a compris qu’il était lui aussi dans les secrets du FBI. Clemmons était loin d’être convaincu par la thèse du ‘’suicide probable par absorption de médicaments’’ qu’avait adoptée le Coroner. Il avait de bonnes raisons pour cela et, malgré son double jeu de vrai flic et d’agent infiltré, il ne cachait à personne que, pour lui, Marylin avait été assassinée. Comme il continuait à fouiner un peu partout pour étayer sa propre théorie, on lui offrit le poste de chef de la police de Fort Myers en Floride avec le grade de Capitaine. Une belle promotion, une sacrée sinécure… On entendit plus parler de lui à Los Angeles, et il ne parla plus de la nuit du 4 aout jusqu’en 1983, année de publication de son livre dont j’ai déjà cité de larges extraits.  Au chapitre 9, il abordait la psychologie de Marylin en ces termes :

« Tous ceux qui ont connu Marylin ont témoigné à diverses occasions qu’elle n’était pas suicidaire. Rien, absolument rien ne vient à l’appui de la thèse selon laquelle elle aurait souhaité se donner la mort en cet été 62. Au contraire, à la fin du mois de juillet, elle avait rencontré son deuxième mari, Joe DiMaggio, dont elle était divorcée depuis plus de dix ans mais avec qui elle avait fait le projet d’un prochain remariage. Dans sa biographie de Dean Martin, Nick Toshes révèle qu’à la même époque, Marylin avait confié à Dean son projet de retourner pour six mois à l’Actors studio de New York afin d’y suivre une nouvelle fois les cours de théâtre de Lee Strasberg. De son côté, Peter Lawford, qui avait passé la matinée du 4 aout à se promener avec elle à Venice Beach avait déclaré que « Marylin s’était montrée plutôt gaie et déterminée à retravailler sérieusement. »

C’est un peu plus loin qu’il revenait en détail sur son enquête :

« Avant d’entrer cette nuit-là dans la chambre de Marylin, des cadavres morts par overdose, j’en avais vus pas mal, mais jamais l’expression qui demeurait sur leurs visages figés par la mort ne m’avait fait penser à un enfant endormi comme cela avait été le cas pour Marylin. Au contraire, la grimace définitive qui les défigurait révélait l’intensité de la douleur qu’ils avaient dû subir pendant leur agonie. Le visage de Marylin était tout à l’opposé, paisible et détendu.
De la même manière, alors qu’on retrouvait toujours les morts par overdose recroquevillés sur eux-mêmes…

A SUIVRE

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