GO WEST ! (41)

Je sentais monter en moi une évidence, de plus en plus claire, incontestable, effrayante : cet enregistrement était terriblement dangereux. Je ne voulais aucun rôle, aucune responsabilité dans cette affaire ! Il fallait que je me débarrasse du dictaphone au plus vite. Que la police se débrouille toute seule pour découvrir la vérité sur la mort de Marylin. Mais la panique s’était installée en moi et si je pouvais encore penser, ce n’était qu’à ce qui pourrait m’arriver si j’étais pris avec cette pièce à conviction. Il n’était plus question de tentative de corruption d’un officier de police, de possession illégale d’arme à feu ou de coups et blessures sur une citoyenne américaine mais d’obstruction à la justice dans une scabreuse affaire d’État.
Il fallait que je me débarrasse de ce truc…

Au cours de la soixantaine d’années qui s’est écoulée depuis mon premier périple américain, j’ai effectué bien des voyages à travers le monde, il m’est arrivé de croiser de façon fugace quelques célébrités et si j’ai vécu quelques circonstances historiques, ce fut toujours de façon involontaire, passive et marginale. Mais la mort de Marylin Monroe est sans conteste l’événement mondial le plus important auquel j’ai pu être mêlé d’aussi près.

Dans les heures qui avaient suivi le constat du décès de Marylin, le Coroner avait conclu à un probable suicide et, par la suite, plusieurs enquêtes officielles ont confirmé cette conclusion. Mais ni la première enquête de police ni celles qui ont suivi n’ont réussi à convaincre personne. Star hollywoodienne, personnages politiques de premier plan, scandale, faux témoins, vrais amis, journalistes à sensation, enquêteurs privés et préférence naturelle du public pour le complot, tous les ingrédients étaient réunis pour que naisse la théorie d’un assassinat perpétré sur ordre du président Kennedy et de son frère, au point qu’elle est aujourd’hui communément admise. Elle n’est même plus sérieusement contestée.

Mais moi qui avais eu entre les mains la preuve que Marylin Monroe s’était vraiment suicidée, qui n’ai donc jamais cru à la culpabilité du président des États-Unis, je n’ai rien dit, et malgré l’admiration que je lui portais, je n’ai remis cette preuve à personne, laissant ainsi s’établir et prospérer cette infamante erreur historique. Je ne suis pas très fier de ma conduite et c’est certainement la raison pour laquelle jusqu’à ce jour, je n’avais jamais fait la moindre mention à qui que ce soit de cet épisode hollywoodien. Même les membres les plus proches de ma famille et mes amis les plus intimes, s’ils lisent ces lignes, découvrent avec stupeur quelques-unes des réalités de ce voyage en stop aux États Unis dont je leur ai fatigué les oreilles avec d’autres détails, bien anodins ceux-là. Mais quand vient l’heure tardive de la rédaction des souvenirs, on se dit qu’il y des choses qu’on n’a pas le droit de passer sous silence. C’est une question de probité et de respect de soi-même. Voilà pourquoi je viens de raconter pour la première fois, et de la façon la plus fidèle, les évènements tels que je les avais vécus sur le moment. Mais à l’heure d’achever ce chapitre peu glorieux, je pris conscience de la vue nécessairement partielle que j’avais eue des événements, et donc de l’impossibilité d’en tirer une vérité ou même, plus modestement, une simple compréhension des raisons que les uns et les autres avaient eues d’agir comme je les avais vus faire. J’entrepris alors quelques recherches et, ce faisant, je me trouvai très vite devant une quantité pléthorique d’informations, de témoignages, de théories, de contre-théories, d’hypothèses, de confidences, de confessions, d’accusations, de révélations, de ragots et de rétractations. Dans un premier élan, je tentai de tout lire, de connaître chaque pièce de ce monument qui n’avait cessé de grandir depuis la pose de sa première pierre au matin du 5 août 1962. Mais, en même temps que le découragement me gagnait devant cette tâche de Bénédictin, je réalisai son inutilité : à quoi bon examiner d’innombrables témoignages et racontars venant de personnes que je n’avais jamais rencontrées ? À quoi bon les confronter ? Pour en identifier les concordances et les contradictions et en tirer éventuellement une vérité ? D’autres l’avaient fait avant moi, avec beaucoup plus de temps et de moyens, sans obtenir de conclusion irréfutable.

Je décidai donc de limiter mes recherches aux témoignages des deux seuls personnages que j’avais vraiment vus sur place cette nuit-là, l’acteur Peter Lawford et le policier Jack Clemmons. Je me disais qu’au moins pour ces deux-là, je pourrais éventuellement confirmer ou infirmer leurs dires.

Commençons par Peter Lawford.

En 1962, Lawford avait 39 ans. Il était marié à Patricia Kennedy, l’une des sœurs de John Fitzgerald.  Membre du Rat Pack, petit groupe d’amis tous stars d’Hollywood, c’était lui qui avait convaincu Frank Sinatra de rejoindre la campagne du jeune sénateur du Massachusetts, candidat heureux à la présidence des États Unis. C’était également lui qui avait présenté son amie Marylin à JFK.

Après la mort de Marylin, Lawford n’avait pris aucune part dans le tourbillon médiatique qui s’en était suivi. Pendant plus de vingt ans, il était resté silencieux sur tout ce qui pouvait concerner Marylin, ses liaisons amoureuses et sa disparition tragique. Le public semblait avoir respecté son attitude, la mettant sur le compte de son éducation britannique et de ses liens avec la famille Kennedy. Mais en 1984, à quelques mois de sa propre mort, Lawford accorda une longue interview-confession à Vanity Fair au cours de laquelle il parla ouvertement de la liaison qu’avait eue Marylin d’abord avec le Président puis avec son frère Robert. C’était la première fois qu’un membre du premier cercle Kennedy confirmait ce que tout le monde savait depuis longtemps. Mais Lawford apportait une précision moins connue : c’était en réalité de Bobby Kennedy et non de JFK que Marylin était follement amoureuse, et c’était bien de lui qu’elle avait obtenu une promesse de mariage, du moins ce qu’elle avait pris pour tel.

Par contre, s’il admettait qu’il était probablement le dernier à avoir vu Marylin vivante le matin de sa mort sur la plage de Santa Monica, s’il confirmait les circonstances dans lesquelles il avait été amené à découvrir son corps, il n’en disait pas plus que ce qu’il avait déjà déclaré à la police. Par ailleurs, il ne disait pas un mot du dictaphone que je lui avais vu dissimuler et dont d’ailleurs probablement personne ne connaissait l’existence. À part lui et moi, bien sûr…

Un peu déçu, je compris à la lecture de cet article de Vanity Fair que ce n’était pas chez Lawford que je trouverai les réponses à mes questions. Bien qu’il ait divorcé depuis longtemps de Patricia et bien que John F. et Robert aient disparus peu d’années après Marylin, pouvais-je en attendre davantage d’un ex-membre de la puissante famille Kennedy ?

Les mémoires de Jack Clemmons devait s’avérer beaucoup plus intéressantes.

A SUIVRE

2 réflexions sur « GO WEST ! (41) »

  1. Go west avait débuté comme une pochade, dans le style des romans américains des années cinquante; sur le mode d’un road movie dejante : cette fois l’auteur choisissait le style de ses nouvelles : nerveux , dialogué , ironique …
    De son aveu même , l’histoire se déroulait au fil des jours … je suivai d’un œil distrait l’avancée de l’intrigue de motel en motel…
    La pochade prit de l’ampleur et je perdis le fil de l’histoire;
    La parution des chapitres étant plus aléatoire qu’un algorithme, je manquai plusieurs étapes essentielles à la compréhension de ce récit…
    Ce matin , la température dans l’Aisne,étant aussi avenante qu’un serveur parisien , je décidai de plonger à l’ouest…
    Et bien m’en prit : les archives secrètes des Kennedy sont entre les mains de l’auteur et vous saurez tout , tout sur le plus grand mystère de ces cinquante dernières années : qui a tué Marilyn?
    C’est malin : au lieu mettre en ordre le jardin , je vais passer la journée à une séance de rattrapage….

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