Archives par mot-clé : Philippe

Wetbacks in L.A.

Ce texte a déjà été publié ici à deux reprises, en 2016 et en 2020. A présent que l’Agent Orange de la Maison Blanche  a décidé d’envoyer la troupe à Los Angeles pour en expulser les immigrés, je crois qu’il est temps de le publier à nouveau. 

Wetbacks

Je suis à Lynwood, dans South Central, pas loin du croisement d’Atlantic et d’Olanda, je recouvre de papier Alu les plateaux de haricots qui n’ont pas été mangés à l’anniversaire d’un petit gamin, lorsqu’on m’annonce qu’il faut que je rentre à la maison plus tôt que prévu, et probable que je ne reviendrai pas demain. [*]

C’est Rubio lui-même qui vient de me dire ça, et il a l’air sacrément ennuyé.
Pourtant, je peux pas m’en aller maintenant. Tous les autres sont déjà partis et y a encore plein de trucs à ranger avant de fermer. C’est peut-être pour ça qu’il a l’air embêté, Rubio.
Qu’est-ce qui se passe ? Il y a eu un accident ? Y a les flics chez moi ? Non, non, il sait pas, Rubio, il a juste reçu un coup de fil de son cousin. Il faut que je rentre tout de suite, et c’est pas sûr que je puisse revenir demain. Il n’en sait pas plus. Il est désolé.

— Bon sang, Rubio… ?
— M’emmerde pas, Rafael, c’est pas le moment, tu ferais mieux de partir maintenant ! Allez, fous-moi le camp ! Ce soir, c’est moi qui fermerai la boutique.

Il est plutôt gentil d’habitude, Rubio. Rubio, c’est mon patron. C’est le propriétaire du Continuer la lecture de Wetbacks in L.A.

Homéotéleute et Polyptote (5)

Résumé de ce qui précède:

Homéotéleute est prince héritier du royaume d’Antanaclase et bâtard de Zeus. Il vient de rencontrer Polyptote, Zeugmienne de basse extraction. Le Chœur Antique était, comme c’est l’usage, en train de se lamenter sur le destin tragique qui attend les deux jeunes gens, quand Homère a demandé qu’on lui cède la parole pour apporter à la situation quelques précisions indispensables. C’est chose faite : il a la parole. Soyez attentifs, car c’est plutôt compliqué.

Le Poète (avec hésitation)

Merci, le Chœur !

Et maintenant, raconterai-je comment le jeune prince d’Antanaclase, royaume des grasses hypallages et des hypotyposes rebondies, fut conçu dans un déchainement de passion animale et exotique ? Dirai-je les souffrances de la Reine et les joies injustifiées du Roi lors de la délivrance du divin rejeton ? Chanterai-je la douceur de l’enfance d’Homéotéleute à la lourde tête et au long col ? Non, car tout cela est déjà accompli.

Je dirai plutôt la malédiction qu’Héra la Mortifiée a fait tomber sur le pauvre prince en se penchant sur son berceau à l’insu de son véritable géniteur, qui déjà était retourné aux affaires courantes, c’est à dire à la séduction de quelque mortelle naïve et flattée. Car c’est elle bien sûr qui l’avait équipé de ce cou gracile et allongé en référence ironique à l’aspect que son divin mais infernal époux avait pris pour pousser la chansonnette à la reine d’Antanaclase. C’est elle aussi qui l’avait surmonté, ce cou ridicule, d’une tête démesurée en référence à l’orgueil du même métal du patron de l’Olympe. Non contente de cette double disgrâce, elle avait jeté sur le destin d’Homéotéleute le Mal Fichu une terrible malédiction qu’elle aimait bien résumer ainsi : Continuer la lecture de Homéotéleute et Polyptote (5)

Go West ! (92)

(…) Je ne sais pas ce qui m’a poussé à le faire, peut-être le fait qu’elle ait dit Philippe au lieu de Phil ou de petit homme, peut-être la chaleur du baiser que nous avions partagé un peu plus tôt, mais je l’ai fait.  Dans un mouvement très souple et très naturel, comme dans un film, j’ai passé mon bras gauche derrière sa nuque, je me suis penché vers elle et je l’ai embrassée. Tout d’abord, elle est restée sans réaction ; elle se laissait faire. Alors j’y ai mis un peu plus de passion, en même temps que je passai ma main sous sa chemise. C’est à cet instant que j’ai reçu un grand coup de son coude droit dans les côtes.
— Petit con ! Décidément, tu n’as rien compris !

C’est de cette façon lamentable que se terminèrent les trois jours les plus extraordinaires que j’aie jamais vécus : insulté, humilié, planté là sur le bord de la route, je regardais une petite voiture traverser en bondissant le terre-plein central pour rejoindre la chaussée qui retournait vers la ville.

Lorsque ses feux eurent disparu, je demeurai un moment immobile, puis je fis machinalement trois pas dans la direction de Las Vegas Continuer la lecture de Go West ! (92)

Homéotéleute et Polyptote (4)

Résumé du premier acte :

Homéotéleute est le prince héritier du royaume d’Antanaclase, mais pas que. Il est aussi le (n+1) ème bâtard de Zeus, qui l’a conçu avec l’épouse du roi d’Antanaclase. Il vient de quitter son ile pour Athènes afin d’y suivre un cycle de Sémantique Sportive de Haut Niveau. Au sortir d’un cours, il rencontre la très-très jolie Polyptote, une jeune Zeugmienne de basse extraction. Ça sent le coup de foudre et l’inévitable Récitant s’est extasié sur l’heureux hasard qui a présidé à cette rencontre : « Leur rencontre devait tout au hasard, et rien ne les prédestinait à se trouver en ce lieu, en cet instant et, surtout, libres de toute attache. »

Acte II

Le décor est maintenant entièrement couleur fushia, sauf le banc (en marbre de Thassos) et le cognassier du Péloponnèse.

Le Chœur Antique

— « Leur rencontre devait tout au hasard » ? Hé, ho, le Récitant ! Vous rigolez ou quoi ? Avec des prénoms pareils ! Avec des parents comme ça ! « Rien ne les prédestinait… » ? Non, mais, nous rêvons ! 

Et, selon vous, qui a poussé Polyptote à s’inscrire Continuer la lecture de Homéotéleute et Polyptote (4)

La trottinette, dangereuse aussi à l’arrêt

Avant-hier,  un incendie a causé la mort de plusieurs personnes dans un immeuble de Reims. Il avait pris naissance dans une trottinette électrique.
Il y a à peine plus d’un an, je publiai un texte qui rapportait un incident dont je venais d’être le témoin : l’incendie spontané d’une trottinette électrique dans un wagon de métro. Incendie impressionnant, flammes violentes de deux mètres de hauteur, fumées agressives, impossible à éteindre. Je publie à nouveau ce texte sans grand intérêt afin d’attirer votre attention sur ces engins, encore plus dangereux à l’arrêt qu’en circulation. Ne sous-estimez pas le danger d’incendie que présentent leurs batteries.

*

Ce matin, par extraordinaire, j’ai pris le métro. J’ai descendu le Boulevard Saint Michel jusqu’à la station Cluny, j’ai rechargé mon Continuer la lecture de La trottinette, dangereuse aussi à l’arrêt

Homeotéleute et Polyptote (3)

Résumé de ce qui s’est passé avant :

Polyptote est une très très jolie Zeugmienne de basse extraction. Elle est à Athènes pour suivre les cours de Solipsisme Perspicace de Doryphore d’Alexandrie. Pour le moment, elle se repose sur un petit banc en marbre de Thassos. C’est le Récitant qui parle. 

Homéotéleute sortait de son stage de Sémantique Sportive de Haut Niveau. La tête encore encombrée d’acrostiches, d’acronymes et d’acrotères, il regardait ses sandales et ne voyait rien d’autre autour de lui. C’était d’ailleurs une habitude chez ce jeune homme que de marcher la tête basse, ce qui lui valait très régulièrement des bosses sur le front et des coups de soleil sur la nuque, mais il ne pouvait faire autrement. Et voici pourquoi :

Homéotéleute était le fruit des amours illégitimes de Zeus, Assembleur des Nuées, et d’une simple mortelle, Polysémie aux Belles Cuisses, épouse d’Epiclèse, roi d’Antanaclase. Afin de pouvoir approcher la reine qu’il convoitait, le Cronide avait choisi de prendre l’apparence d’une girafe, déguisement qui le tentait depuis longtemps mais qui se révéla finalement peu commode pour embrasser la dame. Quand tout fut consommé, Zeus à la Voix Puissante se fit connaitre et ordonna à la reine Continuer la lecture de Homeotéleute et Polyptote (3)

Go West ! ( 91)

(…) Sur le coup, ça me fait plaisir que Mansi ait voulu me rendre service. Ça prouve bien qu’elle m’aime un petit peu !
— Merci, c’est gentil de la part de Mansi de…
— Ne te fais pas d’illusions. Elle veut surtout être sûre que tu ne vas pas revenir traîner dans le coin. Avec tes réactions de lycéen, on ne sait jamais. Elle m’a même demandé de te surveiller jusqu’à ce que quelqu’un t’ait pris en voiture ! Alors, tu vois…

Et paf ! Encore un coup à l’amour propre. En silence, je croise les bras et me rencogne contre la portière.
— Écoute, petit homme. Non, excuse-moi : écoute, Philippe…
Ça me fait du bien d’entendre mon prénom, prononcé en entier, plutôt gentiment.
— Écoute, Philippe. Tu prends tout ça trop au sérieux. Je te comprends, remarque. J’ai un petit cousin comme toi, Matt. Il est gentil, Matt, dix-huit ans, bien élevé, timide, maladroit. En septembre, il va rentrer à l’université, à Davis. Je le connais bien, Matt. Tu me fais un peu penser à lui.
— Un gentil crétin, quoi !
— Mais non, pas du tout ! Je l’aime bien, Matt, simplement, il n’est pas comme nous, je veux dire pas comme Mansi, comme Bob, ou comme moi. Quand je t’ai observé l’autre soir, installé comme tu l’étais chez Mansi, je l’ai tout de suite imaginé à ta place. Débarquer d’un seul coup dans un milieu totalement différent de celui dans lequel on a toujours vécu, ça ne doit pas être facile. Moi, je n’aurais jamais amené Matt dans une soirée comme ça, et s’il avait été là quand même, je l’aurais surveillé, je l’aurai protégé. Pendant un moment, j’ai bien failli le faire pour toi. Mais quand j’ai vu que tu t’entendais si bien avec Brenda… Continuer la lecture de Go West ! ( 91)

Homéotéleute et Polyptote (2)

Résumé du début du premier acte :

En commençant ici votre lecture, vous avez raté la liste des personnages et des interprètes. Vous avez également manqué les trois coups et le lever de rideau sur le somptueux décor. Ce n’est pas bien d’arriver en retard au théâtre. Ca dérange tout le monde.
Le type au milieu, là, c’est le récitant. Il a demandé que l’on fasse silence et il vient de commencer son histoire. 

…Retenez vos larmes, étouffez vos cris, car il n’y a que dans le silence et le recueillement que l’on peut entendre une telle tragédie. Je commence…

C’est au pied du mont Lycabette, la colline aux loups féroces, qu’ils se rencontrèrent pour la première fois. Elle s’appelait Polyptote et lui, Homéotéleute. Elle venait de Zeugma, petite ile de la mer Métaphorique aux mille naufrages, et lui, des grandes plaines d’Antanaclase, riches en hypallages et en hypotyposes.

Polyptote était arrivée à Continuer la lecture de Homéotéleute et Polyptote (2)

Homéotéleute et Polyptote (1)

Ceci est une reprise du succès de la saison théâtrale de l’année 2016

Tragédie en quatre ou cinq actes (au choix)

A Sophocle, Eschyle et Giraudoux

Personnages

Épiclèse                      roi d’Antanaclase (M. Jean-Paul Belmondo)
Polysémie                   épouse d’Epiclèse (Mme Shirley McLaine)
Homéotéleute            fils d’Epiclèse (M. Gérard Jugnot)
Polyptote                   jeune Zeugmienne (Mlle Brigitte Bardot)
Le Récitant                récitant (M. Louis Jouvet)
Le Chœur Antique   vieille chorale (M. Michel Fugain et le Big Bazar)
Homère                      poète (M. Michel Simon)
Héra                           déesse (Mme Régine)
Aphrodite                  déesse (Mlle Sharon Stone)
Charybde                  pauvre pêcheur (M.Michel Colucci)
Scylla                         pauvre pécheresse (En alternance Mmes Jeanne et Yolande Moreau)
Villageois, invités, gardes, servantes, attaché consulaire, chevaux, raton laveur… Continuer la lecture de Homéotéleute et Polyptote (1)

Le Vialatte est-il inné ou acquis ?

Malgré mes fréquents rappels, on a que trop tendance à oublier Vialatte, produit garanti auvergnat, chroniqueur du Tour de France, traducteur de Kafka, puriste de la langue française,  virtuose de l’absurde et, comme il le disait lui-même, écrivain notoirement méconnu…
Alors, je vous livre à nouveau mon essai sur le style d’Alexandre. Comme l’éléphant, il est irréfutable. 

*

L’autre soir à diner, ma charmante voisine de table me disait qu’elle aimait bien lire de temps en temps les petites histoires que je publie dans le Journal de Coutheillas. Laissant les autres dîneurs discuter de problèmes ardus de mécanique présidentielle, à savoir du scooter de Monsieur Hollande et du dictaphone de Monsieur Buisson, nous avons parlé longtemps de la forme et du contenu du JdC. C’est dire si, pour moi, ce fut une bonne soirée.
Mon enthousiaste convive émit cependant une interrogation sur le sens, et peut-être même un doute sur l’opportunité de l’exergue permanent qui figure sous le titre du Journal: « L’éléphant est irréfutable« .
Dans l’instant et les brumes du Haut-Médoc, je n’ai pas su lui donner de réponse satisfaisante, ou plutôt de réponse qui me satisfasse.
Mais à présent, muni de mon meilleur esprit d’escalier, je vais lui en donner, moi, des explications.

L’éléphant est irréfutable
Ces quelques mots constituent le plus bel aphorisme que je connaisse. Mais ils ne sont  pas que cela : ils forment à eux quatre toute une philosophie, une ligne de conduite, un sésame, une maxime, une devise qui, si ma famille en avait, devrait figurer sur ses armes.

Développons.
L’éléphant est irréfutable

—Mais d’abord, grand-père, que veut donc dire « irréfutable »? Continuer la lecture de Le Vialatte est-il inné ou acquis ?