Go West ! (43)

(…) J’ai confirmé que j’avais bien compris : Marylin s’était suicidée. Sur place, il faudrait jouer mon rôle de flic normal, sanctuariser les lieux, faire les constatations, interroger les témoins tout en faisant mon boulot d’agent double en cherchant un Dictaphone. Pour quoi il faudrait faire tout ça, je n’en avais aucune idée. Je me disais que je ne le saurais probablement jamais, mais qu’avec Marylin et tous les pontes qui tournaient autour ce devait être drôlement important. Deux minutes plus tard, j’entrai dans 5th Helena drive. Il était 10:34 p.m.

C’est un cul de sac. La maison de Marylin est tout au fond, portail ouvert. Deux voitures garées côte à côte font face à la porte d’entrée, un cabriolet T’Bird et une Rolls Royce décapotée. Sous le porche il y a un type en bermuda qui s’avance vers moi entre les deux voitures. Je le reconnais tout de suite, c’est Peter Lawford, l’acteur. Je ne suis pas surpris, tout le monde sait que c’est un ami intime de Marylin. Je me présente. Lawford a l’air bouleversé.  Dans le désordre, il me dit que Marylin est dans sa chambre, qu’elle est morte, sur son lit, que c’est la nurse qui l’a appelé, qu’il est venu tout de suite, que c’est terrible, qu’il a cassé un carreau pour entrer dans la chambre, qu’elle a fait une overdose, qu’elle est morte, qu’il a appelé le médecin de Marylin, que la nurse a appelé la police, que c’est bien d’être venu si vite, qu’elle est morte… Je finis par l’interrompre et lui demander

de m’accompagner à l’intérieur. Nous passons entre les deux voitures pour entrer dans la maison l’un derrière l’autre. Il me guide jusqu’à la chambre. Je lui demande de me laisser seul faire mon travail. Je referme la porte à clé derrière moi et je sors mon carnet de notes. La pièce est faiblement éclairée par une lampe de chevet et par le plafonnier d’un dressing-room resté ouvert.  Marylin est là, en peignoir, étendue sur le lit, morte. Elle est couchée sur le côté droit. Son bras gauche repose sur sa hanche. Son bras droit est replié sous son corps et sa joue est posée au creux de sa main droite. Sous le peignoir, elle porte un maillot de bain deux pièces. Ses jambes découvertes sont légèrement fléchies. Son visage est à demi caché par ses cheveux à peine en désordre. Il exprime l’abandon d’un enfant endormi. Elle n’a pas dû souffrir et la mort l’a trouvée belle. Je reste un instant, ému et triste, à contempler cette beauté parfaite puis je secoue les épaules et je reprends mon petit carnet et mon boulot de flic.
10 :40. La porte-fenêtre est fermée. Un de ses carreaux est cassé et des débris de verre sont incrustés dans un épais tapis blanc. La chambre est dans un désordre ordinaire mais pas bouleversée. Il y a des pièces de vêtements féminins dispersées sur des chaises et des fauteuils, au pied du lit et dessous : slip, soutien-gorge, short, chemisier, sandales, veste de marin, serviette de plage. Sur une table basse, une bouteille de champagne dans un seau à glace. La bouteille est à demi pleine et la glace a fondu. Autour du seau, il y a cinq verres, trois pour le champagne et deux verres à whisky. Deux bouteilles de champagne vides ont roulé sous la table. Sur une coiffeuse blanche au style alambiqué, des produits de beauté, des peignes, des brosses, des limes, des pots de crème, des flacons de parfum, mais aussi beaucoup de médicaments en tubes, en sachets, en bouteilles, en ampoules. Je reconnais quelques somnifères et tranquillisants courants, mais il y a aussi des pilules en vrac, des flacons sans marque, des boites anonymes. Dans un coin, il y a un bar en bois des iles. Ses étagères sont couvertes d’une panoplie de verres et de lourds flacons de cristal emplis de liquides dorés ou transparents. Le lit est encadré par deux tables de chevet. Sur celle vers laquelle Marylin est tournée, il y a un annuaire de L.A. sous un téléphone blanc. Sur l’autre, une bouteille de vodka, une carafe d’eau, un verre à whisky vide, et deux tubes de comprimés Nembutal, vides eux aussi. Mais il n’y a pas de dictaphone.
Un à un, je soulève tous les vêtements dispersés, je visite la salle de bain attenante et le dressing, je fouille les tiroirs des tables basses, de la coiffeuse et d’une commode. Pas de dictaphone. Je reviens au lit. Je soulève les oreillers, je passe la main sous le corps raidi et froid de Marylin, je cherche dans les poches de son peignoir, sous le matelas, dans les draps, sous le lit. Pas de dictaphone, seulement des comprimés de formes et de couleurs diverses enfouis dans les plis des draps. Je repasse la chambre, la salle de bain et le dressing au peigne fin. Pas de dictaphone. Merde !
Je ressors de la chambre, verrouille la porte et glisse la clé dans ma poche. La nurse et Lawford sont dans la cuisine autour de tasses de café. Ils m’en proposent un. Je leur dis que je dois faire d’abord un premier rapport par radio depuis ma voiture et qu’en attendant, personne ne doit rentrer dans la chambre. Au moment de sortir, j’ajoute : « Dites, vous n’avez touché à rien avant que j’arrive, hein ? Vous n’avez rien ramassé, vous avez tout laissé en place ? Vous, Mrs Murray ? Et vous, Mr Lawford ? Non ? Vous êtes surs ? » Ils sont surs.
Ils sont surs mais pas moi. L’un des deux a forcément ramassé le dictaphone. Je ne crois pas que ce soit Murray. Elle a l’air trop abasourdie, complètement effondrée. Lawford, lui, parait plutôt agité. Je comprends que la mort de son amie puisse l’affecter à ce point, mais pas de cette façon. Il agit comme un gamin qui a fait une bêtise. Il parle trop et trop vite, il est trop prévenant avec moi, il ne reste pas en place. Si c’est lui qui a trouvé le dictaphone, il n’a pas l’air de le porter sur lui : son bermuda lui colle à la peau comme une couche de peinture et les lunettes de soleil qui gonflent sa poche de chemise ne permettraient pas d’y loger un paquet de cigarettes. C’est qu’il a dû le cacher quelque part, dans la maison, dans le jardin, ou dans sa voiture. Sa voiture, c’est surement la Rolls. Il n’est pas anglais pour rien ! Mais je n’ai pas le temps de fouiller tout ça. Il faut d’abord que j’appelle Marietta.

J’ai rejoint ma voiture. En même temps que je saisissais le micro, j’ai réalisé que le Français n’était plus là. Merde, je l’avais complètement oublié celui-là ! Il avait fichu le camp, le salaud ! Avec son sac et son portefeuille ! Une seconde, j’ai hésité à me mettre à sa recherche. À pied, il ne pouvait pas être bien loin. Mais je ne pouvais évidemment pas laisser derrière moi Lawford et Murray avec le cadavre de Marylin. Lancer par radio aux collègues un avis de recherche avec signalement ? Avec ça, j’aurais vraiment l’air d’un crétin pour avoir laissé un trafiquant de drogue seul dans ma voiture sans au moins le menotter. Alors, autant le laisser courir.
Je passai sur le canal 8 et j’appelai Marietta :
« — Ici Marietta. OK Victor. Quelle heure est-il chez vous ? Qu’est-ce que vous avez foutu ? Ça fait une heure qu’on vous attend ! Allez, bon Dieu, racontez ! »
Il a l’air drôlement nerveux, Marietta ! Un moment, j’ai envie de l’envoyer balader, mais je reste professionnel :
«— Ici Victor. Il est 10:47 mais ici il ne pleut pas.  Je suis à Brentwood. L’acteur Peter Lawford et Mrs Murray, gouvernante, ont découvert le corps. Ils sont toujours sur place. Miss Monroe est décédée. J’ai fait les constats suivants : la porte fenêtre a été fracturée par Mr Lawford pour…
— On s’en fout, Victor, de vos salades. Est-ce que vous avez le dictaphone ? Le dictaphone, nom de Dieu !
— Ok Marietta. Négatif. Je n’ai pas trouvé l’objet. Négatif.»
Et juste pour le chambrer un peu, je fais l’andouille :
« Euh… vous êtes vraiment sûr qu’il y avait un dictaphone ?
— Est-ce que vous vous foutez de nous, par hasard ? Trouvez-moi cet appareil ! Retournez-là-bas et trouvez-moi ce foutu machin !
— Pas la peine ! Le machin n’est ni dans la chambre, ni dans la salle de bain, j’en suis certain. Par contre, j’ai ma petite idée…
— Allez ! Vas-y, génie ! Déballe-la, ton idée !
— OK Marietta. Lawford n’est pas clair. Il est très nerveux. Je pense que c’est lui qui l’a trouvé. Il était sur place bien avant moi et il a eu tout le temps de le planquer quelque part. C’est pas les endroits qui manquent.
— OK Victor. Retournez dans la maison et débrouillez-vous pour récupérer l’appareil.
— OK Marietta. Je peux le secouer un peu, l’acteur ?
— Faites ce qu’il faut !
— Hey ! C’est quand même le beau-frère du Président et de l’Attorney General ! Vous me couvrez s’il râle auprès des Kennedy ?
— Faites ce qu’il faut, on vous dit. Après, on verra. »

A SUIVRE

Une réflexion sur « Go West ! (43) »

  1. …. frustrant comme une série policière,interrompue au moment le plus palpitant;
    la seule bonne nouvelle, c’est qu’il paraît impossible de voir le mot FIN écrit sous peu….

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