par Marie-Claire
— Moi, je l’aime bien Antoine !
J’ai entendu mon nom dans le brouillard de ma sieste. Jusque-là, j’avais été bercé par le ronron de la conversation d’Alice et de Jeanne et le chant des cigales. Il faisait chaud, la chambre était sombre et tranquille. Je m’y étais réfugié après le déjeuner. La fenêtre aux volets clos donnait sur la terrasse où mes deux amies bavardaient. Elles me croyaient probablement parti avec les autres, à la plage ou ailleurs.
J’aurais dû fermer la fenêtre, me mettre un oreiller sur la tête, ou tout simplement signaler ma présence. Je jure que si cette scène se passait maintenant, je le ferais ! Mais je ne savais pas alors que seule la partie apparente de l’iceberg est supportable…
J’ai tendu l’oreille :
— Moi aussi, je l’aime bien.
J’ai reconnu la voix de Jeanne. Jusque -là tout allait dans le bon sens. Mais Continuer la lecture de Une sieste épatante
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Un moment d’égarement
Première diffusion : 12/08/2017
Le couvert était mis : deux assiettes, les serviettes blanches bien pliées, en triangle, comme Élise les aimait. Les couverts d’argent luisaient doucement, les verres étincelaient. Elle ajouta quelques fleurs au centre de la table, s’assit, lissa sa jupe, arrangea ses cheveux, posa ses mains sur ses genoux et attendit.
A l’autre bout de la ville, le commissaire tendit la feuille au jeune homme pâle qui lui faisait face et lui demanda de relire et de signer. Le jeune homme pâle obtempéra.
La nuit était tombée, déjà neuf heures. Élise pensait à son rôti qui serait trop cuit. Elle se leva pour éteindre le four et en profita pour ranger la cuisine : l’ordre, en général, calmait ses inquiétudes.
Mais pourquoi était-il en retard ? Et s’il n’allait pas venir ? Elle l’avait invité bien qu’elle le connaisse très peu, elle ressentait un tel besoin d’une présence masculine. Il y en avait eu si peu dans sa vie…
Elle continuait à nettoyer, ranger, faire reluire ce qui était déjà propre. Tout était vraiment prêt. Une bonne Continuer la lecture de Un moment d’égarement
Les journées de Monsieur Lambert
Ce texte est de Marie-Claire.
Sa première publication remonte au 19 novembre 2016
Monsieur Lambert est ponctuel, c’est une qualité que sa femme lui reconnaît. Il ne se permet pas de flâner, la vie dans la maison est réglée comme ça, pas de temps perdu, pas de laisser-aller, une efficacité maximum. Même les enfants, un garçon et une fille, subissent cette loi et Madame Lambert en est fière.
Comme d’habitude, elle le regarde partir au bureau. Il est huit heures, il décroche sa gabardine du portemanteau, Il l’enfile, enroule son écharpe autour de son cou, prend son attaché-case, crie « A ce soir » à sa femme et claque la porte. Il a pris soin, avant de partir, de ramasser sa carte orange sur la console de l’entrée et de la mettre dans sa poche. Continuer la lecture de Les journées de Monsieur Lambert
A propos de frontières
Ce texte de Marie-Claire a déjà été publié ; il y a quatre ans exactement.
Je suis un voyageur immobile : les mûrs de mon petit chez-moi sont tapissés d’affiches, je possède une multitude de guides touristiques, des tonnes d’horaires de trains et d’avions, des monceaux de catalogues d’agences de voyages. Et pourtant, je ne bouge pas. Et je n’ai pas de passeport. Ma vie de vieux garçon s’est enroulée sur elle-même, même lieu, même travail et si peu de gens autour.
Mais voilà, un beau jour, quelqu’un est venu violer ma forteresse !
La première fois, elle a frappé trois petits coups discrets, si discrets qu’ils ne m’ont pas vraiment inquiété. J’ai donc ouvert.
Elle était là, blonde, frêle, l’air un peu gêné, je ne devais pas paraître aimable, je n’ai pas l’habitude des visites- surprise.
Elle a dit : Continuer la lecture de A propos de frontières
Désirer l’infinitif
Texte de Marie-Claire, déjà publié le 23 avril 2017
Avoir le cœur qui flanche, les larmes au bord des yeux. Sans trop savoir pourquoi, ne plus se passionner pour rien. Faire saigner ses chagrins comme un enfant égratigne un genou blessé.
Chercher refuge auprès du piano. Poser ses mains sur le clavier. Frapper une touche, puis deux, retrouver ses automatismes.
Traduire avec ses doigts les notes que l’on a gravées dans sa mémoire, les laisser pénétrer en soi, ressentir un bien être, une chaleur, la paix.
Ecouter la musique, d’abord tendre, s’enflammer. Y trouver l’écho de ses sentiments, communier avec elle, s’y noyer.
Interpréter enfin le calme revenu, se détendre.
Effleurer le clavier d’une dernière caresse et quitter le piano, consolé.
Prendre sur soi, être toujours sur le qui-vive. Offrir de soi une image si lisse que rien ne s’y accroche. Donner satisfaction… Et voir le temps passer.
Dans un sursaut, lâcher prise. Décider de prendre du recul.
Choisir un moyen simple, prendre un congé, partir à la campagne. Marcher, mais Continuer la lecture de Désirer l’infinitif
Les journées de Monsieur Lambert
Ce texte est de Marie-Claire. C’est sa deuxième publication. La précédente date du 19 novembre 2016.
Monsieur Lambert est ponctuel, c’est une qualité que sa femme lui reconnaît. Il ne se permet pas de flâner, la vie dans la maison est réglée comme ça, pas de temps perdu, pas de laisser-aller, une efficacité maximum. Même les enfants, un garçon et une fille, subissent cette loi et Madame Lambert en est fière.
Comme d’habitude, elle le regarde partir au bureau. Il est huit heures, il décroche sa gabardine du portemanteau, Il l’enfile, enroule son écharpe autour de son cou, prend son attaché-case, crie « A ce soir » à sa femme et claque la porte. Il a pris soin, avant de partir, de ramasser sa carte orange sur la console de l’entrée et de la mettre dans sa poche.
Il sort à petits pas, regarde le ciel menaçant puis monte dans sa voiture qu’il a garée devant le portail.
Arrivé à la gare, il prend le RER, ne descend pas à Étoile, station de son bureau, change à Châtelet, sort enfin à Luxembourg. Il avance droit devant lui, puis il tourne à droite, quitte le boulevard Saint-Michel pour la rue Soufflot.
Encore quelques pas et il se retrouve dans les pas de sa jeunesse : à la bibliothèque Sainte-Geneviève. Il se sent chez lui. Les bibliothécaires le saluent d’un cordial « bonjour ». Chaque jour, elles s’étonnent de le revoir là : il ne correspond à aucun type d’habitués, trop vieux pour être étudiant. Trop jeune pour être retraité et sa façon de lire est si étrange ! Il choisit chaque matin une lettre de l’alphabet, dans l’ordre, et il prend trois livres dont le nom de l’auteur commence par cette lettre. Aujourd’hui, il en est au M -Malraux, Maupassant, Mauriac…Il ne les emporte jamais ; une fois son choix fait, Il s’installe à une place et passe la journée là, absorbé au point d’en oublier de sortir déjeuner.
Il est trois heures. A la maison, Madame Lambert fait des rangements et pense à son mari. Elle a beau le sermonner, il est incapable d’obtenir de l’avancement. Ce soir, elle lui en reparlera.
A la bibliothèque, Monsieur Lambert bouge. Il va rendre un livre pour se dégourdir les jambes. Les trois dames lèvent le nez. Le petit homme leur sourit. La plus jeune suit la progression méthodique de ses lectures. Arrivé au bout de l’alphabet, que fera-t-il ?
A six heures, Monsieur Lambert quitte la bibliothèque. Chaque soir, le voyage lui semble plus pénible : RER, changement, RER puis trajet en voiture.
Une fois chez lui, il pose sa carte orange sur la console, manteau, embrasse sa femme.
-Comment s’est passée ta journée ? demande-t-elle. Monsieur Lucas est-il toujours content de toi ? Tu pourrais lui demander une augmentation !
Cela lui rappelle les retours de l’école et les questions de sa mère : « As-tu été sage ? Quelles notes as-tu eues ? Tu pourrais faire mieux ! » Il en a la chair de poule.
Les enfants sont rentrés, il se garde bien de les questionner.
Les jours passent. Monsieur Lambert a négligé la lettre X, Xénophon ne le tente pas. Le Y lui apporte Yourcenar et Il oublie pendant quelques heures l’échéance qui approche. Un jour de plus et le Z sera là. Finir avec Zola, ce n’est pas si mal. Il a déjà vécu cent vies à travers ses lectures. Il a connu l’amour, la jalousie, la haine, l’avarice et la prodigalité, tant de péripéties.
Le jour suivant tire à sa fin. Il est près de cinq heures. Les enfants, rentrant de l’école, trouvent leur mère singulièrement nerveuse. Elle vient d’avoir un appel de la banque : « Votre compte est débiteur, Madame. » Elle ne comprend pas, elle va appeler leur père au bureau. Le petit garçon s’interroge aussi : depuis quelques temps, Papa se propose pour l’aider à faire ses dissertations, c’est nouveau. Sa sœur, elle, se contente de sucer son pouce.
Loin d’eux, Monsieur Lambert réfléchit. Il sait que l’heure de vérité est là. Les ressources de l’alphabet sont épuisées, ses ressources financières aussi. On lui avait donné de l’argent pour qu’il parte, Il n’y en a plus. Comment aurait-il pu annoncer à sa femme qu’on le payait pour se débarrasser de lui ?
Mais le temps passe, maintenant il est six heures. Il rend les derniers livres, adresse un salut aux dames et sort. Il achète un paquet de caramels, qu’il mange, un à un. Il déchire sa carte orange en confetti. Les petits morceaux colorés se mêlent aux papiers des caramels, s’envolent et tombent derrière lui, seules traces de son passage.
Il hésite puis se met à descendre le boulevard. Au début, on le bouscule encore. Il croise une multitude de femmes auxquelles il donne un nom : Anna, Emma, Mathilde, compagnes de ses journées volées.
Plus il avance, plus il a l’impression de fondre, de se dissoudre dans la foule, de s’évaporer. C’est doux, confortable, il est léger, léger… Arrivé place Saint-Michel, il ne voit même plus son reflet dans les vitrines.
MCC
Bientôt publié
22 Mai, 07:47 Pleine Lune
23 Mai, 07:47 Le Cujas (65)
23 Mai, 16:47 Rendez-vous à cinq heures : les pavés de Gay-Lussac
24 Mai, 07:47 L’examen de minuit
¡ Adelante !
Elle s’appelait Soledad, ses parents l’avaient conçue au cours d’un voyage en Espagne. Mais elle était née à Paris-à Belleville, exactement.
Belleville, c’est pas le Pérou, ça grouille, ça piaille, ça n’a pas le sou ! Elle eut tout de même une enfance tranquille, fille unique d’ouvriers heureux.
Son prénom la faisait rêver. Dès l’enfance, elle se sentit d’ailleurs. Les hivers gris, les pavés froids, les nez qui coulent, ça n’était pas pour elle, elle n’était pas faite pour eux. Elle disait non à tout cela, secouant sa tête brune, faisant tinter les anneaux qu’elle portait aux oreilles et tournoyer ses jupes bariolées.
Le jour même de ses dix-huit ans, elle s’empara des économies familiales, du bas de laine durement gagné, et s’enfuit.
Elle prit le train pour Barcelone, elle y arpenta les Ramblas, resta honnête tant Continuer la lecture de ¡ Adelante !
Un moment d’égarement
Le couvert était mis : deux assiettes, les serviettes blanches bien pliées, en triangle, comme Élise les aimait. Les couverts d’argent luisaient doucement, les verres étincelaient. Elle ajouta quelques fleurs au centre de la table, s’assit, lissa sa jupe, arrangea ses cheveux, posa ses mains sur ses genoux et attendit.
A l’autre bout de la ville, le commissaire tendit la feuille au jeune homme pâle qui lui faisait face et lui demanda de relire et de signer. Le jeune homme pâle obtempéra.
La nuit était tombée, déjà neuf heures. Élise pensait à son rôti qui serait trop cuit. Elle se leva pour éteindre le four et en profita pour ranger la cuisine : l’ordre, en général, calmait ses inquiétudes.
Mais pourquoi était-il en retard ? Et s’il n’allait pas venir ? Elle l’avait invité bien qu’elle le connaisse très peu, elle ressentait un tel besoin d’une présence masculine. Il y en avait eu si peu dans sa vie…
Elle continuait à nettoyer, ranger, faire reluire ce qui était déjà propre. Tout était vraiment Continuer la lecture de Un moment d’égarement
Leurs vacances
Le jour finissait. Ils ont claqué la grande porte et le spectacle a commencé.
Ils ont jeté leurs bottes dans l’entrée et déposé leurs jeans en tas boueux près de la machine.
Ils ont fouillé dans le placard qu’ils ont vidé, comme aspiré, de tous gâteaux salés, sucrés.
Ils sont partis dans les étages, sur leurs chaussettes et jambes nues. Ils ont glissé.
Tous les garçons se sont battus, se sont fait mal, mais c’est la petite qui a pleuré.
La grande a voulu prendre un bain. Ils ont tous voulu prendre un bain. L’eau chaude a manqué. Ils ont cherché leur brosse a dents, celle avec leur nom dessus et tous craché en même temps. Puis ils sont descendus en pyjama, sentant bon, les cheveux humides et coiffés, enfin calmés. La belle image…
Ils se sont assis près du feu et ils ont dit :
—Grand-Mère, raconte-nous une histoire.
MCC
Questions sans réponse
D’où venait ta joie de vivre, de qui, de quoi ? Rien ne l’entamait.
Comment choisissais-tu les centaines de livres qui garnissaient les murs du salon ? As-tu jamais pensé que je les lisais tous ?
Pourquoi gardais-tu secrète une partie de ta vie, nous laissant inventer n’importe quoi ?
Pourquoi agrémentais-tu toujours tes lettres de dessins humoristiques ? Était-ce pour tempérer tes mots affectueux ?
Pourquoi as-tu envoyé à la jeune expatriée que Continuer la lecture de Questions sans réponse