Pour aujourd’hui et de façon totalement arbitraire, j’ai choisi quelques pages de la Recherche du Temps Perdu.
Charles Swann et Odette de Crécy sont dans un fiacre. Depuis des mois, Charles, homme du monde, courtise Odette, demi-mondaine, sans se décider à aller plus loin. Ce soir, ils sont tous les deux dans un fiacre et voici la fin de la fameuse scène des cattleyas. Odette porte ces fleurs à son corsage et Charles lui demande l’autorisation de les remettre en place. Admirez la délicatesse de la description des gestes et le cynisme de celle des motivations.
(…) Elle, qui n’avait pas été habituée à voir les hommes faire tant de façons avec elle, dit en souriant :
—«Non, pas du tout, ça ne me gêne pas.»
Mais lui, intimidé par sa réponse, peut-être aussi pour avoir l’air d’avoir été sincère quand il avait pris ce prétexte, ou même, commençant déjà à croire qu’il l’avait été, s’écria :
—«Oh ! Non, surtout, ne parlez pas, vous allez encore vous essouffler, vous pouvez bien me répondre par gestes, je vous comprendrai bien. Sincèrement je ne vous gêne pas ? Voyez, il y a un peu… je pense que c’est du pollen qui s’est répandu sur vous, vous permettez que je l’essuie avec ma main ? Je ne vais pas trop fort, je ne suis pas trop brutal ? Je vous chatouille peut-être un peu ? mais c’est que je ne voudrais pas toucher le velours de la robe pour ne pas le friper. Mais, voyez-vous, il était vraiment nécessaire de les fixer ils seraient tombés ; et comme cela, en les enfonçant un peu moi-même… Sérieusement, je ne vous suis pas désagréable? Et en les respirant pour voir s’ils n’ont vraiment pas d’odeur non plus ? Je n’en ai jamais senti, je peux ? Dites la vérité.»
Souriant, elle haussa légèrement les épaules, comme pour dire «vous êtes fou, vous voyez bien que ça me plaît.»
Il élevait son autre main le long de la joue d’Odette ; elle le regarda fixement, de l’air languissant et grave qu’ont les femmes du maître florentin avec lesquelles il lui avait trouvé de la ressemblance ; amenés au bord des paupières, ses yeux Continuer la lecture de À la Recherche de quelques pages →