Archives par mot-clé : Philippe

Aux coiffeurs

Ce texte a été diffusé déjà deux fois par le passé, mais le problème avec les coiffeurs, c’est qu’il faut y retourner régulièrement. De plus, par les temps qui accélèrent, un peu de chaleur humaine et humide, de rêve et de poésie ne peuvent pas vous faire de mal.  

Dehors, il fait gris sombre, froid humide et triste angoisse. Quand on passe badaudant devant la vitrine floue de la rue Saint Jacques longue, le trottoir est jaune enluminé.
Si on entre dans l’aquarium boutique, c’est encore mieux : il fait blanc lumineux et chaud tropical. Les vents électriques des séchoirs mangeurs de crânes recouvrent à peine les conversations molles et la musique en tube. D’étranges êtres capés immobiles se contemplent assis dans des miroirs lumière encadrés. Des esclaves serviles légers leur reforment la crête luisante hirsute.

Si l’on a pris bonne et due date, c’est le paradis retrouvé. On se place aussitôt parmi les maitres absolus que des serviteurs emblousés arrosent Continuer la lecture de Aux coiffeurs

Carnet d’Écriture (7) – une histoire pleine de bruits et de fureur, racontée par un idiot

(…) Plutôt que de développer devant cet ami tous mes arguments en réponse à sa remarque, j’ai préféré annoncer que je ne tarderai pas à lui prouver le contraire par une prochaine nouvelle.
Voilà pour le « pourquoi » de Blind diner ».

Passons maintenant au « comment ».

Très rapidement, je décidai de raconter mon histoire en gestation à la première personne du singulier et au présent de l’indicatif. Ce choix présente quelques avantages propres à faciliter la rédaction : ce temps de narration élimine pratiquement tous les problèmes de concordance des temps et le choix du narrateur-acteur, au contraire de cet insupportable pédant qu’est le narrateur omniscient, permet d’avancer dans l’histoire en toute innocence, sans prescience de ce qui va se passer, conditions imposées ipso Continuer la lecture de Carnet d’Écriture (7) – une histoire pleine de bruits et de fureur, racontée par un idiot

L’incertitude comme principe

Rediffusion

Le principe d’Heisenberg ou « On n’est jamais sur de rien »

— Dis-donc, je viens d’en entendre une bonne. Y a un savant, un allemand, Wurtemberg je crois qu’il s’appelle, ou quelque chose comme ça, il a dit qu’en principe, c’est pas possible connaitre en même temps la vitesse et la position d’un truc qui se déplace un peu vite. Non mais, j’y crois pas ! C’qu’ils vont pas chercher quand même ! En tout cas, si c’est vrai, il faudra le dire aux flics ! Parce qu’ils arrêtent pas de m’envoyer du papier pour me dire que, j’sais plus quand, j’étais Porte de la Chapelle à 129 kilomètres-heure sur le Périphérique. Y doivent pas en avoir entendu parler, de Gutenberg ! Eh, garçon ! Un aut’ Calva, siouplait ! Tu r’veux un café ?
— Non, merci. Il s’appelle Heisenberg, Werner Heisenberg.
— Qui ça ?
— Eh bien, le savant dont tu parles. C’est un physicien : Heisenberg. Pas Gutenberg, ni Wurtemberg : Heisenberg.
— Ah bon …
— Et ce dont tu parles, c’est de son principe, le Principe d’Heisenberg. C’est de la science.
— Comme le Principe d’Archimède, alors ?
— C’est ça. On dit aussi Principe d’Indétermination ou Principe d’Incertitude.
— T’es certain ? Non, j’rigole ! Et c’est bien ça qu’y dit, Machinberg, qu’on peut pas savoir en même temps où on est et à quelle vitesse on va ?
— Si on veut, mais ça ne s’applique qu’à des particules.
— Des trucs tout petits alors ?
— C’est cela, de la taille de l’atome, ou plus Continuer la lecture de L’incertitude comme principe

Go West ! (112)

(…) Et après, quoi faire ? Décider de ne pas prendre cet avion, de rester plus longtemps aux États-Unis, d’y rester toujours ? J’y avais déjà pensé, bien entendu, mais seulement dans un éclair, comme une de ces solutions magnifiques dont on sait qu’elles sont impossibles car finalement, au contraire de Patricia, moi, je n’étais pas prêt à de tels bouleversements. Alors quoi ? Partir tout de suite, arracher le sparadrap d’un seul coup pour ne pas souffrir davantage un peu plus tard ? Mais cela voulait dire renoncer aux quelques jours de bonheur que Patricia me promettait à côté d’elle, et ça, je n’en avais ni l’envie ni le courage
— Philippe ! Est-ce que tu veux ? Vraiment ?

J’ai dit oui, bien sûr, et le lendemain nous avons pris le Shuttle.

Le Shuttle, c’est le DC 4 qui vous amène en trente-cinq minutes de Washington à l’aéroport de Newark pour la somme de 12 dollars. C’est tout simple, il n’y a pas de réservation, pas de contrôle ; vous vous présentez au départ et s’il y a de la place, vous montez, sinon vous prendrez le suivant, une demi-heure plus tard. De Newark, nous avons pris un bus qui nous a amenés à la gare de Grand Central, en plein cœur de Manhattan, et de là, nous avons marché jusqu’au Biltmore. Pour respecter un minimum de convenances, c’est moi qui ai pris la chambre tandis que Patricia faisait semblant de s’intéresser aux vitrines du lobby, mais j’ai bien vu que l’employé à la réception regardait Patricia du coin de l’œil et qu’il n’était pas dupe. Patricia connaissait sans doute déjà bien l’hôtel, car elle m’avait demandé de prendre une chambre ‘’low rate special’’ au quatorzième étage. Ces chambres étaient les plus économiques de tout l’hôtel pour plusieurs raisons. La première était qu’au Biltmore, par superstition, le treizième étage n’existait pas. On passait donc directement du douzième au quatorzième. Ça n’empêchait pas les clients superstitieux de refuser les chambres du prétendu quatorzième, dont ils savaient pertinemment que c’était en réalité le treizième. La deuxième raison était que, Continuer la lecture de Go West ! (112)

Carnet d’Écriture (6) – Quand on connait personne, on s’emmerde comme jamais

Blind diner – Pourquoi ?

Je me propose aujourd’hui de vous raconter comment est né et comment s’est développé ce bref roman, cette longue nouvelle, cette pièce de théâtre qui ne dit pas son nom, ‘’Blind dinner’’.

L’idée m’est venu de la remarque que me fit un jour un ami. « Hier soir, m’avait-il dit, nous avons dîné chez Untel. Personne ne connaissait personne. On s’est ennuyé comme des rats morts. On n’a pas idée d’organiser un dîner comme ça. Pour qu’une soirée soit réussie, il faut que les gens se connaissent, tout le monde sait ça ! » Je ne suis pas certain que ce soit là les mots exacts qu’il employa, mais c’était bien le concept : « Quand on ne connaît personne, on s’emmerde. »

Mon esprit de contradiction, qui toujours sommeille en moi juste à côté du cochon, me fit réagir immédiatement à Continuer la lecture de Carnet d’Écriture (6) – Quand on connait personne, on s’emmerde comme jamais

Don Juan – Acte V – Scène II

Après avoir fait preuve à de multiples reprises de son incommensurable égoisme et de sa totale indifférence aux sentiments des autres, et notamment à ceux des femmes qu’il séduit de manière compulsive, Don Juan vient de déclarer à son père un faux repentir. Devant Sganarelle, son valet, qui a été témoin de tous les précédents méfaits de son maitre, il fait maintenant l’éloge de l’hypocrisie en tant que moyen de « profiter des faiblesses des hommes » et de « s’accommoder des vices du siècle ». Sganarelle réagit : 

SGANARELLE

Ô Ciel ! Qu’entends-je ici ? Il ne vous manquait plus que d’être hypocrite pour vous achever de tout point, et voilà le comble des abominations. Monsieur, cette dernière-ci m’emporte et je ne puis m’empêcher de parler. Faites-moi tout ce qu’il vous plaira, battez-moi, assommez-moi de coups, tuez-moi, si vous voulez : il faut que je décharge mon coeur, et qu’en valet fidèle Continuer la lecture de Don Juan – Acte V – Scène II

Le Roman des regards – Critique aisée n° 266

Le Roman des regards
Daniel Pennac-Laurent Mallet
Éditions Philippe Rey – 25€

Moi, je ne suis pas comme Daniel Pennac. Je n’ai pas eu la chance de rencontrer Lorenzo dell’Acqua pour la première fois dans un musée. La première fois que je l’ai vu, c’est dans le cabinet médical qu’il exploitait sous le nom de guerre de Laurent Mallet. Ce médecin avait-il pour habitude de discuter avec tous ses patients d’autre chose que de leurs intérieurs, ou m’avait-il trouvé particulièrement sympathique, on ne sait ; toujours est-il qu’il me demanda ce que je faisais pour m’occuper pendant ma retraite car, depuis quelques temps, celle-ci était devenue évidente. Quand je lui eu expliqué mon cas, il me précisa que cette question le préoccupait beaucoup car lui-même allait bientôt prendre la sienne et se demandait si son hobby de toujours, photographier, suffirait à remplir son futur. Je lui dit que le mien, l’écriture dans les bistrots, y parvenait aisément. Ainsi rassuré, il me laissa repartir sans plus barguiner.

Quelques mois plus tard, Lorenzo me contacta. Sa retraite était prise, et il aurait bien pris aussi un café, une bière Continuer la lecture de Le Roman des regards – Critique aisée n° 266

Carnet d’Écriture (5) – Trois hommes dans un bateau

« Messieurs, j’ai beau ne pas être sujet de Sa Majesté le roi Georges V, je me flatte néanmoins d’être un gentleman. A part le fait que le nom de cette jeune fille n’était pas réellement Tavia, vous n’apprendrez rien de plus de ma bouche de ce qui s’est finalement passé entre elle et moi. »
Puis il se renversa à nouveau dans son siège pour fouiller dans son gilet et en extraire un autre cigare. Quand il l’alluma, je crus voir dans son œil à demi fermé comme une petite lueur d’amusement. Mais ce devait être le reflet de la flamme de l’allumette.

Après la théorie du HQVHQVO passons à la pratique en détaillant par exemple les conditions qui ont prévalu à l’écriture des « Trois premières fois ».

La situation était la suivante : influencé par un recueil de nouvelles de Joseph Conrad que je venais de lire, je décidai d’en écrire une qui mette en œuvre le procédé HQVHQVO. Je choisis donc de faire se rencontrer trois hommes, dont le narrateur, et de leur faire raconter à chacun une histoire sur le même thème. Les trois hommes ne se connaissent pas et vont partir cette nuit sur le même cargo pour un long voyage. Ils se sont rencontrés au bureau de la compagnie maritime pour les Continuer la lecture de Carnet d’Écriture (5) – Trois hommes dans un bateau

NOUVELLES DU FRONT (34) – 14/11/25

LA BÊTISE AU FRONT DE TAUREAU

Nous avons, pour plaire à la brute,
Digne vassale des Démons,
Insulté ce que nous aimons
Et flatté ce qui nous rebute ;
Contristé, servile bourreau,
Le faible qu’à tort on méprise ;
Salué l’énorme bêtise,
La Bêtise au front de taureau

13/11/2025
Nouvelles du Front 

Je ne suis pas très fier de cet article : il est mal construit, pas très bien rédigé et surtout inutile. Mais il est le produit de la colère, produit entièrement naturel sans additif ni édulcorant. Alors je vous le livre tel quel,  au cul du camion. 

Ils l’ont fait, les vendeurs d’illusions. On savait qu’ils le feraient, mais on ne voulait pas y croire. On se disait que non, quand même… Mais ils l’ont fait. Ils ont suspendu la réforme. Ils l’ont fait, et à une forte majorité, en plus ! 

Les plus bêtes, et ils sont nombreux, l’ont fait parce qu’on leur a dit que leurs électeurs n’en voulaient pas de cette réforme et, comme ils se considèrent comme de simples courroies de transmission entre le peuple et l’État, ils l’ont fait. On ne leur a jamais dit que, pour l’honneur ou pour l’avenir, les législateurs, parfois, doivent aller contre la volonté, ou plutôt contre le manque de volonté du peuple et prendre des décisions impopulaires. D’ailleurs, leur aurait-on dit qu’ils ne l’auraient pas compris. Trop bêtes !

Les moins bêtes, mais assez quand même car il y a de la marge, l’ont fait en toute connaissance de cause, par intérêt de parti et/ou par intérêt personnel, parce qu’ils ont compris qu’à court terme, ne pas voter pour Continuer la lecture de NOUVELLES DU FRONT (34) – 14/11/25