Archives par mot-clé : MarieClaire

La cerise sur le gâteau

par MarieClaire (Ce texte a été diffusé pour la première fois le 21/11/2017)

Le réveil sonne. Pas une vraie sonnerie, plutôt un genre de klaxon. Elle déteste ce bruit et sursaute. Il est sept heures trente, il serait temps de se lever, mais avant, elle s’étale encore une fois dans le grand lit tiède où elle est seule : Louis est parti la veille à Toulouse. Il se donne des airs importants quand sa boîte l’envoie en province. Lui et son fidèle attaché-case, cette idée la fait bien rire.

Ce matin, elle ne ressent pas l’élan qui devrait la mettre à bas du lit. Elle est seule, si tranquille. Penser à ce qui l’attend : la foule du métro, les heures au bureau, enfermée avec un travail sans intérêt, les collègues agaçants… Elle les voit déjà : Monsieur Poinseau son chef pointilleux, Simon qui a toujours perdu quelque chose et la dérange constamment, Suzanne et son sourire pincé. Il y a aussi Alma qui se prend pour une star et qui ne s’appelle sûrement pas Alma, plutôt Janine ou quelque chose comme ça…

Non, pas ce matin, elle ne pourra pas les affronter. Impossible de se lever. Ce serait si bon Continuer la lecture de La cerise sur le gâteau

¡ Adelante !

par MarieClaire

Elle s’appelait Soledad, ses parents l’avaient conçue au cours d’un voyage en Espagne. Mais elle était née à Paris-à Belleville, exactement.
Belleville, c’est pas le Pérou, ça grouille, ça piaille, ça n’a pas le sou ! Elle eut tout de même une enfance tranquille, fille unique d’ouvriers heureux.
Son prénom la faisait rêver. Dès l’enfance, elle se sentit d’ailleurs. Les hivers gris, les pavés froids, les nez qui coulent, ça n’était pas pour elle, elle n’était pas faite pour eux. Elle disait non à tout cela, secouant sa tête brune, faisant tinter les anneaux qu’elle portait aux oreilles et tournoyer ses jupes bariolées.

Le jour même de ses dix-huit ans, elle s’empara des économies familiales, Continuer la lecture de ¡ Adelante !

Floue

par MarieClaire (Première diffusion le 26/10/2017)

La seule chose que j’apprécie vraiment c’est le flou. Le flou des choses, le flou des gens. C’est un état confortable que je connais bien, je suis moi-même quelqu’un de flou.

Tout d’abord il y a mon physique. On ne peut donner de moi une description très précise : ni grande ni petite, ni grosse ni maigre, ni brune ni vraiment blonde… Je m’habille de vêtements larges, presque informes, indéfinissables, rien de compromettant.

Ma pensée elle aussi est floue. Je n’ai pas d’avis tranchés, je ne prends aucune décision, j’attends que les autres le fassent pour moi. Nul ne peut se flatter de connaître mes opinions politiques, d’ailleurs je n’en ai pas, je ne vote évidemment pas.

Je n’ai jamais pu dire oui à un homme, je n’en ai gardé aucun. Bien entendu, je n’ai pu envisager d’avoir un enfant. Je suis seule.

Je flotte, je suis une non-personne. Je ne suis capable Continuer la lecture de Floue

Le revolver

par MarieClaire

Le vent a bousculé les pages et j’ai perdu le fil de l’histoire, l’histoire de Lisa. J’ai reposé le cahier rouge, fermé les yeux et reconstitué à ma façon ce qu’elle y révélait de sa vie.

Sa triste enfance, elle la voit comme une tempête ponctuée de coups : ceux que son père lui assène, ceux que ses frères se donnent et auxquels elle n’échappe pas non plus. Cette violence la terrorise et elle tente de la fuir en rêvant.

Elle se décrit comme une chétive gamine à lunettes. Mais à l’adolescence, elle se transforme et apprend consciencieusement à faire d’elle une jolie femme. Elle abandonne ses lunettes, préférant voir un monde flou pour que ce monde la remarque. Son ambition s’est éveillée, pour fuir toutes ces violences, elle sera belle donc enfin aimée.

Et Simon apparaît. Il a une belle voiture, porte des chemises à son chiffre, la sort, la cajole : elle est Continuer la lecture de Le revolver

Le souffle

Par MarieClaire
Première diffusion : 21/07/2017

Etre une très vieille dame, presque cent ans, au fond de son fauteuil. Regarder longuement ses mains déformées, tâchées de brun. Tourner la tête et voir l’unique arbre de la cour perdre ses feuilles. Un automne de plus.

Avoir le corps rompu mais garder haut la tête. Oui, la garder bien claire malgré l’usure du temps. Y veiller, s’accrocher.

Pourquoi tous ces efforts, pourquoi tenir encore ? Pourquoi entretenir ce fil de plus en plus tenu auquel la vie reste attachée ?

Pour attendre la chaleur du thé du matin qu’une jeune fille souriante vous apporte enfin ? Pour son réconfort, pour cette habitude ?

Pour apercevoir le rayon de soleil, pour Continuer la lecture de Le souffle

Automne indien

par MarieClaire

Il fait très chaud. Après un mois de septembre pluvieux, l’automne s’est fait radieux.
Dehors, sur la terrasse, deux chaises longues attendent leurs occupants. Le tourniquet diffuse une fine pluie sur la pelouse et elle aimerait profiter de sa fraicheur, mais il a décidé de monter la bibliothèque. Les cartons la contenant encombrent le garage depuis des semaines !
– Déballe les montants pendant que je prends les mesures, dit-il.
Elle s’exécute avec mollesse et maudit cette maison qui depuis des mois lui gâche tous ses dimanches.
– On aurait dû choisir un jour de pluie pour faire ça. Il fait si beau…Ne fais pas les trous avant d’être sûr des mesures.
Elle frémit à l’idée de voir percer Continuer la lecture de Automne indien

L’attente, la nuit

Par MarieClaire
Publié pour la première fois le 27 décembre 2013

Le jour va s’achever, j’allume les lampes un peu partout dans chaque pièce. C’est mon refus de la nuit qui pointe, toujours la même comédie, la hantise de ne pas trouver le sommeil quand le moment viendra. Là, il reste encore un peu de temps avant que je ne parte à sa recherche. J’ai consacré une bonne heure au dîner pour deux, souvent plus. La maison rangée, j’ai à effectuer les rites de chaque soir, des rites qui sont censés m’aider : volets fermés, fenêtre entr’ouverte, bouteille d’eau, journaux, au moins un livre. Après ça, la fête peut commencer !
J’ai posé un comprimé de somnifère coupé en deux sur la table de chevet : d’abord la moitié puis le reste pour plus tard… Je m’allonge, ma nuit d’attente est installée.
Les premiers moments ne sont pas inutiles, je pense Continuer la lecture de L’attente, la nuit

A propos de frontières

par MarieClaire (publié pour la première fois le 22/07/2017)

Je suis un voyageur immobile : les mûrs de mon petit chez-moi sont tapissés d’affiches, je possède une multitude de guides touristiques, des tonnes d’horaires de trains et d’avions, des monceaux de catalogues d’agences de voyages. Et pourtant, je ne bouge pas. Et je n’ai pas de passeport. Ma vie de vieux garçon s’est enroulée sur elle-même, même lieu, même travail et si peu de gens autour.
Mais voilà, un beau jour, quelqu’un est venu violer ma forteresse !
La première fois, elle a frappé trois petits coups discrets, si discrets qu’ils ne m’ont pas vraiment inquiété. J’ai donc ouvert.
Elle était là, blonde, frêle, l’air un peu gêné, je ne devais pas paraître aimable, je n’ai pas l’habitude des visites- surprise.
Elle a dit :

—Excusez-moi, il n’y a plus d’électricité chez moi et je me demandais si tout l’immeuble était en panne. Mais je vois bien que non, vous avez une lampe allumée !

—Ca doit être votre disjoncteur, il a probablement sauté.

Elle ouvrait ses grands yeux bleus, Continuer la lecture de A propos de frontières

Nouvelle donne

par MarieClaire

C’est lundi, sale jour. De plus, c’est le lundi de la rentrée des classes et il fait mauvais. Lui, il est parti travailler. Le bus scolaire vient d’avaler les enfants et leurs cartables neufs.

Elle est seule dans cette grande maison silencieuse. Elle regarde par la fenêtre et voit les autres jolies maisons alignées. Le gazon commence à pousser dans les jardins, de nouvelles haies ont été plantées, les habitants s‘installent. Elle se dit que cette vue devrait lui plaire, mais elle n’en voit que l’uniformité, l’inachevé, le prévisible.

Elle quitte son poste d’observation et se heurte à l’armée de caisses qui, dans l’entrée, attendent d’être déballées. Il y a celle marquée « fragile » où doit se trouver la vaisselle des grands jours. Dans l’autre, elle se rappelle avoir mis du linge…Elle les compte : sept, huit, plus les cartons… Elle les ignore.

Le heurtoir frappe la porte d’entrée. Continuer la lecture de Nouvelle donne

La petite fille derrière la vitre

Première parution le 6/06/2017

Je l’ai vue la petite fille derrière la vitre, le nez écrasé contre le verre, les yeux dans le vague.

Quelque chose s’est réveillé en moi, un souvenir, une évidence venue de très loin. Comme elle, j’avais rêvé autrefois, comme elle peut-être, guettant par la fenêtre donnant sur la ville, j’avais cru que je pourrais me construire la vie que je voulais.

Des dizaines d’années plus tard, cette petite fille est toujours là, bien cachée au fond de moi, ne surgissant plus que lorsque l’émotion m’attrape, lorsqu’un enthousiasme surgit, lorsqu’un besoin de liberté m’assaille.

J’ai souri à la petite fille, le cœur empli de tendresse. Alors, elle m’a tiré une langue rose et pointue et je me suis dit que, décidément, rien n’était plus comme avant…