Archives de catégorie : Textes

Gisèle ! (3)

(…)tous ces dérapages finirent par ralentir la voiture et, après un ultime balancement encore plus prononcé que les précédents, elle se mit en glissade arrière. Instinctivement, Bernard se retourna à demi sur son siège comme s’il était en train de se garer en créneau, mais il ne savait plus quoi faire de son volant. Alors, il ne fit plus rien et c’est en marche arrière à vitesse de plus en plus faible que la voiture traversa les deux voies de circulation et la bande d’arrêt d’urgence pour venir mourir contre la glissière de sécurité dans un petit craquement sec. C’était le feu arrière gauche qui venait de céder.  

Maintenant, tout était calme. Dehors, le paysage avait cessé de valser et, à part les flocons qui voletaient lentement dans la lumière des phares, tout était immobile. À l’intérieur, de sa belle voix chaude et tranquille, le speaker achevait de désannoncer le morceau précédent : « … avec bien sûr Léonard Bernstein à la baguette. Et maintenant, sans transition, nous allons entendre… » Cœur en folie, muscles tendus, épaules douloureuses, mâchoire crispée, Bernard respirait bruyamment par le nez.  Il n’entendait rien que sa respiration, ne voyait rien que la neige qui s’accumulait sur son pare-brise et ne pensait absolument à rien. C’est sans réaction aucune qu’il regardait grossir au loin sur sa gauche les phares éblouissants de ce qui ne pouvait être qu’un nouveau camion. Le monstre Continuer la lecture de Gisèle ! (3)

Aventure en Afrique (46)

Nous reprenons les camions et arrivons à une faille dans laquelle a été réalisée une piste très pentue. Par sécurité, tous les passagers ont l’ordre de descendre et de poursuivre à pied.
Le massif de l’Aïr s’étend sur environ 300km du nord au sud et 200km d’est en ouest, son altitude moyenne est de 900m avec un sommet à 2022m. Ce massif est un ensemble cristallin et volcanique émergeant du socle ancien. Cela explique Continuer la lecture de Aventure en Afrique (46)

Gisèle ! (2)

(…) mais c’est sûr que j’aurais pas dû. maintenant, elle va me faire la gueule pendant quinze jours… je vais encore aller coucher dans le salon… ou alors, elle va partir une semaine à la Croix-Rousse, chez Françoise, cette garce ! c’est sûr que je n’aurais pas dû… bon sang, il neige de plus en plus…

Le moteur ronronnait calmement. Bernard observait les flocons qui se collaient sur le pare-brise. Ils glissaient lentement vers le haut de la vitre avant d’être rattrapés et chassés vers l’extérieur par les essuie-glace. De temps en temps, un flocon plus rapide parvenait à échapper aux balais. Il restait un instant avec quelques autres, bloqué par le rebord du pare-brise et puis, d’un coup, il disparaissait dans l’obscurité, emporté par le vent de la course. Instinctivement, Bernard jetait un coup d’œil dans le rétroviseur pour tenter de suivre sa fuite.

pauvre petit flocon, je me demande ce qu’il devient, tout seul, dans le noir…

Sa petite réflexion le fit sourire, mais quand il quitta le rétroviseur des yeux pour revenir à la route, il eut un haut le corps : Continuer la lecture de Gisèle ! (2)

Gisèle ! (1)

La neige est apparue à la sortie du dernier tunnel avant Chambéry. En une fraction de seconde, la voiture est passée de la lumière jaunâtre du souterrain à celle, éblouissante, des phares. Des millions de flocons qui flottaient doucement dans la nuit se transformaient en un rideau blanc tacheté de noir à l’apparence infranchissable. Au moment où il sortait du tunnel, Bernard est passé en feux de croisement et l’éblouissement a disparu. C’étaient maintenant des centaines de petites fleurs blanches qui s’écrasaient à chaque instant sur le pare-brise, aussitôt balayées par le ballet des essuie-glaces.

…ah, la barbe ! la neige ! …manquait plus que ça ! d’abord la séance avec Gisèle… ensuite l’accident dans le tunnel de Fourvières et maintenant, la neige… bon sang de bon sang ! j’y arriverai jamais …

Deux jours plus tôt, quand il avait appelé l’Hotel Politecnico à Turin, on lui avait dit qu’on ne pourrait lui garder sa chambre que jusqu’à 20 heures. « Nous sommes désolés, signore Ratinet, ma siamo en pleine mostra dell’automobile, no ?allora, capisci signore… ». Il avait juré qu’il serait à Turin avant 20 heures et on avait pris sa réservation « ma, solamente perche sei un buon cliente, signore Ratinet… » Et maintenant, il était presque huit heures, et il n’était même pas à Chambéry ! Il lui faudrait encore au moins deux heures et demi pour arriver à Turin et, avec ce temps, peut-être trois.
Bernard tâtonna pour trouver son téléphone sur le siège passager et, tout en surveillant la route d’un œil, il composa le numéro du Politecnico.
« Oui, bonsoir. Bernard Ratinet à l’appareil. Écoutez, j’ai une réservation pour ce soir jusqu’à huit heures, mais j’ai eu un petit ennui sur la route. Je pense arriver vers 9h30. Vous êtes gentils de me garder ma chambre, d’accord ? »
Contrairement à ce qu’il craignait, ça ne semblait pas poser de problème. Il se dit qu’il serait toujours temps Continuer la lecture de Gisèle ! (1)

Rendez-vous à cinq heures en auto-stop

la page de 16h47 est ouverte…

Bernard Schaefer a beaucoup pratiqué l’auto-stop. Il nous fait part de quelques unes de ses expériences. En voici une entre Paris et Le Mans.

 Un avocat au Mans

Une autre occasion de faire du stop fut de rejoindre femme et enfants sur la côte vendéenne où je les avais conduits en voiture une semaine auparavant. Je prépare mon itinéraire. Je quitterai l’agglomération parisienne en fin d’après- midi, espérerai atteindre Le Mans avant la nuit, dormirai dans cette ville, de là selon les possibilités, en une journée, je passerai par Angers, Cholet, Continuer la lecture de Rendez-vous à cinq heures en auto-stop

Histoire de Dashiell Stiller – Critique aisée n°264 (3/3)

(suite de l’autocritique malaisée d’Histoire de Dashiell Stiller)

(…) Les deux derniers chapitres, Mattias Engen et Dashiell Stiller, les plus longs du roman, dégagés qu’ils étaient de la tragédie de Samuel et de la langue de bois de Cambremer, ont été sinon faciles, du moins agréables à écrire. Le moins agréable n’étant pas de ne pas connaitre le dénouement des amours d’Isabelle et Dashiell une demi-heure avant de l’écrire enfin.

Je viens de vous présenter sans vergogne ni pudeur la plupart des secrets de l’écriture de l’Histoire de Dashiell Stiller. A présent, sans aucune modestie et en toute sincérité, je vais me livrer coram populo et sans filet à l’exercice littéraire le plus difficile et le plus dangereux qui soit : faire la critique du roman que l’on vient d’écrire.

Critiquer le roman d’un autre est un plaisir dont je ne me suis pas souvent privé. Continuer la lecture de Histoire de Dashiell Stiller – Critique aisée n°264 (3/3)

Histoire de Dashiell Stiller – Critique aisée n°264 (2/3)

(suite de l’autocritique malaisée d’Histoire de Dashiell Stiller)

(…) Et puis bien sûr, il y a Le Cujas. Aujourd’hui, le Cujas, c’est l’Histoire de Dashiell Stiller, mon premier vrai roman, le texte qui justifie sous forme de critique aisée mon intervention d’aujourd’hui. Je ne le répèterai jamais assez : je l’ai lu et relu, et j’ai aimé ce que j’ai lu.

Comment l’idée du Cujas m’est venue, je l’ai dit cent fois à qui voulait l’entendre : la vieille dame joyeuse à Aurillac, la carte-postale bihebdomadaire à la maison de retraite et, un jour, celle qui m’arrête au moment de la mettre à la boite : Étudiants à la terrasse d’un café du boulevard Saint-Michel à Paris, vers 1935.  © Albert Harlingue/Roger-Viollet. Huit personnages sur la photo, le Quartier Latin, quatre ans avant la seconde guerre mondiale… Qu’est-ce qui peut bien lier ces gens en ce jour de 1935 ? Comment vont-ils traverser la guerre ? Vont-ils seulement en réchapper ? Et Continuer la lecture de Histoire de Dashiell Stiller – Critique aisée n°264 (2/3)

Rendez-vous à cinq heures avec une réponse

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Parce que le roman
par Philippe

Cette chronique est censée répondre à celle que Lorenzo a signée hier dans le JdC

Elle est intéressante cette étude sur les différences qui existent entre le roman et la réalité, ou plutôt entre les comportements humains romanesques et les comportements  réels. Bien que je sois en désaccord avec elle sur presque tous les points, elle est intéressante, argumentée. On peut regretter cependant qu’à la fin du texte ainsi que dans l’addendum, l’auteur n’ait pas su s’empêcher d’enfourcher une fois de plus sa monture favorite, sorte de mulet increvable né de la fusion improbable de personnages réels et de leurs images fantasmées sous la plume d’un auteur en verve. Mais passons.

Donc, selon la théorie Continuer la lecture de Rendez-vous à cinq heures avec une réponse

Histoire de Dashiell Stiller – Critique aisée n°264 (1/3)

Histoire de Dashiell Stiller
Philippe Coutheillas, 2023
Amazon, 419 pages, 12€

 Il m’arrive parfois de quitter le second degré ; il m’arrive aussi de quitter nuance, réserve et modestie et généralement, ça se produit en même temps. En voici la preuve :
J’ai relu Histoire de Dashiell Stiller. Il le fallait : c’était nécessaire pour les corrections d’épreuves avant publication. Mais c’est aussi par goût que je l’ai fait et, comme je le disais l’autre jour dans une critique plus lapidaire parue fin août dernier : j’ai aimé ce que j’ai lu.

Oui, j’ai aimé. Cela vous surprend, n’est-ce pas, de lire ici ce genre d’aveu ? Ce sont des choses qui ne se font pas : c’est fichtrement casse-gueule, c’est un faux-pas, une faute de goût, et, pire, c’est une erreur.
Eh bien, c’est peut-être une erreur, mais Continuer la lecture de Histoire de Dashiell Stiller – Critique aisée n°264 (1/3)

Rendez-vous à cinq heures avec une question

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Mais pourquoi le roman ?
par Lorenzo dell’Acqua

Il y a quelque chose de faux dans la plus belle expression dont soit capable l’être humain, à savoir la littérature, poèmes ou romans ou autres. Faux, parce que jamais l’homme ne fonctionne de façon huilée, policée, cohérente, comme se doit de fonctionner un bon roman. L’homme fonctionne par « images » ou « impressions » successives, chacune en appelant une autre sans qu’il soit capable de dire comment et pourquoi il en est arrivé à la dernière, la seule qui compte pour lui, celle qu’il va assumer, adopter et à laquelle il va croire dur comme fer.

Mais comment en est-il arrivé à penser une chose pareille ? Lui-même ne se le demande jamais. Le roman est exactement l’inverse : il doit être cohérent et Continuer la lecture de Rendez-vous à cinq heures avec une question