Archives de catégorie : Textes

Carnet d’Écriture (3) – un carnet, qu’est-ce que c’est ?

J’aurais dû commencer par là. Au lieu de vous prendre par surprise et pendant deux numéros vous asséner des généralités sur les méthodes, j’aurais dû commencer par vous dire ce que c’est qu’un carnet d’écriture.

Pour un écrivain, un carnet d’écriture, c’est un cahier à spirale, un carnet relié, un bloc-notes, des feuilles volantes pliées en deux ou même, pour certains, un dictaphone. C’est quelque chose, un support, sur lequel il déverse sans retenue ni pudeur les pensées qui l’agitent au cours de l’écriture d’une œuvre littéraire. États d’âme, ébauches de personnages, idées de situations originales, études de retournements, essais de phrases à insérer, textes alternatifs, petits dessins de canard avec chapeau et parapluie, enthousiasmes, désespérances, questions existentielles, vérifications à faire, recherches à entreprendre, notes techniques, coups de fil à donner, tentatives de titres… Tout, tout y est, ou devrait y être.
Un cahier d’écriture, c’est un journal de bord, un journal qui restera intime jusque bien après la mort de l’auteur, jusqu’à la reconnaissance de l’écrivain par la patrie reconnaissante.
C’est un cahier de brouillon, un livre de recettes, un terrain d’expériences, un exutoire…
Avec celle de la correspondance et des manuscrits, la connaissance du carnet Continuer la lecture de Carnet d’Écriture (3) – un carnet, qu’est-ce que c’est ?

Le côté de l’aurore

première diffusion : pendant le confinement

Il y a des jours où, pour un peu,
Champ de Faye ressemblerait
vachement à Combray !

Robert de Montesquiou – Apollon aux lanternes – 1898

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Ce matin, vers quatre heures et demi, alors que j’étais descendu à la cuisine pour me préparer le café qui au réveil m’est indispensable tant au corps qu’à l’esprit, je constatai que la pénombre de la pièce était percée d’une lueur orangée, vacillante et chaleureuse. C’était le feu qui brulait déjà dans la cheminée, m’apportant ainsi la confirmation qu’à nouveau, Albertine s’était levée avant moi. Partagé entre le sentiment de la reconnaissance envers celle qui m’avait évité le désagrément d’entrer en chaussons et tenue de nuit dans une pièce qui sans son intervention pré-matinale eut été désagréablement froide et celui de la déception de n’avoir pu, encore une fois, lui éviter la pénible tâche de l’arrangement et de l’ignition des lourdes bûches rugueuses  dans l’âtre encombré des cendres de la veille, je saisis la bouilloire dont l’anse encore tiède me disait qu’Albertine s’était préparé les trois tasses de thé qui, le matin, lui sont aussi nécessaires que l’opium au toxicomane, et je la mis à chauffer.

C’est comme hypnotisé par le petit œil rouge du récipient calorifère, Continuer la lecture de Le côté de l’aurore

Go West ! (109)

(…) Veulerie, paresse, facilité ? Je ne sais pas, mais j’ai fini par laisser mes questions en plan. L’essentiel, c’était que Patricia était redevenue gentille et gaie, peut-être même amoureuse. En tout cas, elle ne me demandait pas de partir. L’essentiel, c’était que j’allais rester près d’elle. Bien sûr, je gardais en moi cette blessure d’amour ou d’amour-propre, cette image de ce salopard de Carver couchant avec Patricia pendant que moi, tout feu tout flamme, je préparais mon voyage pour la rejoindre. Mais l’essentiel, c’était que celui qui était près de Patricia aujourd’hui, c’était moi.

Les parents de Patricia ne devaient rentrer de voyage que le 1erseptembre pour aller le lendemain chercher Walter à son camp de voile. La maison était donc toute à nous pour une douzaine de jours. De plus, comme le cabinet de Carver était fermé jusqu’au 3, Patricia était entièrement libre de son temps et elle me le consacra entièrement. Elle fit même preuve de grandes qualités d’organisatrice, de guide et d’animatrice. Chaque jour, au milieu de la matinée, nous partions en voiture vers le centre de Washington et nous visitions musées, monuments, bâtiments fédéraux, quartiers de la ville, tout ce qui était à voir de la capitale des États-Unis. Avec les années, les images que j’en avais gardées, statues gigantesques, palais somptueux, perspectives majestueuses, se sont peu à peu floutés. Pourtant, quelques-unes demeurent encore bien nettes : la salle inoccupée des séances du Sénat, évocation de la toute-puissance de ce nouvel empire romain, sobres pupitres sénatoriaux, moquette étoilée, silence de cathédrale ; le vilain petit bâtiment rouge brique de la Philips Collection avec, à l’intérieur, Auguste Renoir, le Déjeuner des Canotiers devant lequel nous étions restés longtemps assis à imaginer les vies, les amours et les destins de chacun des personnages et même du petit chien ; l’irrépressible émotion devant la simplicité splendide du cimetière militaire d’Arlington ; l’énergie des conquérants d’Iwo Jima incarnée dans le Memorial du Corps des Marines ; l’élan et la légèreté du terminal de Dulles Airport…

En fin de journée, nous rentrions à Bethesda pour y diner sur Continuer la lecture de Go West ! (109)

Carnet d’Écriture (2) : pas de méthode ?

 » (…) Une fois que tout est prêt, généralement sous forme de cases dans un tableur Excel, je n’ai plus qu’à laisser tourner la mécanique de l’habitude pour que l’action avance. »
Personnellement, je considère Simenon comme un excellent, sinon un grand écrivain et je ne voudrais pas que vous preniez cet exemple, qui d’ailleurs ne prend pour cible que ses romans policiers, pour un dénigrement de toute son œuvre, car chez lui, ce n’est pas vraiment l’intrigue qui compte, mais l’ambiance et le style, tout le reste n’étant que prétexte.

À la même question, Raymond Chandler, le plus grand, le plus élégant, le plus nonchalant des auteurs de série noire, aurait répondu : « Prenez le quartier de Westwood à L.A., plantez-y un détective privé un peu alcoolique, un peu fauché, souvent à la limite de la légalité mais intransigeant sur ses règles de morale personnelles, fidèle en amitié au-delà du raisonnable. Donnez-lui pour client un tycoon du cinéma amoureux d’une étoile du strip, ou pour cliente une jeune héritière ayant fait une grosse bêtise. Quand vous aurez tout ça, imaginez n’importe quel début d’intrigue, prenez un whisky on the rocks et laissez faire votre vieille Remington, celle dont la touche P s’est fait la belle depuis un lustre, car ‘’l’histoire on s’en fout, c’est le style qui compte.’’ »

Si j’étais Patrick Modiano, ma réponse serait « Si vous Continuer la lecture de Carnet d’Écriture (2) : pas de méthode ?

La planche et les deux canards, fable luxembourgeoise

Rediffusion

Bonjour !

Il est 8h49 et, ce matin, mon bureau, c’est la Fontaine Médicis du Jardin du Luxembourg. C’est assez rare que je vienne m’installer en cet endroit, souvent humide et froid. Mais en cette matinée du 14 juin, à cette heure, la température est idéale pour écrire une fable. Vous allez voir.
J’aime bien cette eau en pente qui semble glisser vers Polyphème surprenant Galatée dans les bras d’Acis. Ce matin, l’eau de la fontaine est noire, un effet de l’éclairage sans doute, et mis à part les imperceptibles ondes concentriques qui entourent trois canards endormis, elle est sans ride. Et la fable ? J’y viens.

Contrairement aux canards de Sologne dont on sait qu’ils s’envolent à l’aube par-dessus les ajoncs dans le soleil levant, le canard parisien n’est pas matinal. Ils sont trois à flotter comme des épaves, comme ça, le bec sous l’aile. Ils dorment. Hésitante, une planche remonte lentement à la surface. D’où vient-elle ? Que faisait-elle au fond ? Pourquoi a-t-elle décidé Continuer la lecture de La planche et les deux canards, fable luxembourgeoise

Carnet d’Écriture (1) : Cher auteur

— Cher auteur,
Vous avez écrit des milliers de pages, des centaines de chroniques, des dizaines de nouvelles, une demi-douzaine de romans dont trois ont été achevés. L’ensemble de votre œuvre dénote une diversité d’inspiration, de genres et de styles rarement rencontrée, passant sans dommage de la comédie au drame, de la critique de la société à l’analyse du comportement individuel, de la réalité à la fiction, du romantisme le plus exacerbée au réalisme le plus cru sans oublier vos passages par l’absurde, de la relation du passé à la prévision du futur, j’en passe, et non pas ‘’des meilleurs’’, comme le disent trop souvent les journalistes adeptes des syntagmes figés et maladroits, mais j’en passe et des tout aussi bons.
Alors, cher auteur, pourriez-vous expliquer à votre lectorat subjugué comment vous viennent toutes les idées qui sous-tendent vos textes, comment vous les couchez sur le papier, comment vous les faites éditer, et toute cette sorte de choses mystérieuses que nous Continuer la lecture de Carnet d’Écriture (1) : Cher auteur

Go West ! (108)

(…) Je me suis laissé tomber, assis sur le lit. Elle s’est assise à côté de moi et nous sommes restés un moment comme ça, moi, la tête entre les mains, elle, me caressant le dos. Et puis elle m’a poussé doucement sur le côté jusqu’à ce que je m’allonge ; je n’ai pas résisté et, tout de suite, je me suis couché en chien de fusil, ramassé sur moi-même ; elle en a fait autant, son corps collé au mien, imbriqué. J’ai dû m’endormir avant elle.

Les derniers jours qui me restaient à vivre avec Patricia, seize exactement, d’abord à Washington puis, pour finir, à New-York, ne se sont pas passés comme je l’avais espéré. Et pourtant, tous ces jours, toutes les nuits qui les ont suivies, nous les avons vécus côte à côte, tous les deux, dans la même maison ou dans la même chambre d’hôtel, sans que personne ne nous dérange ni même ne nous observe. Nous avons dormi ensemble, nous avons pris des petits déjeuners ensemble, nous sommes allés au cinéma et au théâtre, nous avons pris l’avion ensemble, roulé en voiture, pris le métro, visité des musées et des grands magasins, flâné dans des rues et dans des jardins… Presque tout ce qu’on doit faire ou voir à Washington et à New-York, nous l’avons fait, nous l’avons vu. Pendant ces quelques jours, notre vie a ressemblé à celle d’un couple en vacances. C’était un peu comme si, Patricia et moi, nous étions en voyage de noces. Seize jours dont je n’aurais jamais osé rêver. Mais le cœur n’y était pas… pas vraiment.

Au retour de la baie de Chesapeake, quand nous étions arrivés devant sa maison, je n’avais pas la moindre idée de ce que Patricia allait faire. La fin de la nuit avait été difficile tant pour elle que pour moi et, depuis que nous avions quitté le Candlewood Motel, nous n’avions pas échangé trois mots. Rester Continuer la lecture de Go West ! (108)

Roland, Claude, Jacques et les autres

par Lorenzo dell’Acqua

Comme vous le savez, les écrits et la vie de NRCB ont eu un impact considérable sur Lorenzo. Son témoignage sincère et honnête doit être interprété à l’aune des connaissances linguistiques, psychanalytiques, sociologiques, littéraires, historiques, politiques, cynégétiques, photographiques, humoristiques, sportives, religieuses et cinématographiques les plus avancées de notre temps.

La lecture de son Œuvre complète a confirmé à Lorenzo la justesse de la thèse de Roland : l’écrivain Ph. C. ne s’est pas installé par hasard dans son domaisne du Bas de l’Aisne alors qu’il était originaire de Touraisne. Ce choix lui a été inconsciemment dicté par l’analogie homophonique entre le Bas de l’Aisne et la madeleine de Marcel Proust aux conséquences incalculables sur sa vie et sa carrière. De nombreux autres savants ont conforté l’intuition géniale de Roland. Jacques, le psychanalyste, pense que le choix de Philippe relevait de ce qu’il nomme dans ses écrits : « l’auto intuition innée et inconsciente des précurseurs », comme celle de Napoléon Bonaparte et de Jules César (pas celui de Sautet). Claude effectua une mission ethnographique à Chants de Fées dévasté par l’analphabétisme plus que par la guerre de 14. Il en était revenu déprimé et le titre de l’ouvrage qu’il rédigea, « Retour de l’Enfer », était si péjoratif que ses élus lui demandèrent d’en changer. Il faut bien reconnaître que « Tristes Tropiques » est beaucoup plus attractif sur le plan touristique ce qui explique aussi le choix de cette destination par NRCB.
En introduction à son témoignage hagiographique, Lorenzo a rédigé Continuer la lecture de Roland, Claude, Jacques et les autres

Un truc pour écrire

Rediffusion

Ne vous y trompez pas, ce que je vous propose, ce n’est pas un stylo, mais une méthode. C’est bien mieux et c’est moins cher.

 Ecrire n’est pas facile en général, surtout quand on est équipé d’un peu de sens critique, car, la plupart du temps, il vous conseillera de passer votre production au broyeur. Mais le plus souvent, c’est une méthode qui manque au débutant et la lecture de ce qui suit pourrait lui faire gagner un peu de temps. Celle que je préconise est celle du « Je me souviens« , éprouvée dès 1970 par Joe Brainard dans son recueil « I remember« , puis par Georges Perec en 1978 avec son « Je me souviens ».  Voici ce que j’en disais il y a quelques années :

Le Je me souviens est exercice d’écriture courant. Il consiste à dresser une suite de bribes de souvenirs dont chacune commence par les mots Je me souviens. Ces bribes reflètent des souvenirs personnels propres à leur auteur en même temps qu’elles évoquent une époque. C’est un exercice que je recommande chaudement à ceux que titille une vague envie d’écrire. Quitte à raconter quelque chose, autant commencer par ce qu’on croit connaitre : sa vie. Voici la méthode : Continuer la lecture de Un truc pour écrire

De la démocratie… 

Attention, ça va faire mal...
La démocratie est la dictature de l’ignorance.
On ne doit pas élever au rang de citoyens tous les individus dont l’État a cependant nécessairement besoin.
La dictature, c’est ferme ta gueule. La démocratie, c’est cause toujours.
A la nomination d’une petite minorité corrompue, la démocratie substitue l’élection par une masse incompétente.
Tout le rêve de la démocratie est d’élever le peuple prolétaire au niveau de la bêtise du bourgeois.
Une démocratie n’est rien de plus que la loi de la foule, suivant laquelle 51% des gens peuvent confisquer les droits des 49 autres.
Le meilleur argument contre la démocratie est un entretien de cinq minutes avec un électeur moyen.
La démocratie, c’est le pouvoir pour les poux de manger les lions.
La démocratie est le pire des régimes, à l’exception de tous les autres. 

Vous serez peut-être surpris que je reproduise dans le JdC cette suite d’aphorismes négatifs sur la démocratie. Pourtant, ils ont tous été prononcés par des hommes honorables. Parmi eux, pas de Néron, pas de dictateur, pas d’autocrate, pas de ploutocrate ni même d’oligarque. À part les deux premiers, dont vous aurez certainement deviné de qui ils étaient (ben voyons !), et qui expriment sans détour la véritable pensée de leur auteur, les autres doivent être considérés comme des traits d’esprit, des boutades ou des critiques ironiques destinées de façon évidente à mettre en valeur la notion même de démocratie.

Ces jours-ci, on n’en fait plus grand cas, de la démocratie. Elle a disparu ou est en voie de disparition effective dans des pays qui, autrefois, en ont été les initiateurs, les adeptes et les prosélytes.
Chez nous, elle existe encore et c’est une des seules choses qui nous restent, après que la puissance et la santé économique aient disparus. Elle existe encore, mais son socle de supporters devient chaque jour plus étroit, en particulier, et c’est sans doute le plus grave, chez les personnes les plus jeunes. On en trouvera pour preuve tous les sondages que l’on veut, assortis de toutes les justifications du type  « on a tout essayé sauf… », la « nécessité d’un bon coup de balai », le « désir d’homme fort » et autres rengaines populistes du type « y-a-qu’à – faut-qu’on ».

Il ne faut pas jouer avec la démocratie ni rigoler avec l’extrémisme, et surtout ne pas vouloir l’essayer, car si vous l’essayez, vous verrez, vous n’en reviendrez pas.

En attendant, si vous voulez savoir quels sont les auteurs des aphorismes ci-dessus, il va vous falloir ouvrir le commentaire ci-dessous.