Go West ! (72)

(…) Deux minutes plus tard, je trouvai mon sac, ma veste et mes chaussures sagement rangés dans l’un des placards de la cuisine. Mais dans ma fouille, j’avais aussi trouvé dans un autre placard, suspendus sur des cintres en fil de fer et recouverts de housses en papier, des vêtements d’homme, jeans, pantalons, t-shirts et chemises, civils et militaires. Alors ? Mort ou pas mort, Bo ? Il faudrait qu’on parle, Mansi et moi.

On en parlerait, Mansi et moi, mais pas tout de suite. Pour le moment, il fallait que je la réveille doucement, gentiment, pour me faire pardonner, pour lui expliquer, doucement, gentiment, que mon geste d’hier soir, c’était… ce n’était pas … Je me mis à genoux à côté du canapé et, de ma main valide, je commençai à caresser sa joue, doucement, gentiment, chastement. Elle s’est réveillée tout de suite, sans hésitation, sans sursaut, les yeux grand ouverts, souriante. C’était à se demander si elle n’avait pas fait semblant de dormir, comme pour provoquer mon geste.
— Embrasse-moi, a-t-elle dit de ce ton neutre qu’elle affectionnait.
— Écoute, Mansi, je voulais te dire… hier soir… ce n’était pas…
— Embrasse-moi.
Ce n’était pas une injonction, encore moins une supplication. C’était dit comme si elle me demandait de lui passer le sel ou d’ouvrir la fenêtre. Mais j’ai pris ça comme si c’était une condition pour que je puisse rester encore un peu chez elle. Alors, je me suis penché sur elle et je l’ai embrassée, longtemps, du mieux que j’ai pu. Et puis je dois dire que ça me plaisait de plus en plus, de l’embrasser.

Après, on a fait frire des œufs et du bacon et on Continuer la lecture de Go West ! (72)

La petite fille derrière la vitre

Première parution le 6/06/2017

Je l’ai vue la petite fille derrière la vitre, le nez écrasé contre le verre, les yeux dans le vague.

Quelque chose s’est réveillé en moi, un souvenir, une évidence venue de très loin. Comme elle, j’avais rêvé autrefois, comme elle peut-être, guettant par la fenêtre donnant sur la ville, j’avais cru que je pourrais me construire la vie que je voulais.

Des dizaines d’années plus tard, cette petite fille est toujours là, bien cachée au fond de moi, ne surgissant plus que lorsque l’émotion m’attrape, lorsqu’un enthousiasme surgit, lorsqu’un besoin de liberté m’assaille.

J’ai souri à la petite fille, le cœur empli de tendresse. Alors, elle m’a tiré une langue rose et pointue et je me suis dit que, décidément, rien n’était plus comme avant…

SASSI MANOON ET LES TEXAS RANGERS (Extrait)

(…) Un beau matin, deux hommes en uniforme parurent à la porte du dispensaire : un gros rouquin du nom de Bill Crawley, et un petit brun moustachu qui s’appelait Ive Krupckie.
« Hi, Ma Sœur, dit Bill. Belle journée qui s’annonce, pas vrai ? »
La sœur resta un instant stupéfaite car aucun homme en uniforme ne s’était jamais présenté au dispensaire et, plus généralement, aucun homme blanc n’avait jamais été vu sur l’ile, a fortiori au dispensaire. Néanmoins, elle se ressaisit pour répondre :
« Bonjour Messieurs les soldats, et que Dieu vous protège.
— Bill et moi, on est des Rangers du Texas. On est comme qui dirait à la recherche de chasseurs d’alligators, des sacrés fils de pute, pardon Ma Sœur, mais y a pas d’autre mot, des sacrés fils de pute qui chassent la nuit au fusil et même à la dynamite. Pas vrai, Bill ?
— Pour sûr, Ive !
— Alors on remonte la Sabine depuis une semaine à la recherche d’un bateau qu’on nous a signalé et qui pourrait bien être celui de ces salopards qui se foutent de la loi comme de leur première vérole. S’cusez, Ma Sœur, ça m’a échappé. C’est un foutu gros dinghy tout noir. Mille pardons, Continuer la lecture de SASSI MANOON ET LES TEXAS RANGERS (Extrait)

BLANDIN PREND L’AUTOBUS (Extrait)

Ce matin, j’ai croisé Blandin. Ça m’a fichu un coup !
Il ne devait pas être loin de neuf heures et je descendais tranquillement la rue Monsieur-le-Prince, le nez en l’air et l’esprit préoccupé du seul souci du temps qu’il ferait tout à l’heure, car le bulletin météorologique avait annoncé des averses passagères et j’avais oublié mon parapluie.
C’est au moment où je débouchais dans le carrefour de l’Odéon que je le vis. Je m’arrêtai net au bord du trottoir et me dissimulai à demi derrière la masse jaune d’une grosse boîte à lettres des P.T.T. car je ne tenais pas à le rencontrer. On verra pourquoi tout à l’heure.

Blandin était sur la chaussée, au beau milieu de ce carrefour qui, certes, est petit par la taille, mais réputé dangereux par la complexité des flux circulatoires qui s’y affrontent. L’homme dansait sur le bitume une sorte de samba syncopée, sautillant sans élégance pour éviter autos, vélos, trottinettes et camionnettes qui se succédaient en flot continu. De la direction générale qu’il donnait à ses petits pas, je déduisis que, venant de la rue des Quatre -Vents, il tentait vainement de rejoindre le Boulevard Saint-Germain.  Soudain, un brusque saut de côté suivi d’une demi-Véronique et de deux grands pas en avant lui permirent d’atteindre le petit terre-plein triangulaire qui sépare la rue de Condé de la rue de l’Odéon. Désormais en sécurité, Blandin reprenait son souffle tout en fixant d’un air désespéré Continuer la lecture de BLANDIN PREND L’AUTOBUS (Extrait)

Parlons de Donald Trump

par Jim
Depuis Mardi, Donald Trump signe à tour de bras des décrets tous plus vengeurs, contestables, ridicules, les uns que les autres, mais tous déclinés haut et fort, ad nauseam, durant sa campagne électorale. Donc, rien à redire, Donald Trump a été démocratiquement élu, et même «bien» élu, sur la base d’un programme annoncé compris du peuple, en tout cas de la majorité qui l’a élu.

Peu importe maintenant, la cause est entendue, mais nous savons depuis toujours deux ou trois choses de Donald Trump : il ne sait rien de l’histoire, il n’a aucune connaissance de la géographie et son vocabulaire se limite à peu de mots. Un exemple illustre ces trois méconnaissances : le mot « golf », Continuer la lecture de Parlons de Donald Trump

Go West ! (71)

« (…) Mais quand il est revenu, il avait pris du grade et il a été affecté à Fort Irwin, tout près d’ici. Au bout d’un an, il a emprunté pour acheter une maison, cette maison. Pendant des mois, on a passé nos week-ends à la réparer, la repeindre, à la meubler. De temps en temps, des amis venaient nous aider. Alors, on leur organisait un barbecue pour les remercier. On buvait de la bière, on chahutait. Bo avait 39 ans, j’en avais 25.  On avait tout ce qu’il fallait pour être heureux… On l’était. Et puis la guerre de Corée est arrivée. Bo a tout de suite signé. Il est parti au printemps 51. « 

Mansi s’est tue. Au bout d’un moment, elle s’est assise au bord du lit pour allumer une cigarette. Et puis elle restée comme ça, assise, de longues minutes, sans rien dire, à regarder droit devant elle. De temps en temps, elle levait la tête et soufflait au plafond un long panache de fumée grise. Depuis le salon, la télévision faisait entendre une cacophonie ininterrompue de sifflements, d’explosions, de roulements de tambours et de coups de cymbales. Sans doute un dessin animé… Je n’osais pas parler, je n’osais pas lui poser de question parce que je commençais à deviner les raisons de son silence. J’ai quand même fini par me décider : je me suis levé, j’ai fait le tour du lit et je me suis assis à côté d’elle. J’ai allumé une cigarette, j’ai soufflé la fumée devant moi et je lui ai demandé :
— Ça va ?
— Ça va, ça va…
— Bo n’est pas rentré, c’est ça ?
— Il est mort là-bas, en décembre.

Je ne savais pas quoi dire, alors j’ai voulu lui caresser le dos. C’était juste un geste affectueux que je voulais faire, un signe de compassion, mais Continuer la lecture de Go West ! (71)

Pas des gens comme nous

Moi,  on m’a toujours dit, Bill, tu sais, les nègres, c’est pas des gens comme nous.

Et c’est vrai que c’est pas des gens comme nous. Il suffit de les regarder, on voit tout de suite que c’est pas des gens comme nous.

Bon, bien sûr, y a la couleur, mais ça, c’est pas le principal. Et puis, moi je dis  que leur couleur, ils y sont pas pour grand-chose. C’est comme leurs cheveux ou leur nez ou leur bouche, tout ça c’est pas vraiment de leur faute.

Je me rappelle le jour où j’ai dit ça un soir à la ferme. Y avait toute la famille en train de diner. C’était juste après la moisson. Je sais plus pourquoi, d’un coup, j’ai dit :

-Mais P’pa, les nègres, si y sont noirs, c’est pas de leur faute !

Dis-donc ! Le père, il a recraché sa soupe, il a renversé sa chaise en arrière et il s’est mis à me courir après à travers la grande pièce avec son ceinturon. Bien sûr, il a fini Continuer la lecture de Pas des gens comme nous

Buren à la Commanderie (1)

Si vous avez lu ici mes quelques critiques des oeuvres de Buren, et pas que sur les colonnes du Palais Royal, vous savez qu’en général je ne suis pas tendre avec ce déclineur de plexiglass.
Mais j’ai un faible pour cette oeuvre, dont je n’ai pu trouver le titre et qui se trouve dans le domaine viticole de la « Commanderie de Peyrassol » à Flassans-sur-Issoles dans le Var.
C’est simple et gai. Et puis, quand Continuer la lecture de Buren à la Commanderie (1)