Carnets d’Écriture (11) – Un incipit en tête…

Il y a une dizaine d’années, trois années de suite, j’ai participé à des ateliers d’écriture. Ce fut plus intéressant sur le plan social que sur le plan littéraire. Dans un tel atelier, une séance se passe souvent de la manière suivante : après une introduction à un thème ou après la lecture de quelques lignes d’un auteur préférablement reconnu, l’intervenant propose aux participants d’écrire séance tenante et dans un temps limité un texte en relation avec le thème introduit ou les lignes qu’il avait choisies. De plus, la plupart du temps, l’intervenant impose de respecter certaines contraintes. Par exemple : réécrire les lignes lues en changeant de point de vue, ou de genre, ou sous forme de dialogue et toute cette sorte d’acrobaties qui finissent par former l’habile écrivain. La contrainte que j’ai rencontrée le plus fréquemment est celle de l’incipit, qui exige du participant qu’il commence son texte par une phrase imposée. Je ne crois pas que jamais personne en atelier n’ait imposé le plus fameux incipit de tous, à savoir « Longtemps, je me suis couché de bonne heure. » mais à part celui-là, tout est possible car la littérature en fournit à foison. C’est d’ailleurs très instructif et souvent amusant, tout en respectant la contrainte imposée, de prendre le contre-pied du style, du genre, de l’époque, du point de vue de l’incipit obligatoire. Puis-je vous conseiller de vous essayer à l’écriture à partir de « C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar… » ? Non, ça, c’est trop dur. « Chante, déesse, du Pèlèiade Akhilleus la colère désastreuse, qui de maux infinis accabla les Akhaiens… » Encore plus difficile, pas vrai ?  Alors, essayez donc avec ça « Comme il faisait une chaleur de 33 degrés, le boulevard Bourdon se trouvait absolument désert » Ça n’engage à rien et tous les champs demeurent ouverts. Vous avez 30 minutes.

« C’était un jour qu’était pas fait comme les autres… »

Je connais quelqu’un qui, pour raconter le plus léger, le plus banal des incidents de sa vie quotidienne, commence toujours son récit avec cette ouverture prometteuse : « C’était un jour qu’était pas fait comme les autres… »
J’aime beaucoup cette expression en ce qu’elle a à la fois d’ordinaire et de grandiloquent, ordinaire dans sa formulation, grandiloquente dans son implication.
Un jour qui n’est pas fait comme les autres, ça peut-être un jour de catastrophe ou pire, un jour où pour une raison quelconque règne une ambiance particulière, bonne ou mauvaise, enfin un jour dont les conditions s’appliquent à tout le monde ou à nombre significatif de personnes. Mais quand cet incipit précède la narration d’un incident somme toute banal et en tout cas personnel, l’effet comique involontaire est assuré.
J’ai donc eu envie d’utiliser cette expression comme incipit de ma prochaine nouvelle.

Je me suis mis à chercher des incidents banals de la vie ordinaire qui puisse être décrits à la suite de ces grandioses premiers mots « C’était un jour qu’était pas fait comme les autres. » mais sans en trouver aucun qui, à mon sens, puisse apporter un effet comique de contraste et de surprise. Je changeai donc mon fusil d’épaule et tentai l’opposé en cherchant une situation gravissime. La mort étant, jusqu’à preuve du contraire, une chose sérieuse, c’est cette aventure humaine qui, comme l’aurait dit Vialatte, remonte à la plus haute antiquité, que j’ai choisie. Malgré ce choix drastique, je n’avais pas abandonné l’idée d’écrire quelque chose de drôle. La mort étant rarement amusante, c’est le héros, la victime, qui devait être drôle. Pour que le futur lecteur ne soit pas trop attristé par cette mort annoncée, il fallait que mon héros soit antipathique, ou stupide, ou méchant ou les trois à la fois. C’est pourquoi j’ai créé Steve Ratinet, coupeur de chevaux en quatre de son état, égoïste, vulgaire, agressif et stupide par atavisme, toutes qualités qui font le bon héros à sacrifier.
C’est donc Steve Ratinet qui racontera avec ses mots son aventure, autrement dit la découverte de son décès et de la vie éternelle, tout ça en une seule journée… une sacrée surprise quand même ! D’où l’expression consacrée : « C’était un jour qu’était pas fait comme les autres… »

« (…) C’était un jour qu’était pas fait comme les autres. Je l’avais bien senti dès le début, moi, qu’il était pas fait comme les autres, ce jour. D’abord, quand je m’étais réveillé, y avait pas cette odeur habituelle de soupe aux poireaux. C’est mon voisin du dessous, Grospied. Il se fait une soupe aux poireaux tous les matins avant de partir bosser, cet emmerdeur. Ça empeste la cour et la cage d’escalier et ça rentre chez moi par les fissures du plancher. Je pourrais lui dire à Grospied qu’il pourrait se faire du café à la place de la soupe aux poireaux, et que ça serait mieux pour tout le monde, mais depuis qu’il est arrivé dans l’immeuble, il y a six ans, je lui ai pas dit un mot. Lui non plus, d’ailleurs. Ben oui, quoi ! Avec les voisins, vaut mieux pas être trop intime, sans ça ils deviennent vite envahissants.(…)

Vous pouvez retrouver cette drôle de nouvelle — vous y apprendrez entre autres que l’Enfer n’existe pas — dans le recueil intitulé La Mitro et autres drôles d’histoires, disponible sur Amazon en cliquant sur le lien ci-dessous :

LA MITRO
et autres drôles d’histoires

C’est un recueil de nouvelles qui porte le titre de la première d’entre elles. Assez inspirée par Marcel Pagnol, il faut la lire avec l’accent. Les autres nouvelles revisitent aussi bien l’assassinat de Jules César que les jeux télévisés, les petits meurtres sans importance, l’effet papillon ou la manière d’accéder au Paradis.

4 réflexions sur « Carnets d’Écriture (11) – Un incipit en tête… »

  1. L’œnologue aurait préféré : Un pastiche, chinon rien

  2. J’en ai seulement modifié légèrement le titre qui sera « Un pastiche, sinon rien ! »

  3. Ne crains rien, Lorenzo, je n’ai pas oublié ton texte. Mais quelques remarques préliminaires :

    1* Ton texte n’est pas un incipit comme tu l’appelles, mais un pastiche, ou plutôt une caricature. (Pastiche : imitation respectueuse / Caricature : grossissement du style )

    2* J’en rappelle le début :
    «  Longtemps je me suis levé de bonne heure et ça continue et c’est très pénible à mon âge parce que ça augmente la durée de mes journées que je dois occuper  avec des activités le moins futiles possible ce qui n’est pas chose facile même pour un génie multicarte comme ma tendre maman m’appelait quand (…) »
    Le texte proustien qui sert d’incipit imposé est, on le sait : « Longtemps, je me suis couché de bonne heure. » c’est à dire
    « Longtemps virgule je me suis couché de bonne heure point »
    On constatera tout de suite que le pastiche annoncé ne répond pas aux règles du jeu de l’incipit puisqu’il le transforme en ne respectant pas la ponctuation, en changeant couché en levé et en le prolongeant.

    Néanmoins, il est programmé depuis longtemps pour le 12 janvier.

  4. Je me permets de signaler aux lecteurs du JdC qu’il existe, contrairement aux affirmations de NRCB, un remarquable incipit à partir du court roman de Marcel que nous devons à Lorenzo et qui s’intitule : « Le 51 ème pastiche, ça s’arrose ».

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