par MarieClaire
Il fait très chaud. Après un mois de septembre pluvieux, l’automne s’est fait radieux.
Dehors, sur la terrasse, deux chaises longues attendent leurs occupants. Le tourniquet diffuse une fine pluie sur la pelouse et elle aimerait profiter de sa fraicheur, mais il a décidé de monter la bibliothèque. Les cartons la contenant encombrent le garage depuis des semaines !
– Déballe les montants pendant que je prends les mesures, dit-il.
Elle s’exécute avec mollesse et maudit cette maison qui depuis des mois lui gâche tous ses dimanches.
– On aurait dû choisir un jour de pluie pour faire ça. Il fait si beau…Ne fais pas les trous avant d’être sûr des mesures.
Elle frémit à l’idée de voir percer le joli papier peint et puis des gouttes de transpiration lui coulent le long du dos.
– Tiens les montants le long du mur. Du courage ! Après, nous en aurons fini.
Fini ! Si seulement c’était vrai ! Tout en obéissant aux ordres, elle tricote sa rancœur. Est-ce que ça valait vraiment la peine de s’endetter pour cette maison mangeuse de temps, de vacances qu’ils n’ont pu prendre, de sorties sacrifiées ? Est-ce que ça valait la peine ?
– La rallonge est trop courte, tâche de m’en trouver une autre.
Elle va dans le garage et fouille dans les caisses qu’ils n’ont pas encore ouvertes. Elle branche le long fil et le bruit strident de la perceuse lui vrille les oreilles.
– Tu ne commences pas à en avoir assez de perdre tous tes jours libres à faire des trous ?
– Chérie, ne sois pas stupide. Regarde ! Nous y sommes arrivés, nous l’avons enfin notre maison, tu te rends compte du chemin qu’on a fait ?
Oui, elle se rend compte…
– J’ai l’impression d’avoir vieilli de dix ans, dit-elle tristement.
Mais il poursuit son travail sans relever la remarque. Il reprend son idée :
– Rappelle-toi la première fois que nous sommes venus sur le terrain, ça n’était qu’un champ.
– Oui, un joli champ plein de pommiers en fleur…
Elle regarde le petit jardin. Les voisins se sont entourés de tristes haies de thuyas. Elle hait les thuyas. Bien taillés, ils vont former des murs qui boucheront l’horizon.
Le temps passe et il arrive enfin à fixer les montants.
– Je pense que c’est solide. Il faut que ça le soit vraiment, dit-il. Imagine que nous ayons un enfant et que ça lui tombe sur la tête !
Et voilà ! Il a remis la question sur le tapis, se murmure-t-elle.
– Un enfant, Jeanne, tu ne voudrais pas un enfant ? Cette maison est faite pour ça ! C’est une « maison familiale », comme l’annonçait la vendeuse. Pas seulement pour toi et moi. Tu entends ?
Elle ne veut pas entendre, comment rêver d’un enfant bouffeur de leurs nuits, de leur temps, de leur liberté ? Elle n’est même pas sûre de ne pas encore être un enfant elle-même. Elle répond faiblement que oui, elle entend.
Heureusement, il aborde une manœuvre délicate et s’y plonge.
Tous les montants sont enfin fixés. Ils installent les étagères. Naturellement, ils ne sont pas d’accord sur leur disposition. Un peu plus haut, un peu plus à gauche, enfin ça y est, ils peuvent vider les caisses de livre qui attendent depuis des jours.
Quand ils ont fini, elle recule pour voir l’effet produit.
– C’est joli, dit-elle. Là, je vais mettre la statuette que nous avons rapportée de Naples. Là, quelques photos…Oui, c’est bien.
– Va bronzer un peu sur la terrasse, l’après-midi est à nous maintenant ! (Il la regarde tendrement. ) Je reviens avec quelque chose à boire.
Elle sort et s’allonge enfin sur une des chaises longues bariolées. Elle profite de quelques instants de béatitude. Mais un nuage passe, d’autres vont suivre, la journée tire à sa fin. Elle a presque froid.
— Mais, Grand Manitou, qui a interdit de dire « Indian summer » ?
Le chef Orange ou les petits prêtres Woke ?
— Les deux, général Custer. Pour des raisons opposées, mais les deux, mon Général !
Je célébrerai toujours ce qu’est un wonderful Indian Summer, ça les abrutis trumpistes n’y changeront rien, et l’interprétation de Indian Summer par Sidney Bechet, un Black venu s’installer en France, tant mieux pour nous comme pour lui, en est un hymne magnifique.
Merveilleuse bêtise ! Jamais à court d’une connerie !
Une amie qui travaille au lycée français de New York vient de me dire qu’on lui avait interdit de dire « Indian summer », ce n’est plus politiquement correct…
Y a comme un décalage! Aujourd’hui c’est le premier jour du printemps, un jour de gaieté plutôt que que de mélancolie.