Carnet d’Écriture (10) – Pauvre Noël !

Parmi toutes les nouvelles que j’ai écrites, celle-ci, Histoire de Noël, est l’une des rares pour lesquelles, au moment d’en commencer l’écriture, je savais ce que je voulais et où j’allais.
Ce que je voulais ? Écrire une nouvelle de terreur.
Où j’allais ? À une mort épouvantable du héros.
Je voulais la terreur, mais sans monstres de l’espace du genre d’Alien à la Ridley Scott, ni méchants sadiques du genre Inquisition espagnole à la Edgar Allan Poe. Je voulais de ces terreurs provoquées par l’obscurité et les fantasmes qu’elle abrite.
« (…) Ce n’est qu’une impression fugitive saisie du coin de l’œil, aussitôt mise en doute, déjà presque oubliée, à peine la sensation vague du mouvement imprécis d’une ombre molle dans le monde minéral des sépultures, mais elle lui a fait dresser les cheveux sur la nuque. Il s’arrête net, pétrifié, regardant de tous ses yeux dans la direction de l’ombre, mais il ne voit rien d’autre que les pierres tombales qui luisent sous la lune et les ombres portées des croix qui les surplombent. Son cœur lui bat dans les oreilles. Brusquement la lune disparait et le vent faiblit. Plongé à nouveau dans l’obscurité, Noël se met à gémir. Il n’ose plus bouger. (…) »

Je voulais une mort épouvantable, incompréhensible par la victime, une mort violente et douloureuse que le lecteur puisse lui-même ressentir dans ses os.
« (…) L’épouvante a envahi l’esprit de Noël. Il est pétrifié par la terreur. Alors que le hurlement de la Bête a repris, sa silhouette massive grossit en contre-jour dans la vague lueur d’un nouvel éclair lointain. Noël comprend que le monstre est en train de foncer sur lui. Il se retourne et se met à courir pour échapper à cette horreur bondissante. Dans le noir absolu, il ne réfléchit pas, il court, il trébuche, il se redresse, il se heurte à une grande croix de pierre, il se blesse au fer forgé qui entoure un monument funéraire, il court. Il entend derrière lui le souffle immonde qui se rapproche à chaque foulée. Il se met à hurler de terreur et son hurlement se confond avec le rire du démon qui le poursuit. (…)»

Cette mort épouvantable ne  suffisant pas à inspirer le niveau de terreur que je souhaitais, pour la rendre encore plus cruelle au lecteur, il me fallait une victime particulièrement innocente. Plusieurs choix étaient possibles : d’abord, une petite fille (ou un petit garçon) du genre de la Cosette de Victor Hugo, à la nuit tombante dans la foret profonde. Mais ces derniers temps je me suis pas mal ramolli et je ne supporte plus les histoires dans lesquelles les enfants sont malheureux. Alors, en écrire ! Vous pensez !

Une autre victime acceptable aurait pu être une jeune fille aux cheveux blonds tressés, courant pieds nus dans l’obscurité, déchirant sa chemise de nuit aux ronces de la foret profonde, comme la jeune vierge de La Source d’Ingmar Bergman, mais je ne voulais pas, pas cette fois, courir le risque d’être entrainé vers le conte érotique d’une nuit d’été.

Me restait une troisième solution : un jeune homme simple et superstitieux, orphelin, valet de ferme et affecté d’un pied bot par-dessus le marché, un archétype parfait de victime innocente qui me venait tout droit du Flaubert de Madame Bovary pour l’infirmité et d’un conte de Maupassant pour le reste du personnage.
« (…) À partir de ce jour, c’en fut fini pour Noël. Sans devenir tout à fait le souffre-douleur de la famille, il sentit qu’il n’en faisait plus partie. Il n’avait que sept ans.
En quelques courtes années, son statut à la ferme se dégrada de fils adoptif à orphelin, puis d’orphelin à valet de ferme. Il n’était pas mal traité, mais il ne mangeait plus à la grande table, on ne lui parlait plus que pour lui adresser des ordres ou des rebuffades et quand des voisins ou des étrangers venaient le soir faire une visite à la Prétentaine, on l’envoyait à l’étable où un réduit lui avait été attribué pour qu’il en fasse son logement.(…) »

Par là-dessus me vint l’idée rigolote mais vicieuse d’appeler mon héros Noël, ce qui me permettait de tromper mon monde en intitulant « Histoire de Noël » l’horrible récit que je voulais écrire. Marrant, non ?

*

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Histoire de Noël
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Ce petit bouquin n’est pas destiné à être mis entre toutes les mains. En effet, et contrairement à ce que pourrait laisser croire une interprétation trop rapide de son titre, il ne s’agit pas du tout, mais alors pas du tout, d’un recueil de belles histoires de Noël, dégoulinantes de bonté, de morale et de confiture.
Connaissez-vous la légende de la Mort à Samarcande ? Non ? C’est un beau et terrible poème persan du XIIème siècle dans lequel un Vizir qui vient de croiser la Mort dans une rue de Bagdad croit lui échapper en s’enfuyant à Samarcande alors que c’est justement là que, sans le savoir, il a rendez-vous ce soir avec elle. Eh bien, pour la plupart, les nouvelles qui composent Histoire de Noël s’inspirent de cette fatalité ironique : c’est en croyant fuir son destin que l’homme s’y précipite.

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