Un truc pour écrire

Rediffusion

Ne vous y trompez pas, ce que je vous propose, ce n’est pas un stylo, mais une méthode. C’est bien mieux et c’est moins cher.

 Ecrire n’est pas facile en général, surtout quand on est équipé d’un peu de sens critique, car, la plupart du temps, il vous conseillera de passer votre production au broyeur. Mais le plus souvent, c’est une méthode qui manque au débutant et la lecture de ce qui suit pourrait lui faire gagner un peu de temps. Celle que je préconise est celle du « Je me souviens« , éprouvée dès 1970 par Joe Brainard dans son recueil « I remember« , puis par Georges Perec en 1978 avec son « Je me souviens ».  Voici ce que j’en disais il y a quelques années :

Le Je me souviens est exercice d’écriture courant. Il consiste à dresser une suite de bribes de souvenirs dont chacune commence par les mots Je me souviens. Ces bribes reflètent des souvenirs personnels propres à leur auteur en même temps qu’elles évoquent une époque. C’est un exercice que je recommande chaudement à ceux que titille une vague envie d’écrire. Quitte à raconter quelque chose, autant commencer par ce qu’on croit connaitre : sa vie. Voici la méthode :

a) Choisir un après-midi grisâtre et une pièce où il fera doux, s’installer sans hâte et confortablement, faire le vide dans sa tête, mais pas trop longtemps car l’habitude s’en prend vite.

b) Choisir un lieu, une maison, un appartement, préférablement de son enfance, le parcourir des yeux et de la mémoire, s’arrêter à la première image un peu nette, et écrire son premier je me souviens, ensuite, et pour quelques instants, quelques instants seulement, ne pas résister à l’immense édifice du souvenir, écrire un deuxième puis un troisième souvenir.

c) S’arrêter obligatoirement avant le quatrième, car on n’écrit pas une autobiographie, n’est-ce pas ? Pas encore. Relire, raturer, remplacer, simplifier, épurer, réduire. Chasser les adverbes comme s’ils étaient des fautes d’orthographe et les adjectifs comme s’ils étaient des préciosités.

d) Pour chaque souvenir, se limiter à une seule phrase. Une proposition subordonnée est autorisée, à la condition qu’elle soit à l’imparfait, l’effet de nostalgie n’en sera que meilleur. La phrase devra être suffisamment vague et soluble dans l’air pour n’être pas totalement explicite et que seuls certains lecteurs puissent voir exactement de quoi on a voulu parler.

e) Maintenant, changer de lieu, éventuellement changer d’époque et repartir en b) ci-dessus.

f) Quand la boucle b-c-d-e aura été bouclée quatre ou cinq fois, laisser reposer. Le délai de repos sera au minimum d’une journée. Aucun maximum ne lui est imposé.

g) Une fois ce délai écoulé, se relire et si, à la lecture de ce qu’on n’aura pas jeté à la corbeille, survient une légère émotion ou une envie de sourire, ce sera presque gagné : on pourra écrire la suite en reprenant à l’étape a).

Dans quelques semaines ou quelques années, muni de votre petit cahier noir plein de je me souviens, vous en choisirez deux ou trois pour tenter d’en faire l’incipit d’une histoire brève, d’une nouvelle ou d’un roman. Et plus tard, beaucoup plus tard, quand vous aurez compris que votre vie n’intéresse personne, vous passerez à la fiction.

Les plus célèbres Je me souviens de la littérature française sont ceux de Georges Perec. Voici quelques-uns des miens, écrits il y a une dizaine d’années.
Avant que vous ne m’accusiez de plagier Perec, sachez qu’il n’a pas été l’inventeur de cette technique. Son recueil « Je me souviens » (Hachette-1978) était directement inspiré de « I remember » de Joe Brainard (Angel Hair Books – 1970). Dans ces conditions, je ne vois pas pourquoi je me priverais. Voici donc :

Je me souviens

Je me souviens des sucettes Pierrot Gourmand fichées dans la tête de clown en plâtre blanc comme des plumes sur la tête de Sitting Bull

Je me souviens des trois marches qu’il fallait monter pour entrer dans la boutique blanche du confiseur.

Je me souviens des trois marches qu’il fallait descendre pour entrer dans l’école de filles de la rue Pierre Nicole, où on acceptait les garçons jusqu’à la septième.

Je me souviens de la fille de la rue Flatters.

Je me souviens de mes patins à roulettes qui faisaient sonner les grilles du caniveau central du boulevard de Port Royal

Je me souviens des départs à Andrésy avec mon ami René-Jean.

Je me souviens de la petite Simca 5, peut-être 6, décapotable et presque toujours décapotée, dans laquelle son père nous emmenait.

Je me souviens du tunnel de St Cloud avec son revêtement en carreaux de faïence et son puits d’aération central que nous attendions avec impatience parce qu’il créait au passage un formidable courant d’air ascendant..

Je me souviens de mon premier professeur d’anglais, qui sentait le vin et pinçait les joues très fort.

Je me souviens des Peters Sisters et des Sœurs Étienne et du grand orchestre de Ray Ventura

Je me souviens des retours de chasse, le dimanche soir à travers la nuit, installé à l’arrière de la 203, puis de la 403, puis à l’avant de la 404, puis au volant de la 504.

Je me souviens du ballet grinçant des balais d’essuie-glace et de l’angoisse des devoirs non faits qui montait au fur et à mesure que la porte de Châtillon approchait.

Je me souviens du 83, autobus à plateforme qui m’emmenait au lycée.

Je me souviens de la chaîne à poignée de bois que le receveur tirait vigoureusement pour donner au chauffeur le signal du départ.

Je me souviens de son geste de la main gauche pour ouvrir plus ou moins la fente de la machine à composter qu’il portait vissée sur le ventre, puis du moulinet de son poignet droit pour lancer l’impression des tickets.

Je me souviens du bruit du moteur et du numéro d’immatriculation de ma première voiture, 3610 BT 75.

etc…

2 réflexions sur « Un truc pour écrire »

  1. Je crois me souvenir qu’à l’époque de la première parution j’ai écrit dans mon commentaire que la devise la plus belle, la plus explicite, d’une institution ou d’un État que je connaissais était celle de la Province du Québec: « Je me souviens ».

  2. Je me souviens très bien de la lecture de cette rubrique parue il y a déjà bien longtemps. Je me souviens aussi de la première parue au JDC intitulée « mon bureau ».

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