Histoire de Dashiell Stiller – Critique aisée n°264 (1/3)

Histoire de Dashiell Stiller
Philippe Coutheillas, 2023
Amazon, 419 pages, 12€

 Il m’arrive parfois de quitter le second degré ; il m’arrive aussi de quitter nuance, réserve et modestie et généralement, ça se produit en même temps. En voici la preuve :
J’ai relu Histoire de Dashiell Stiller. Il le fallait : c’était nécessaire pour les corrections d’épreuves avant publication. Mais c’est aussi par goût que je l’ai fait et, comme je le disais l’autre jour dans une critique plus lapidaire parue fin août dernier : j’ai aimé ce que j’ai lu.

Oui, j’ai aimé. Cela vous surprend, n’est-ce pas, de lire ici ce genre d’aveu ? Ce sont des choses qui ne se font pas : c’est fichtrement casse-gueule, c’est un faux-pas, une faute de goût, et, pire, c’est une erreur.
Eh bien, c’est peut-être une erreur, mais c’est comme ça. L’âge venant, l’envie vous prend de plus en plus souvent d’être franc. Et puis, faire l’élégant, le modeste, le nonchalant, le détaché, ça finit par vous définir : les gens pensent que vous ne croyez pas à ce que vous faites ; alors comment pourraient-ils y croire eux-mêmes ? Alors, pour aujourd’hui, je vais quitter nuance, réserve et modestie.

Beaucoup de mes textes publiés dans le Journal des Coutheillas ont été écrits avec plaisir, avec facilité, presque en souriant, et parfois même, à l’occasion, en riant. Ces textes-là, souvent, ont été appréciés par mes quelques lecteurs ; ils étaient rigolos ou acides, parfois méchants. Pourtant, moi qui les ai écrits, je n’y attache que peu de prix. Ce sont des textes dans lesquels je me suis peu ou pas impliqué, des textes dans lesquels, disons-le, j’ai fait le malin. C’est sans doute pour cette raison qu’ils ont été relativement faciles à écrire. Aujourd’hui, la seule valeur que je leur accorde, c’est ma plus ou moins grande réussite à respecter les contraintes techniques que je m’étais imposées : le pastiche, la concision, un langage parlé, un style soutenu, un paradoxe, l’absurde… Les exemples de ce type de texte, c’est Blind dinner, La Mitro, Sassi Manoon et les Texas Rangers, la deuxième des Trois premières fois

Au contraire, certains textes m’ont couté beaucoup d’efforts. Parmi eux, il y a ceux dans lequel je m’étais imprudemment embarqué sans route tracée et ni précautions prises. J’aime ces textes, du moins certains de leurs passages, mais j’ai dû finir par les abandonner en cours de route pour pouvoir passer à autre chose. Les deux principaux textes que je n’ai jamais pu terminer sont La Machine d’Anticythère, épopée trop ambitieuse, Un couple inachevé, comédie dramatique bourgeoise, provinciale et sans énergie.

Et puis, parmi les textes qui ont été difficiles à écrire, il y a ceux que j’ai achevés, que j’aime et dont je suis fier. Oui, fier. Ces textes-là sont rarement drôles. Il n’y a aucun humour, aucune ironie, pratiquement pas de distance. Ils peuvent être très personnels ou pas du tout, il n’y a pas de règle. Ils m’ont demandé du temps, des efforts. Ils ont exigé de longues périodes d’arrêt, que j’ai souvent crues définitives. Et puis, un jour, sur une idée, plus rarement sur une volonté, c’est reparti et c’est allé jusqu’au bout.

Parmi ces textes, ceux qui me viennent tout de suite à l’esprit, il y a cette Histoire de Noël. Dans Histoire de Noël, je crois avoir réussi à mener le suspense jusqu’au dernier quart d’heure en respectant les règles du genre : l’innocence de la victime, l’espoir, la nuit, les éléments contraires, l’angoisse, la peur, la terreur, la mort et finalement la réalité. Il y a aussi les Trois premières fois, du moins la première et la troisième, la deuxième “première fois“ — ceux qui ont lu comprendront — étant du domaine plus classique du pastiche d’humour anglais dont j’ai parlé plus haut. Dans la première de ces “premières fois“, je suis content d’avoir, je crois, réussi à faire passer de véritables émotions de jeunesse tout en respectant les codes d’une littérature composée d’un grand tiers d’eau-de-rose-germano-romantique, d’un petit tiers de scoutisme-dans-les-alpages, et d’un dernier tiers de rat-des-villes-et-rat-des-champs. L’écrire n’a pas été facile, mais très rafraîchissant. Écrire la troisième “première fois“ fut plus difficile encore, épuisant même. Ici, pas de pastiche, sinon involontaire, d’un style ou d’une époque, rien que de l’original. Dans les textes que j’aime, il y a aussi Wetbacks, plus court, à la limite du pastiche de la Série Noire californienne, dont j’aime la densité de l’action et l’angoisse montante du narrateur pendant son parcours en autobus.

Et puis bien sûr, il y a Le Cujas. Aujourd’hui, le Cujas, c’est l’Histoire de Dashiell Stiller, mon premier vrai roman, le texte qui justifie sous forme de « Critique aisée » mon intervention d’aujourd’hui. Je ne le répèterai jamais assez : je l’ai lu et relu, et j’ai aimé ce que j’ai lu.

A SUIVRE (demain)

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