Go West ! (45)

(…)
« Salut Clemmons, quelle est la situation ?
— Miss Monroe est morte. Dans sa chambre, sur son lit. C’est Mr Lawford qui l’a découverte. La nurse Murray l’avait appelé parce qu’elle était inquiète. Il a cassé un carreau pour entrer. Il a vu Miss Monroe. Il a demandé à Mrs Murray d’appeler la police. Pas de trace de violence sur le corps ni dans la chambre. Il y a de l’alcool et des médicaments partout. Overdose accidentelle, suicide, homicide… »
Je reste le plus concis possible. Je ne lui parle pas de l’attitude bizarre de Lawford. Il verra bien lui-même. Bien sûr, je ne lui parle pas non plus de mon Français en cavale. Il l’apprendra toujours assez tôt par le commissariat. Ce qui m’étonne, c’est qu’il ne me demande pas de qui j’ai reçu l’ordre de venir chez Marylin. Mais je comprends qu’on a les mêmes employeurs quand il me demande : « Et le dictaphone, Clemmons ? Vous l’avez, le dictaphone ? »

C’est à ce moment que j’ai interrompu ma lecture pour me dire qu’il n’était pas près de l’avoir, le dictaphone, vu qu’il se baladait sur Bundy drive à moins d’un demi-mile de là dans la poche d’un étudiant français en cavale ! Cette petite réflexion me fit sourire et je ne pus m’empêcher de me demander : « Que ce serait-il passé soixante ans plus tôt si je n’avais pas ramassé le fichu appareil ? Est-ce que Lawford l’aurait remis à Clemmons ? Est-ce qu’il l’aurait gardé pour lui ? Est-ce qu’il l’aurait fait parvenir à Bobby Kennedy ? Et dans ce cas, qu’en aurait-il fait, l’Attorney General ? L’aurait-il rendu public pour innocenter les Kennedy de l’assassinat de Marylin ou l’aurait-il fait disparaitre pour cacher leur responsabilité dans son suicide ? » À force de me demander à l’infini ce qui se serait passé si j’avais fait ceci au lieu de cela, j’en vins à me poser d’autres questions, moins théoriques celles-là, sur ce que je venais de lire. Elles concernèrent d’abord le dictaphone, mais, naissant les unes des autres, elles ne tardèrent pas à se multiplier et à élargir leur champ pour finir par s’enchevêtrer dans ma tête en un réseau confus.

Le fameux dictaphone, d’abord…
Comment ceux qui se cachaient derrière le nom de Marietta pouvaient-ils savoir qu’il y en avait un dans la chambre de Marylin ? Et pourquoi voulaient-ils qu’il figure parmi les pièces à conviction ? Et pourquoi Peter Lawford ne l’avait-il pas remis à Clemmons au lieu de le cacher sous sa voiture ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi ?
Lors de ses deux appels radio à Clemmons, non seulement Marietta savait qu’il y avait un appareil enregistreur dans la chambre, mais aussi il connaissait le message enregistré et son importance, puisqu’il était primordial pour lui que Clemmons saisisse le dictaphone comme pièce à conviction. En quoi la lettre d’adieu de Marylin pouvait-elle être si importante pour le FBI ?
Lawford avait dû écouter l’enregistrement. S’il ne l’avait pas remis à Clemmons, c’est que le contenu du message était gênant. Mais gênant pour qui ? Sûrement pas pour lui ; Lawford était un véritable ami pour Marylin. Mais pour le Président des États-Unis… ?
La présence du dictaphone dans la chambre ne pouvait s’expliquer que de deux manières : ou bien c’était Marylin qui l’y avait mis, ou bien c’était Marietta. Dans l’un ou l’autre cas, cela voulait dire que Marietta était entré dans la chambre de Marylin avant que Lawford n’y entre à son tour.

Et puis les horaires…
Eux aussi posaient des questions. D’après ce qu’avait dit Lawford à Clemmons, il n’était arrivé que huit à dix minutes avant lui. En admettant qu’il ait fallu à l’acteur deux ou trois minutes pour constater la mort de Marylin, encore deux ou trois minutes pour que Mrs Murray appelle la police, celle-ci n’avait appris la mort de Marylin que cinq à six minutes après l’arrivée de Lawford sur place. Par ailleurs, d’après les mémoires de Clemmons, il lui avait fallu moins de quinze minutes après le premier appel radio de Marietta pour arriver dans 5th Helena drive, donc… Donc ? Donc quoi ? … J’avais perdu le fil. À un moment de mes réflexions, j’avais cru entr’apercevoir l’éclair d’une conclusion évidente mais, comme la lueur d’un éclair, elle s’était évanouie aussitôt. Je ne savais plus où j’en étais. C’était compliqué, il y avait trop d’éléments à situer les uns par rapport aux autres et ils se bousculaient dans ma tête comme dans un tambour de machine à laver. Je décidai de tout reprendre à zéro. Je pris une feuille de papier et plaçai dessus tous les évènements dont j’avais connaissance. À chacun d’entre eux, j’attribuai une heure, qu’elle soit certaine, comme celle de l’arrivée sur place de Clemmons à 10:34, ou qu’elle soit calculée, comme celle de l’arrivée de Lawford, huit à dix minutes avant celle de Clemmons, mettons 10:25. Après une heure d’efforts et de ratures, j’obtins la chronologie suivante :
10:12 — Lawford reçoit un appel de Mrs Murray. Elle a entendu du bruit et s’inquiète car Marylin est enfermée dans sa chambre et ne répond pas à ses appels
10:15 — Lawford quitte sa maison de Pacific Palisades pour 5th Helena drive
10:17 — Clemmons reçoit son premier appel de Marietta qui lui ordonne de se rendre 5th Helena drive
10:19 — Clemmons reçoit son deuxième appel de Marietta qui lui apprend le suicide Marylin et lui demande de s’assurer que le dictaphone fasse partie des pièces à conviction.
10:25 — Lawford arrive chez Marylin
10:28 — Il entre par effraction dans sa chambre et constate sa mort.
10:32 — Sur demande de Lawford, Mrs Murray appelle la police
10:34 — Clemmons arrive à son tour chez Marylin Monroe
10:37 — Clemmons constate la mort de Marylin, relève l’état des lieux  et cherche le dictaphone sans succès
10:42 — Clemmons sort de la chambre
10:45 — Clemmons discute dans la cuisine avec Lawford et Murray
10:49 — Clemmons appelle Marietta pour faire son premier rapport
10:53 — Clemmons voir Lawford fouiller sous sa Rolls Royce
10:59 — Clemmons appelle Marietta une deuxième fois
11:00 — Arrivée du Capitaine Carter à 5th Helena drive.

L’incohérence était là, aveuglante : comment, à 10 :17, Marietta pouvait-il savoir que Marylin était morte alors qu’à cette heure, Lawford, qui sera le premier à la découvrir inanimée, n’était pas encore arrivé à 5th Helena drive ? Pour l’avoir vue morte dans sa chambre, il fallait que Marietta y soit entré avant 10 :17. Mais comment Marietta y était-il entré alors que, pour y pénétrer un quart d’heure plus tard, Lawford devrait casser un carreau de la porte-fenêtre ?  Et si le dictaphone était si important pour Marietta, pourquoi, une fois dans la chambre, ne l’avait-il pas emporté au lieu de le laisser sur place et d’avoir à le réclamer par la suite ? Toutes ces questions avaient une réponse évidente. Pourtant mon esprit se refusait à l’envisager. C’était à la fois trop compliqué, trop romantique et trop classique. Je n’arrivais pas à y croire, ou plutôt, je n’arrivais pas à croire que, moi, j’ai pu jouer un rôle dans une affaire aussi effrayante. Elle était encore plus effrayante que ce que j’avais imaginé autrefois, parce que, maintenant, je commençai à comprendre qu’elle était plus grave qu’un simple suicide, plus grave que le suicide d’une actrice mondialement célèbre, plus grave que la mise en cause d’un homme à l’époque le plus puissant de la planète.  À présent, malgré quelques zones d’ombre qui persistaient, j’étais certain de détenir la vérité. La voici.

A SUIVRE

3 réflexions sur « Go West ! (45) »

  1. Bravo pour le suspens allant crescendo.
    Mais bon, on ne me la fait pas à moi : c’est Mrs Murray, travaillant pour Marietta (accessoirement maîtresse du narrateur), qui a tout manigancé. Et Philippe est prié de ne pas modifier la suite pour me donner tort !

  2. Prenez le train de ce récit , il est d’une précision digne d’un expert … de feu le chaix , que seuls les plus de? ont pu connaître…
    Et une fois de plus , boum , on reste en plan pour Xjours…

  3. Bon! Attendons la suite pour connaître la vérité. En attendant j’ai une hypothèse à formuler: et si Lawford avait trouvé le dictaphone avant l’arrivée de Clemmons mais n’avait pas eu le temps d’écouter le message de Marilyn et l’avait donc jeté sous sa Rolls dans le doute? Il y a aussi d’autres hypothèses possibles à propos de Marietta qui semble être une barbouze, ce qui peut conduire à faire encore d’autres hypothèses dramatiques. On verra!

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