Go West ! (107)

(…) tu m’écrivais que tu viendrais chez moi, que nous serions ensemble… Là, j’aurais dû t’en dissuader ; j’aurais dû te dire non, tu ne peux pas venir parce que mes parents… parce que mon travail… parce que…, mais je n’ai pas eu ce courage. J’essayais vaguement de te le faire comprendre… j’étais moins tendre dans mes lettres, je les faisais plus brèves, je mettais plus de temps à répondre aux tiennes, et à chaque occasion, j’élevais de nouveaux obstacles à ta venue chez moi. Mais je ne te disais pas « Ne viens pas ! Tu vas te faire du mal, tu m’aimes trop et je ne t’aime pas assez, il faut que tu m’oublies, ne viens pas ! ». Et puis, en même temps, je pensais « Eh bien, qu’il vienne après tout, puisqu’il y tient tant ! On verra bien !»

Mais ce n’est pas vrai, ce qu’elle raconte ! Ce n’est pas vrai ! Elle m’attendait, elle voulait que je vienne… Pendant tout ce temps, elle m’a fait croire que… et ce n’était pas vrai ?

« Et puis un jour, c’était la fin du mois de mai et je venais de recevoir ta lettre qui me disait quand tu allais arriver. Ce jour-là, j’ai vu John dans la rue. Tout de suite, je suis entrée dans un magasin pour me cacher, mais quand il a dépassé la vitrine, je suis sortie et j’ai commencé à le suivre. Je me demandais pourquoi je faisais ça, c’était idiot, il ne fallait pas… mais je le suivais. Je l’ai suivi jusqu’à ce qu’il se retourne brusquement pour appeler un taxi. Il m’a vue, il a hésité une seconde. Il avait l’air bouleversé. Il est venu vers moi, mais je lui ai fait signe que non, que je ne voulais pas… Alors, il a souri tristement, il a haussé les épaules et il est monté dans son taxi. Je l’ai regardé s’éloigner. Il ne s’est pas retourné, il ne m’a pas fait de signe. Je me sentais vide, épuisée, mon cœur battait à cent à l’heure, mais j’étais fière de moi : au moins, j’avais résisté à cette tentation…
Mais le lendemain matin, j’ai appelé son cabinet en me faisant passer pour une de mes amies. Il y avait un rendez-vous de libre en fin d’après-midi. Je l’ai pris… et le soir même, il m’a emmenée dans un hôtel… Et depuis… Je suis désolée, Philippe… »

Non ! Non ! Non ! Non ! Ce n’est pas vrai, pas possible ! Elle me raconte ça parce que… Mais pourquoi est-ce qu’elle me raconte ça ? Pour me faire du mal ? Parce que c’est vrai ? Mais parce que c’est vrai, bien sûr ! Bien sûr que c’est vrai !
Putain, ça fait mal ! Je me suis levé ; trois fois j’ai traversé la chambre à grands pas ; au passage, j’ai renversé une chaise, j’ai claqué très fort la porte de la salle de bain…

L’espace d’un instant, je me demande si je n’en rajoute pas, si je ne suis pas encore une fois en train de jouer un personnage, celui de l’amoureux trahi, de l’amant trompé, du mari cocu… Mais ça tourne dans mon ventre ; je cours à la porte de la terrasse, j’ai juste le temps de l’ouvrir et de tomber à genou. Je vomis sur les lattes de bois. Dehors, le vent s’est levé ; la pluie frappe directement la baie vitrée ; les bourrasques entrent dans la chambre par la porte ouverte ; le bruit est infernal. Tout de suite, je suis trempé. Ma gorge me fait mal, mes genoux me font mal, mon ventre me fait mal ; je sens bien que je ne suis pas en train de jouer un rôle, parce que je n’ai pas de scenario en tête et que j’ai vraiment mal. Tout cela est bien réel. Quelque chose vient se coller sur mon dos ; c’est Patricia ; elle m’a posé une serviette de bain sur les épaules, elle me caresse le dos, elle veut me relever. J’arrive à retenir une insulte, mais, quand même, je crie :
— Laisse-moi ! Je ne veux plus te voir ! Fiche moi la paix !
— Rentre dans la chambre. Tu es trempé, et moi aussi. Rentre, s’il te plaît. Rentre !
Nous rentrons. Je suis debout au milieu de la pièce, tremblant, tête basse, bras ballants, yeux fermés, dents serrées…
— J’ai froid, j’ai froid, j’ai froid…
On me secoue, on me frotte, le dos, la tête, la poitrine, le ventre, les cuisses…
— J’ai froid, j’ai froid, j’ai froid…

Et puis, j’ai moins froid, je ne grelotte plus. Patricia me jette le dessus de lit sur les épaules. Je la regarde. Elle s’est enroulée dans une serviette de bain toute blanche serrée sous les bras et elle s’est fait un turban d’un chiffon en nid d’abeille. Ses yeux sont cernés, son nez un peu rouge, ses lèvres pincées. Elle est pâle, presque laide.
— Philippe ? Ça va mieux ?
— C’est vrai tout ça ?
— C’est vrai.
— Mais pourquoi…
— Parce que c’est comme ça, parce que je suis comme ça, mauvaise… parce que je l’aimais toujours, parce que j’avais besoin de lui… pendant des mois et des mois, il m’a manqué, terriblement, je ne m’en étais pas rendu compte, mais j’avais besoin de lui… alors, quand je l’ai revu… c’était plus fort que moi.
— Mais… et moi ? Qu’est-ce que je venais faire là-dedans, moi ? J’étais quoi, moi ? Un test ? Juste pour savoir si tu pouvais te passer du dentiste ? Ça fait mal, tu sais ! Mais pourquoi, pourquoi tu as fait ça ?
— Je te l’ai dit. C’était plus fort que moi. Je suis mauvaise… Je suis désolée.

Je me suis laissé tomber, assis sur le lit. Elle s’est assise à côté de moi et nous sommes restés un moment comme ça, moi, la tête entre les mains, elle, me caressant lentement le dos. Et puis elle m’a poussé doucement sur le côté jusqu’à ce que je m’allonge ; je n’ai pas résisté et, tout de suite, je me suis couché en chien de fusil, ramassé sur moi-même ; elle en a fait autant, son corps collé au mien, imbriqué. J’ai dû m’endormir avant elle.

A SUIVRE

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