Descartes, Socrate, Coluche, le Bon Sens et moi (1/2)

Beaucoup de gens pensent que le bon sens est suffisant pour bien mener sa barque. Ces gens-là disent « A quoi bon l’histoire, la littérature, les maths, la philosophie, la culture en général, à quoi bon l’intelligence même du moment qu’on a du bon sens ? Et le bon sens tout le monde en a ! » Pour le prouver, inévitablement, ils vous ressortent cette antienne “Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée“.
Et avec ça, ils sont contents, les gens ; ils disent « Alors ! Vous voyez bien ! Le peuple a du bon sens, même qu’il est très bien partagé, le bon sens, et même que c’est Descartes qui l’a dit, et Descartes, c’est pas la moitié d’un imbécile. » (Eh oui, c’est comme ça qu’ils s’expriment, les gens !)

Et moi, je dis d’accord : Descartes (1596-1650) n’était pas la moitié d’un imbécile. Et j’ajoute : mais ce qui est totalement idiot, c’est de ne pas citer Descartes complètement. Voyons voir : dans le Discours de la Méthode, perché qu’il était sur son poêle, le bon vieux René avait dit : « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée, car chacun pense en être si bien pourvu que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils en ont. »
Bon d’accord, ce n’est pas forcément clair pour tout le monde, et puis, pour comprendre, il faut lire jusqu’au bout et on n’a pas que ça à faire !
Prenez quand même un instant pour vous demander ce que Descartes voulait dire avec cette fin de phrase dont les gens, ceux de tout à l’heure, se seraient bien passés ? Un peu de maïeutique pourrait-il vous aider ? Voyons cela :

SOCRATE (469-399)
— As-tu, Glaucon, jamais rencontré quelqu’un qui te déclare sincèrement « je ne suis pourvu d’aucun bon sens » ?
GLAUCON
— Non, Socrate, jamais je n’ai rencontré un tel individu !
SOCRATE

— Ne serait-ce pas, Glaucon, parce que chacun considère qu’il est pourvu de bon sens ?
GLAUCON
— C’est évident !
SOCRATE

— As-tu jamais entendu quelqu’un déclarer sérieusement : « J’ai du bon sens, mais il m’en faudrait davantage » ?
GLAUCON

— Non, Socrate, jamais !
SOCRATE
— Ne pourrait-on conclure de cela que chacun s’estime pourvu de bon sens en quantité suffisante ?
GLAUCON

— Une telle conclusion me parait justifiée, en effet.
SOCRATE

— Mais, dis-moi, Glaucon, qui juge de la suffisance de cette quantité de bon sens ?
GLAUCON

— Eh bien, mais, c’est ce quidam lui-même, Socrate, ce chacun dont nous parlons depuis tout à l’heure.
SOCRATE

— Et peut-on affirmer que le jugement de ce quidam est impartial ?
GLAUCON

— Assurément pas, car en la matière, il est juge et partie.
SOCRATE

— Mais supposons un instant que le quidam ait un jugement impartial et sincère. Son jugement en sera-t-il bon pour autant ?
GLAUCON
— Ma foi, pourquoi pas ?
SOCRATE
— Réfléchis encore, mon Glaucon. Avec quoi juge-t-il le niveau de son bon sens, le quidam ?
GLAUCON

— Pour juger du niveau de son bon sens, il ne peut le faire qu’avec son propre bon sens.
SOCRATE

— Quel que soit le niveau de son bon sens ?
GLAUCON

— Oui ! Quel que soit le niveau de son bon sens.
SOCRATE

— Penses-tu que son bon sens puisse lui dire qu’il n’a pas de bon sens ou que son niveau est trop bas.
GLAUCON

— Cela me parait contradictoire et même impossible.
SOCRATE

— Le bon sens de notre quidam devra donc toujours lui dire qu’il a du bon sens en quantité suffisante, et cela quel que soit son niveau, même très faible, mème nul.
GLAUCON

— C’est du pur bon sens, Socrate.
SOCRATE

— Tu as fait d’énormes progrès, Glaucon. Maintenant, tais-toi s’il-te-plait, car je déteste ne pas avoir le dernier mot.

Nous aurions pu nous épargner cette ennuyeuse conversation si vous vous étiez souvenu de Coluche (1944-1986) qui avait parfaitement compris l’aphorisme cartésien et l’avait reformulé 400 ans après Descartes à peu près de la façon suivante : « Les gens croient toujours qu’ils ont assez de bon sens ? Forcément, hé ! C’est avec ça qu’ils jugent ! »

On voit maintenant clairement ce que Descartes voulait dire, c’est à dire exactement le contraire de ce que croient les gens que je citais tout à l’heure.
Il vient donc d’être démontré par Socrate, par Descartes, par Coluche et par l’absurde que le bon sens n’est pas uniformément réparti dans la population et que certaines personnes peuvent en être grandement ou totalement dépourvues tout en clamant par les chemins qu’elles en ont bien assez.

Mais à ce stade de l’exposé, nous n’avons toujours pas défini ce qu’est le bon sens, ce qu’est le bon sens, ce qu’il n’est pas, à quoi il sert, à quoi il ne peut servir et ce qu’il dessert.
Ce sera pour une autre fois, voulez-vous ?

A SUIVRE

3 réflexions sur « Descartes, Socrate, Coluche, le Bon Sens et moi (1/2) »

  1. et il en fait quoi de la grammaire française, le marin qui a les les pieds sur terre ?

    @Paddy : pardonne-moi ce commentaire d’une folle prétention mais c’était pour essayer de parler d’autre chose que de Trump

  2. Moi je vais dire ici ce que je pense être du bon sens pour bien mener sa barque, autrement dit pour un marin. Un marin de tout temps (depuis longtemps et quelque soit la météo) a besoin d’une carte marine, d’un compas (appelée boussole par un terrien) et d’un sextant ou tout autre moyen de relèvement de sa position (compas de relèvement ou goniomètre par exemple), car tout bon marin sait « qu’il vaut mieux savoir où l’on est sans savoir où l’on va que savoir où l’on va sans savoir où l’on est ». Pouvoir déterminer sa route à suivre compréhensivement (et pas uniquement par la soumission bornée à un gps), c’est ça le bon sens qu’applique le vrai marin selon moi, et c’est valable pour tous, â terre comme au ciel, comme dans un salon.

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