Première diffusion le 2/01/2019
Ah ! l’Éthiopien et son livre ! Vous vous souvenez de ma première rencontre avec lui ? Non ?
Hé bien, il faut que je vous dise que, quelques jours plus tard, je l’ai revu, mon Éthiopien. Il officiait au même endroit, près de son banc et de ses livres à un euro. Il me dit tout de suite que le prix avait changé : deux euros.
—Et pourquoi, demandai-je ?
—Parce que les livres sont plus gros, me dit-il sans y croire.
Il avait aussi changé de tenue : il portait maintenant une parka légère trop vaste camouflée en mode désert d’Afghanistan, un béret basque bleu ciel du type Nations Unies et des Rangers marron clair. Toujours impeccable, l’Éthiopien. Je lui rappelai nos relations commerciales précédentes et tout en écartant des ouvrages sur la psychanalyse, je lui demandai de quel pays il venait.
—Éthiopie, me dit-il.
Je ne lui dis pas que je l’avais deviné. Il aurait sans doute cru que je voulais me vanter. Je lui dis sa ressemblance avec le dernier empereur, Haïlé Sélassié.
—Pourtant, nous ne sommes pas de la même tribu, répondit-il, l’air étonné.
C’est alors qu’il se lança dans un exposé très compliqué, rempli d’incises et farci de sauts anachroniques de l’Histoire de l’Éthiopie des trois ou quatre derniers siècles. Je n’y comprenais rien, mais par politesse — on ne sait jamais, ces gens-là peuvent être susceptibles — je n’osais l’interrompre.
Par chance, un très jeune homme vint demander le prix d’un très joli « Lacan et la rhétorique de l’inconscient« .
—Deux euros !
Le jeune homme donna sa pièce et fit mine de partir quand l’Éthiopien lui remit dans les mains un second volume : « Plein gaz pour OSS 117« .
C’était donc une habitude : un livre choisi pour deux euros et, pour le même prix, un autre, au choix du vendeur.
Il était tard. Je quittai l’Éthiopien peu après avec un « XVIIè et XVIIIè siècles » par P.Hallynck, professeur agrégé d’histoire au Lycée Saint-Louis (édition de 1949). Je dus être presque désagréable pour arriver à lui refuser un petit Amélie Nothomb, « Tuer le père« , qui ne me disait rien qui vaille. Je dus aussi lui promettre de revenir.
Je rentrai chez moi, rangeai le P.Hallynck et cherchai François Villon dans le « Livre de l’Éthiopien ».
Villon, Brassens maudit, Baschung moyenâgeux, Gainsbourg sincère, coqueluche des élèves de troisième, voyou légendaire, mort ou disparu à trente ans, comme Mozart et, six-cents ans plus tard, toujours chanté, comme Mozart.
Vous connaissez la « Ballade des pendus » autant que celle des « dames du temps jadis ». Alors je vous donnerai simplement ceci, à l’attention de tous les mauvais élèves, de tous les cossards, chenapans et viveurs de France :
Hé Dieu ! si j’eusse estudié
Au temps de ma jeunesse folle,
Et à bonne mœurs dédié,
J’eusse maison et couche molle !
Mais quoye ? je fuyoye l’escolle,
Comme faict le mauvais enfant :
En escrivant cette parole,
À peu que le cœur ne me fend !
Bonne nuit, les petits…