Archives de catégorie : Textes

Go West ! (98)

— (…) Je me fais beaucoup de souci pour Alice, vous savez… Mon idée de voyage, ça ne marche pas. Vous avez vu comment elle se comporte ? Triste, figée, butée… elle ne me parle pratiquement pas et quand elle le fait… enfin… vous avez vu ! Le soir quand nous arrivons dans notre chambre d’hôtel, elle se précipite et s’enferme dans la salle de bain. Elle prend un bain pendant une heure et quand elle en sort, elle se couche tout de suite, sans un mot. Quand je sors de la salle de bain à mon tour, elle dort… ou elle fait semblant. Le matin, je me réveille, assez tard — je ne peux pas dormir sans somnifères — elle a déjà quitté la chambre. Quand je la retrouve dans le lobby, elle a déjà pris son petit déjeuner. Je sens bien que je l’agace, qu’elle m’évite autant qu’elle le peut… Ce voyage était une erreur. Parfois, j’ai envie de tout arrêter, de rentrer à New York et d’envoyer Alice en Suisse. On m’a parlé d’une sorte de sanatorium dans la montagne… Je suis très malheureuse, Philippe. Qu’est-ce que vous pensez de tout ça ? Je ne sais plus quoi faire…

J’essayai d’être rassurant, de lui dire qu’Alice irait surement bientôt mieux, qu’il lui fallait peut-être plus de temps pour accepter la séparation de ses parents, que moi-même, j’avais…
— Vous êtes gentil, Philippe, mais vous n’y êtes pas du tout. Ce n’est pas ça qui a mis Alice dans cet état. C’est ce groupe de filles du lycée, des petites garces à la mode qui ont pris Alice en grippe depuis des années… parce qu’elle n’a pas encore de formes, parce qu’elle s’habille mal, parce qu’elle ne se maquille pas, parce qu’elle est bonne élève. Alors, elle se trouvait laide, sans intérêt, jusqu’à ce que l’année dernière, un garçon la remarque. Elle est devenue sa girlfriend officielle, comme ça se fait partout ici dans les lycées, et les petites garces lui ont fichu la paix. Ce qui ne se fait pas, du moins à son âge, c’est de « dormir avec » son boyfriend. Vous connaissez l’expression, bien sûr ? Mais c’est ce qu’elle a fait. Une semaine plus tard, non seulement le fils de … — pardonnez-moi, je ne sais plus ce que je dis — le garçon l’a laissée tomber, mais en plus, il est allé raconter son exploit à ses copains. Les quolibets ont repris de plus belle… les insultes aussi… jusqu’à ce qu’Alice avale trois tubes d’aspirine avec une demi bouteille de Bourbon. Alors, vous pensez Continuer la lecture de Go West ! (98)

The Gen Z stare

Connaissez-vous le « Gen Z stare » ?
L’avez-vous rencontré ?
En avez-vous été victime ?
Est-ce que ça vous a fait mal ?
Et d’abord, savez-vous seulement ce que c’est ? 

Et même avant, avez-vous une idée de ce que c’est que la Gen Z ? 

Eh bien,  voilà : il y a eu  la génération silencieuse (1930-1945), les baby boomers (1945-1965), la génération X (1965-1980), les milléniaux (1980-1996), la génération Z (1996-2012) et la génération Alpha (2012- … ) 

La génération Z ou, plus familièrement la Gen Z, est donc la dénomination collective des gens nés entre 1996 et 2012.
Pourquoi Z ? Pourquoi ces dates ? Aucune idée ! Toujours est-il que ces gens là ont aujourd’hui entre 13 et 29 ans et il faut bien reconnaître que, globalement, ils sont assez nombreux, souvent exigeants, plutôt geignards et parfois rancuniers. Avec ces qualités, ils constituent un marché facile et colossal pour tous les revendeurs de complots, de paranoïas, de fake news et de mauvais goût.

Voilà pour la « Gen Z » ! 

Au « Stare » maintenant. Continuer la lecture de The Gen Z stare

Go West ! (97)

(…) Vance n’a pas d’enfant, il n’a jamais été marié. Vance est un homme merveilleux. Vance est bon, doux, original ; il la fait rire, il lui offre des fleurs sans raison, il l’emmène au cinéma et dans ses voyages d’affaires, il lui raconte les livres qu’elle n’a pas lus. Avec Troy, Vance est naturel, calme, rassurant, il est une sorte d’oncle et Troy aime ça. Tout de suite, Bette tombe amoureuse de Vance et, le 1er juin 1933, Vance demande à Bette si elle veut bien être sa femme. Elle veut bien.

Ils se sont mariés la semaine suivante à La Havane, une ville merveilleuse dit-elle, du moins à cette époque, celle d’avant les insupportables barbus. Et puis Estelle est née. Bette avait près de quarante ans, mais ça s’est bien passé, grâce à un médecin épatant de D.C., celui-là même qui soigne la famille Roosevelt. Vance était fou d’Estelle, il l’emmenait toujours et partout avec eux, au théâtre, au restaurant, dans les musées, en voyage, partout ! Mais là où il ne l’a pas emmenée, ni elle, ni Bette, c’est à Mexico pour l’inauguration du nouvel Hôtel des Postes qu’il avait construit pour le gouvernement mexicain. C’est là qu’il avait rencontré Consuelo, 27 ans. La jeune Mexicaine — entre nous une sacrée garce, avait dit Bette — lui avait retourné les sens. Huit mois plus tard, Bette obtenait le divorce, la garde complète d’Estelle et la moitié de la fortune de Vance.

A 54 ans, Ms Sherman-Vance se retrouvait libre, Continuer la lecture de Go West ! (97)

L’Énéïde

C'est le programme minimum de l'été. 

Alors, on rediffuse : 
À Hubert

Cet énorme poème peut être tout aussi connu que l’Odyssée, mais il est certainement moins lu. (En matière de littérature, la renommée et la quantité de lecteurs sont deux choses très différentes) Quand j’ai lu l’Iliade puis l’Odyssée un peu avant trente ans, ce fut un grand choc et un grand plaisir, renouvelé depuis à différents âges.
Aborder Virgile me faisait peur, probablement à cause du qualificatif de poète qui s’attache à lui, et ce n’est que quarante ans après l’Iliade que, grâce à un ami, Hubert, j’ai ouvert l’Enéide. Nouveau choc, nouveau plaisir, à renouveler. L’Enéide est un magnifique et violent roman d’aventures, un tragique roman d’amour, un conte où se mêlent histoire antique et mythologie. Passionnant.
Evidemment, il faut se faire au style. On n’est pas chez Marc Lévy ou Guillaume Musso. A titre d’exemple, voici un court extrait du Chant VI dans lequel Enée, vivant, et son père, mort, se rencontrent aux Enfers.

Enée échappe à la mort et au sac de Troie en fuyant la ville en flammes. Il finira par s’installer dans le Latium, non loin de la future Rome, après sept années d’aventures en Méditerranée. Le père d’Enée, Anchise, meurt en Sicile au cours du voyage. Quelques temps plus tard, Enée doit descendre aux enfers. Son père l’aperçoit : Continuer la lecture de L’Énéïde

Go West ! (96)

(…) Pour autant qu’elle m’ait dit la vérité, sa vie avait été peu banale, souvent drôle, dramatique en quelques occasions, toujours brillante. Elle pratiquait avec aisance l’humour et l’autodérision pour raconter les périodes les plus heureuses de sa vie et passait à l’understatement britannique quand elle abordait une période moins rose.

Bette était arrivée à Paris au milieu de l’année 1920. Elle était née à Boston, elle avait vingt et un ans venait de se marier avec George Smythe. Elle l’avait fait contre l’avis de toute sa famille qui l’avait pour ainsi dire bannie. George était beau comme un dieu grec, il avait vingt-cinq ans, il était sans fortune et il voulait écrire. Il avait entrainé la jeune mariée à Paris où ils s’étaient installés parce que la ville était à l’époque le centre artistique du monde. Pour George, c’était le seul endroit où vivre pour un jeune écrivain américain en puissance.
D’ailleurs, il avait tout de suite trouvé le titre de son roman : The Winter of our Discountent. Cette trouvaille avait impressionné Bette. The Winter of our Discountent… ça sonnait bien, ça avait de la tenue, de l’ampleur et même une certaine majesté. Ça présageait bien d’une œuvre magistrale à venir.
Ils habitaient rue de la Clef, sortaient tous les soirs, fréquentaient le Dingo Bar, la Closerie et le Bœuf sur le Toit ; ils prenaient régulièrement des verres chez Gertrude Stein ; ils connaissaient tout un tas de peintres, d’écrivains et de musiciens, tous prometteurs. Bette était éblouie par le tourbillon dans lequel George l’entrainait. Totalement candide Continuer la lecture de Go West ! (96)

Le stockfisch et la méduse

Couleur café 

diffusé pour la première fois le 8 juillet 2014

Le Soufflot, rue Soufflot

 Cet après-midi, je me suis installé tranquillement avec ma canne anglaise et mon iPad à la terrasse du café Soufflot. Il faisait doux et j’avais soigneusement choisi une table à l’extérieur, avec banquette en vannerie perpendiculaire au trottoir. De cette manière, je faisais face au bas de la rue, avec en horizon la cime des arbres du Luxembourg. J’ai commandé mon demi pression à un garçon pour une fois aimable, qui m’a servi dans les deux minutes une bière très comme il faut.

J’ai sorti mon iPad, je l’ai ouvert et je l’ai connecté à Internet par le biais du réseau wifi du bistrot. Ça a marché tout de suite.

Tout allait donc bien, très bien même. J’étais en paix avec le quartier pour ne pas dire avec l’Univers, dans des dispositions d’esprit parfaites pour travailler mon texte sur cette gentille petite scène dont j’avais été le témoin il y a quelques mois dans un autre bistrot, celui du haut de la rue Gay-Lussac, et à laquelle j’avais donné comme titre provisoire: « Le bon, la brute et les enfants ».

J’ai entrepris de relire l’ébauche que j’avais écrite le jour même de la scène.

Et puis, c’est arrivé. J’ai commencé à percevoir la voix Continuer la lecture de Le stockfisch et la méduse

To be or not to be : what is the question ?

C'est le programme minimum de l'été. 

Alors, on rediffuse :

To be or not to be
Ernst Lubitsch – 1942
Jack Benny, Carole Lombard

Désœuvré comme souvent et libre comme parfois et comme l’air, je passai l’autre jour devant ce qui, pour des générations d’étudiants, restera pour toujours le lieu intime où ils ont découvert l’art du cinéma, Le Champollion. J’ai déjà écrit sur cette salle et je ne vais pas vous refaire aujourd’hui le coup de la nostalgie, mais vous pouvez toujours retrouver l’article que je lui avais consacré en cliquant sur ce lien

https://www.leblogdescoutheillas.com/?p=9313

Donc, je passai devant le Champo. Il devait être 11h40, ou 45 à la rigueur, et la vitrine annonçait pour 12h10 To be or not to be ! Ça devait bien faire quelques années, au moins cinq ou six, que je n’avais pas revu To be or not to be. Alors, un petit tour devant la vitrine de La Compagnie pour passer le temps et hop, au Champollion !

Dans la salle, nous devons être cinq ou six. Si je suis le plus âgé, ça ne doit pas être de beaucoup. Quelques publicités, quelques annonces : La Strada, Buffet froid, Milou en mai… que du beau monde. La salle s’éteint. Continuer la lecture de To be or not to be : what is the question ?

Offres d’emploi

C’est le programme minimum de l’été.

Alors, on rediffuse :

Le Ministère de l’Administration des Ministères et de la Procrastination de la Réforme de l’Administration recherche plus ou moins activement à pourvoir les postes suivants:

revendeur de trous – vérifieur de certification – certifieur de vérifications – videur intersidéral – remplisseur de boîtes de nuit – entraineur de chaises de jardin – calculateur de π – démonteur d’océans – remonteur de moral – couvreur d’opprobre – corneur de pages – purificateur de cieux – décolleur d’avions – baratineur de beurre – débordeur de vases – avaleur de sable – accompagnateur de téléphérique – écraseur de champignon – intégrateur de zéro à l’infini et au-delà – additionneur de zéros – censeur des aiguilles d’une montre Continuer la lecture de Offres d’emploi

Les débuts de Proust et de Flaubert

C’est le programme minimum de l’été, alors, on rediffuse :

C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar.

Avec le « Longtemps, je me suis couché de bonne heure » du petit Marcel, « C’était à Mégara… » est probablement l’incipit le plus connu de la littérature française. C’est celui du roman Salammbô de Gustave Flaubert.
Je ne vais pas disserter sur cette œuvre puissante et surtout pas tenter de la comparer à la Recherche du temps perdu. D’abord parce que ces deux romans sont incomparables, y compris entre eux. Ensuite parce que je ne suis carrément pas au niveau et, dans ces cas là, j’aime bien dire que je n’ai pas les outils.
Je voudrais simplement faire remarquer les différences qui existent pour moi entre ces deux magnifiques phrases d’entrée qui ne font d’ailleurs que refléter les différences fondamentales de nature entre les deux œuvres.
Avec l’incipit du petit Marcel, vous entrez dans son roman (on dirait aujourd’hui autofiction) par une petite porte, la fragile petite porte du fond du jardin de la maison de Combray, la délicate petite porte de la mémoire. La phrase est courte, simple et inattendue, surtout quand elle suit un titre aussi explicatif que « A la recherche du temps perdu ». Vous êtes tout de suite dans l’intimité du Narrateur qui, avec cette phrase d’introduction, commence à vous expliquer comment chaque soir il se couchait de bonne heure sans pouvoir s’endormir avant que sa mère ne vienne l’embrasser. Avec les trois mille pages qui suivent, vous saurez tout de lui.
Le grand Gustave ouvre Salammbô avec une phrase solennelle : « C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar« . On est au cinéma, l’hymne de la Twentieth Century Fox vient Continuer la lecture de Les débuts de Proust et de Flaubert