Rendez-vous à cinq heures au Small Horse Shoe

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Retour au Petit Fer à Cheval
par James Redwood
traduction de Jim

Mon véritable nom est James Redwood. Je suis scénariste à la BBC mais l’histoire que je vais vous raconter aujourd’hui en 1957 n’est pas une fiction mais une histoire bien réelle. Elle débute en 1942 à Paris où je me trouve sans autres papiers d’identité que mon passeport anglais car nous les sujets aujourd’hui de sa Majesté la Reine Elisabeth – tout comme en 1942 lorsque j’étais sujet de sa Majesté le Roi George VI – n’avons pas de carte d’identité comme vous autres les français. J’aurais sacrément voulu en avoir une, française, le 16 Mai 1942 comme celle détenue par Dieter Wiegenfeld, mais pourquoi donc après tout puisque à l’époque je ne parlais pas plus de trois mots en français. Vous vous questionnez, hein? comment se fait-il que je sache que Dieter Wigengeld en détenait une ? Voilà l’histoire.

Le 16 Mai 1942, j’étais assis à la terrasse Au Petit Fer à Cheval dans le coin à droite, habillé comme un français moyen avec des vêtements donnés gracieusement par Monsieur Pugeot, le gardien en chef du zoo de Vincennes où je suis arrivé depuis le ciel en parachute. Notre vaillant bombardier Lancaster, tout neuf, avait été détruit traîtreusement par la flak allemande au retour d’une mission. Tout son équipage survivant a quitté sans panique l’appareil avec un ticket non-stop vers Paris et l’ordre de notre commandant de nous retrouver aujourd’hui aux Bains Turcs, sans autre explication. Monsieur Pugeot m’a appris que cet établissement réputé se trouvait 18 rue des Mathurins. Depuis ce matin je marche avec un vague plan donné par Monsieur Pugeot. Exténué, plus ou moins perdu, j’ai fait une halte pour une bière dans ce bistro apparemment discret qui porte un nom que nous aurions apprécier pour un pub en Angleterre, Au Petit Fer à Cheval, mais en anglais, The Small Horse Shoe, sirotant lentement ma bière en jetant des coups d’œil à droite et à gauche, et j’ai remarqué ce jeune homme assis à la table de l’autre côté de la terrasse en train d’écrire. Puis il s’est levé, a payé sa bière, et passant nonchalamment devant moi il m’a remis cette lettre me disant, j’ai cru comprendre, c’est pour vous, à lire plus tard. Ne lisant pas le français, je l’ai empochée pour me la faire traduire plus tard par un de mes amis aux Bains Turcs.

Ayant retrouvé mes amis comme prévu, tous ravis de nous retrouver pour une nouvelle mission, regagner au plus vite l’Angleterre et notre chère RAF pour gagner la guerre. Ce qui fut fait dans des conditions rocambolesques, à la française dirai-je, en compagnie d’un chef d’orchestre perpétuellement grincheux et d’un peintre en bâtiment naïf, à travers la France en direction de la zone libre, à pied, en train, en charrette à cheval menée par une charmante bonne sœur, en planeur, en train une fois passée la ligne de démarcation jusqu’à la côte méditerranéenne et enfin  en sous-marin jusqu’à Portsmouth. Ce voyage, cette vadrouille excitante à travers la France par beau temps, fut les plus belles vacances de ma vie. C’est à bord du sous-marin, par cent mètres de fonds, que j’ai pris connaissance de la lettre de Dieter Wiegenfeld.

Elle m’a boulversé. Certaines des missions de bombardement suivantes m’ont conduit au-dessus de Stuttgart et je priais pour que nos bombes ne tombent pas sur les parents de Dieter. La guerre terminée en 1945, le 16 Mai 1952, ayant pris contact avec eux, toujours vivants Dieu merci, je leur ai rendu visite chez eux à Stuttgart pour leur remettre la lettre de leur fils Dieter écrite dix ans plus tôt. Nous avons beaucoup pleuré ensemble mais ri aussi. La chambre à coucher de Dieter était restée telle qu’il l’avait laissée en 1941 au moment de son incorporation dans la Wehrmacht. Ses parents savaient qu’il était vivant, prisonnier quelque part en URSS. 

Aujourd’hui, en Mai 1957, je roule dans ma toute nouvelle Jaguar MK II en direction de Stuttgart pour retrouver Dieter libéré en 1955 suite à un accord passé entre le Chancelier Adenauer et Kroutchev. J’ai avec moi une photo du Au Petit Fer à Cheval prise lors de mon dernier séjour à Paris. Le bistro n’a pas changé depuis 1942. La terrasse est identique, avec les mêmes tables, les mêmes chaises, aux mêmes places, et la même couleur verte. J’y emmènerai Dieter pour un pèlerinage, le 16 mai prochain.

Texte traduit de l’anglais par son ami Jim.

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