Rendez-vous à cinq heures en auto-stop

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Bernard Schaefer a beaucoup pratiqué l’auto-stop. Il nous fait part de quelques unes de ses expériences. En voici une entre Paris et Le Mans.

 Un avocat au Mans

Une autre occasion de faire du stop fut de rejoindre femme et enfants sur la côte vendéenne où je les avais conduits en voiture une semaine auparavant. Je prépare mon itinéraire. Je quitterai l’agglomération parisienne en fin d’après- midi, espérerai atteindre Le Mans avant la nuit, dormirai dans cette ville, de là selon les possibilités, en une journée, je passerai par Angers, Cholet, La Roche- sur-Yon pour arriver enfin à La Tranche-sur-Mer. Je prépare tout de suite une série de pancartes, à partir de chemises cartonnées ; j’emporte aussi un feutre pour adapter le nom des étapes suivantes.

Et me voici à la Porte de Saint-Cloud à présenter ma pancarte «Le Mans» aux automobilistes qui se dirigent vers l’autoroute de l’Ouest ; je n’ai comme bagage qu’une petite sacoche. Une Mini Cooper s’arrête et me fait monter. Ça n’a pas duré longtemps. A peine échangées quelques civilités, voici que l’automobiliste a manifestement envie de parler. Il a besoin de compagnie pour calmer une éventuelle fatigue, me dis-je. Mais non. Il m’explique assez longuement et avec un peu d’emphase qu’il est avocat, qu’il se rend au Mans pour intervenir le lendemain dans un procès d’assises et y assurer la défense d’un Tunisien accusé de viol. Et il me raconte tous les détails. L’homme en question est un jeune et honnête travailleur qui a obtenu un permis de séjour ; il n’y a eu jusqu‘à présent aucun reproche à lui faire. Seul en France, il a cherché à se faire des connaissances. C’est ainsi qu’un jour à la terrasse d’un café il a engagé la conversation avec une femme attablée à côté de lui. Elle a accepté de dialoguer avec lui. Ils furent convenus de se revoir chez elle puis chez lui. Il a considéré que c’était un consentement à une relation intime, mais qui a terminé en viol, par malentendu. Il ne pouvait savoir, en comparaison avec son pays d’origine, qu’une femme française fait la différence entre relation amicale et relation intime. Tout ce développement de la part de l’avocat se termine alors par : «Si vous étiez juré quelle peine infligeriez-vous à ce monsieur». Je me rendis compte qu’il préparait sa plaidoirie du lendemain et la testait sur moi.

«Il risque quelle peine ?» lui ai-je demandé. Je crois me souvenir que sa réponse fut :«De cinq à dix ans». J’ai essayé de jouer le jeu, si jeu il y a, et j’ai exploré plusieurs arguments dans ma tête. Faire de la prison ne lui apporterait rien, au contraire ; en revanche le viol est inqualifiable et insupportable. J’en arrive à conclure : le maximum, mais tout avec sursis. «Vous pensez ? me dit- il et ajouta que le sursis total n’était pas envisageable car la condamnation devait comporter une durée de prison ferme égale au moins au temps qu’il avait déjà passé en préventive. Je ne sais si cet exercice fut bénéfique à cet avocat, encore moins quel fut le résultat de ce procès. Mais je bénéficiai ce jour-là d’un petit exercice pratique de droit criminel, grâce à l’autostop.

B. S

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