(…) Je m’éloignai vers le coin cuisine et mis trois ou quatre fois le temps nécessaire à déboucher la bouteille en tournant le dos à tout le monde. Ça me permit de ruminer ma vexation et finalement de me calmer : « Qu’est-ce qu’on a dit tout à l’heure, crétin ? Il faut que tu te détendes et que tu profites du moment comme il vient. D’ailleurs, ça n’a l’air de perturber personne que tu sois en peignoir. »
Je m’en convainquis si bien que je finis même par m’imaginer que, dans ce petit groupe d’amis du samedi soir, le port du peignoir me conférait une position particulière, un rang, avec des privilèges. Après tout, pour Bob, pour Brenda et pour Fran, je devais être le nouveau petit ami — je pensais même plutôt « le nouvel amant » — de la maitresse de maison, un rôle inédit pour moi, mais plutôt flatteur celui-là. Mais pour le tenir, il fallait que je change d’attitude, car mon « Euh ben… non ! » de tout à l’heure manquait de nonchalance, de confiance en soi et d’esprit, bref de tout ce qu’on s’attend à trouver chez le French lover de sa meilleure amie. Suivant en cela ma pente naturelle, je choisis de demeurer silencieux le plus possible et de conserver autant que je le pourrai le statut confortable d’observateur amusé mais qui en a vu d’autres. Le reste de la nuit allait montrer Continuer la lecture de Go West ! ( 74)
Destinée ou pas, on en prend marre de vieillir, de voir changer les maisons, les numéros, les tramways et les gens de coiffure, autour de son existence. Robe courte ou bonnet fendu, pain rassis, navire à roulettes, à l’aviation, c’est du même ! On vous gaspille la sympathie. Je veux plus changer. J’aurais bien des choses à me plaindre, mais je suis marié avec elles, je suis navrant et je m’adore autant que la Seine est pourrie. Celui qui changera le réverbère crochu au coin du numéro 12 il me fera bien du chagrin. On est temporaire, c’est un fait, mais on a déjà temporé assez pour son grade.
(…) Parmi mes moments préférés partagés avec Sari, il y a aussi ceux du Cap Ferret : chaque matin, généralement après une nuit de mauvais sommeil, je partais avec Sari entre sept et huit heures pour une promenade d’une heure ou deux. Nous passions d’abord entre les villas encore endormies sous les pins pour arriver au grand soleil au pied de la dune qui nous séparait de l’océan. La montée sur les caillebotis était plutôt pénible pour elle dont les pattes n’étaient pas adaptées aux espaces entre les planches, mais elle était récompensée par ce qu’elle pouvait trouver de comestible dans les vestiges laissés par la dernière vague des vacanciers de la veille au soir.