Tous les articles par Philippe

Go West ! ( 74)

(…) Je m’éloignai vers le coin cuisine et mis trois ou quatre fois le temps nécessaire à déboucher la bouteille en tournant le dos à tout le monde. Ça me permit de ruminer ma vexation et finalement de me calmer : « Qu’est-ce qu’on a dit tout à l’heure, crétin ? Il faut que tu te détendes et que tu profites du moment comme il vient. D’ailleurs, ça n’a l’air de perturber personne que tu sois en peignoir. »

Je m’en convainquis si bien que je finis même par m’imaginer que, dans ce petit groupe d’amis du samedi soir, le port du peignoir me conférait une position particulière, un rang, avec des privilèges. Après tout, pour Bob, pour Brenda et pour Fran, je devais être le nouveau petit ami — je pensais même plutôt « le nouvel amant » — de la maitresse de maison, un rôle inédit pour moi, mais plutôt flatteur celui-là. Mais pour le tenir, il fallait que je change d’attitude, car mon « Euh ben… non ! » de tout à l’heure manquait de nonchalance, de confiance en soi et d’esprit, bref de tout ce qu’on s’attend à trouver chez le French lover de sa meilleure amie. Suivant en cela ma pente naturelle, je choisis de demeurer silencieux le plus possible et de conserver autant que je le pourrai le statut confortable d’observateur amusé mais qui en a vu d’autres. Le reste de la nuit allait montrer Continuer la lecture de Go West ! ( 74)

Le bénéfice du doute ? 

Depuis l’arrivée au pouvoir suprême et total de Donald Trump, je m’étonne de rencontrer encore autant de personnes qui disent en substance : « Trump ? Faut voir… Il faut lui laisser sa chance… tout de son premier mandat n’a pas été si mauvais…il a fait de bonnes choses… il a de bonnes idées…  il faut lui accorder le bénéfice du doute… »

Le bénéfice du doute ? 

Absorber le Canada…
c’est tellement proche et puis il n’y pas grand monde. 

Devenir propriétaire de la bande de Gaza…
pour en faire la Riviera du moyen-orient.

Revenir aux pailles en plastique…
parce que celles qui sont en papier se cassent et explosent. Continuer la lecture de Le bénéfice du doute ? 

Nouvelle donne

par MarieClaire

C’est lundi, sale jour. De plus, c’est le lundi de la rentrée des classes et il fait mauvais. Lui, il est parti travailler. Le bus scolaire vient d’avaler les enfants et leurs cartables neufs.

Elle est seule dans cette grande maison silencieuse. Elle regarde par la fenêtre et voit les autres jolies maisons alignées. Le gazon commence à pousser dans les jardins, de nouvelles haies ont été plantées, les habitants s‘installent. Elle se dit que cette vue devrait lui plaire, mais elle n’en voit que l’uniformité, l’inachevé, le prévisible.

Elle quitte son poste d’observation et se heurte à l’armée de caisses qui, dans l’entrée, attendent d’être déballées. Il y a celle marquée « fragile » où doit se trouver la vaisselle des grands jours. Dans l’autre, elle se rappelle avoir mis du linge…Elle les compte : sept, huit, plus les cartons… Elle les ignore.

Le heurtoir frappe la porte d’entrée. Continuer la lecture de Nouvelle donne

Je veux plus changer

Destinée ou pas, on en prend marre de vieillir, de voir changer les maisons, les numéros, les tramways et les gens de coiffure, autour de son existence. Robe courte ou bonnet fendu, pain rassis, navire à roulettes, à l’aviation, c’est du même ! On vous gaspille la sympathie. Je veux plus changer. J’aurais bien des choses à me plaindre, mais je suis marié avec elles, je suis navrant et je m’adore autant que la Seine est pourrie. Celui qui changera le réverbère crochu au coin du numéro 12 il me fera bien du chagrin. On est temporaire, c’est un fait, mais on a déjà temporé assez pour son grade.

Louis-Ferdinand Céline — Mort à crédit — 1936

BLIND DINNER (Extrait)

(…) « Vous avez vu ? demande-t-il en jetant un regard circulaire sur les invités. On ne peut pas discuter avec ces gens-là ; ils montent tout de suite sur leurs grands chevaux. Ça prouve bien qu’ils ont quelque chose à cacher, vous ne trouvez pas ?

— C’est dommage qu’André soit parti, parce que c’est un sujet intéressant. »

C’est Marcelle, la Maire de Gentilly, qui vient de parler. Elle a dit ça calmement, affectant de découper encore en plus petit la dernière des minuscules tomates qui accompagnaient l’épaule d’agneau en croute qui a été servie pendant l’échauffourée. Longchamp s’agite un peu sur sa chaise, tout content de trouver un soutien dans l’assistance.

« Ah ! dit-il, eh bien, ça fait plaisir de voir qu’il y a encore des gens à qui on ne la fait pas. »

Mais la Maire continue :

« C’est vrai qu’on a connu Continuer la lecture de BLIND DINNER (Extrait)

Le Diner de Promo

Il y a bien longtemps, à l’occasion de l’anniversaire d’un ami, j’avais écrit un bref discours dont le sujet était la vieillesse. A cette époque lointaine, la vieillesse, je n’y croyais pas, et j’avais bâti mon texte plutôt gaiment autour de cette idée : la vieillesse, ça n’existe pas.
Une douzaine d’années a passé et, aujourd’hui, je découvre que je ne pourrais plus écrire quelque chose d’aussi stupide. Et voici pourquoi…

Un jour, c’était il y a quelques années déjà, j’ai participé à un diner de Promotion (je ne parle pas ici d’une action commerciale mais d’une réunion d’anciens élèves). Ce repas avait lieu au premier étage d’un restaurant qui faisait face au Centre Pompidou (Je place ici cette précision seulement pour pouvoir vous dire qu’il ne faut pas y aller ; dans ce restaurant, pas au musée). J’étais arrivé parmi les derniers Continuer la lecture de Le Diner de Promo

SARI (Extrait)

(…) Parmi mes moments préférés partagés avec Sari, il y a aussi ceux du Cap Ferret : chaque matin, généralement après une nuit de mauvais sommeil, je partais avec Sari entre sept et huit heures pour une promenade d’une heure ou deux. Nous passions d’abord entre les villas encore endormies sous les pins pour arriver au grand soleil au pied de la dune qui nous séparait de l’océan. La montée sur les caillebotis était plutôt pénible pour elle dont les pattes n’étaient pas adaptées aux espaces entre les planches, mais elle était récompensée par ce qu’elle pouvait trouver de comestible dans les vestiges laissés par la dernière vague des vacanciers de la veille au soir.

Arrivé en haut de la dune, le spectacle de l’océan me saisit comme à chaque fois : plage immense et déserte devant une mer bleue ou grise, calme ou agitée, haute ou basse, mais toujours émouvante.
A la vue de la mer, Sari prend le vent et s’agite. D’un signe, je la libère et elle court vers l’eau. Si la marée est basse, Continuer la lecture de SARI (Extrait)

Go West ! (73)

(…) Mais au stade où nous en sommes à présent, à l’heure où je me prépare à reprendre mon récit, c’est une tout autre affaire car, en réalité, cette deuxième nuit a constitué le point culminant de mon séjour chez Mansi et, pour la décrire, les stratagèmes ne suffiront pas.
— Jay ! Jay !
Jay ?

— Jay !… Jay !
J’ai failli oublier qu’ici, c’était mon nom, Jay. Jay, pour Jérôme, pratiquement imprononçable en anglais. Jérôme !  Quelle drôle d’idée quand même !
— Jay ?
C’est Mansi qui m’appelle pour que je l’aide à préparer la table et les chaises où nous allons diner tout à l’heure avec ses amis.

Ses amis ? Arrivés avant huit heures, au coucher du soleil. Partis le lendemain. Peut-être vers midi. Enfin, je crois. En tout cas, à deux heures, ils n’étaient plus là. Ça, j’en suis à peu près sûr. Quant à ce qui s’était passé entre huit heures du soir et deux heures de l’après-midi le lendemain… Pas facile à raconter. D’abord parce que Continuer la lecture de Go West ! (73)

Une matinée de rêve

Diffusé une première fois en juillet 2016

Comme tous les matins, il ouvre vivement la porte du bureau de sa secrétaire et lance un Bonjour-Léna-comment-ça-va-ce-matin joyeux et sonore.
Tout de suite, il ajoute qu’il fait un temps magnifique, hein, est-ce qu’elle a remarqué, et que, bon, il faudrait qu’elle appelle Drumont pour déplacer le rendez-vous de mardi prochain, non, il veut dire pour le maintenir mardi prochain, mais ailleurs, est-ce qu’elle voit ce qu’il veut dire,  ici, au bureau, par exemple, enfin comme ça l’arrange, lui, Drumont, hein,  ah oui ! et puis aussi il faudrait lui réserver un avion et une voiture pour Bordeaux, pour demain matin de bonne heure, enfin pas le premier avion quand même, hein, retour le soir, pas trop tard, une petite voiture, hein, parce qu’il sera seul et que le rendez-vous n’est pas très loin de Mérignac, il lui demande enfin si on a reçu un accord de la SMT, parce qu’il serait temps, hein, nom de Dieu, pardon Léna, mais qu’est-ce qu’ils fichent depuis le temps, et que bon, si ça ne l’ennuie pas, il prendrait bien un petit café, Léna s’il vous plaît… Léna? Continuer la lecture de Une matinée de rêve