Lucien et l’autofiction

(…) Pourtant, quand j’ai vu ces différents auteurs, je ne leur ai pas fait un trop grand crime de leurs mensonges, surtout en voyant que c’était une habitude familière même à ceux qui font profession de philosophie ; et ce qui m’a toujours étonné, c’est qu’ils se sont imaginé, qu’en écrivant des fictions, la fausseté de leur récit échapperait aux lecteurs. Moi-même, cependant, entraîné par le désir de laisser un nom à la postérité, et ne voulant pas être le seul qui n’usât pas de la liberté de feindre, j’ai résolu, n’ayant rien de vrai à raconter, vu qu’il ne m’est arrivé aucune aventure, digne d’intérêt, de me rabattre sur un mensonge beaucoup plus raisonnable que ceux des autres. Car n’y aurait-il dans mon livre, pour toute vérité, que l’aveu de mon mensonge, il me semble que j’échapperais au reproche adressé par moi aux autres narrateurs, en convenant que je ne dis pas un seul mot de vrai. Je vais donc raconter des faits que je n’ai pas vus, des aventures qui ne me sont pas arrivées et que je ne tiens de personne ; j’y ajoute des choses qui n’existent nullement, et qui ne peuvent pas être : il faut donc que les lecteurs n’en croient absolument rien.

Lucien de Samosate – L’histoire véritable – ca 200 après JC. 

5 réflexions sur « Lucien et l’autofiction »

  1. Tout bon roman combine le mensonge avec la vérité et tenter de démêler le vrai du faux serait futile, vain. C’est pourquoi Go West est un bon roman à lire avec plaisir, sans préjugés. Nous qui connaissons l’auteur pouvons nous faire une idée de cette fameuse part des choses, mais pourquoi le ferions nous? L’un de mes romans préférés est Lucien Leuwen. Stendhal évidemment ne fait pas un avec son héros, n’empêche que la personnalité de Lucien nous dévoile ses idées politiques incompatibles avec la monarchie de Juillet de l’époque. C’est pourquoi il ne publia pas ce roman qui resta inachevé jusqu’à sa parution après sa mort.Dans la Russie poutinienne ou la Chine Xi d’aujourd’hui un tel roman serait probablement interdit pour cause de subversion et de mensonges de la part de son auteur. Et hop! au stalag ou au camp de rééducation. Vive le mensonge et la fiction, c’est moins ennuyeux que le vrai.

  2. Lecteur : Lucien c’est la caution latine de l’auto fiction GoWest…
    Alors pas de digression sur le mensonge, mais un solide commentaire sur ces aventures déjantées.

  3. Le mensonge est inacceptable dans la vie mais, sans le mensonge, l’art n’existerait pas

  4. Je me permets de revenir sur la règle du jeu
    La dernière fois que j ai lu la critique de Alain Resnais c était je crois sur Google l année de sa disparition
    Il avait un terminés sa critique par une réflexion étonnante
    En sortant de la salle du du cinéma j étais tellement ému et bouleversé que j ai du m assoir sur le bord du trottoir et j essayais de revoir certaines scènes de ce film.

  5. Bel aveu! Comme le disais Anatole France quelques siècles plus tard « Sans le mensonge, la vérité périrait de désespoir et d’ennui ». Dernièrement, il était question ici du titre du livre de d’Ormesson (emprunté à Arradon) « Je dirai malgré tout que cette vie fut belle ». Mensonge! L’info se confond avec les Fake news! Moi ce citerai l’Ecclésiaste « vanité des vanités, tout est vanité ».

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