(…) mais si Gisèle m’avait pas mis en retard… putain, Gisèle, tu fais chier !… si Gisèle m’avait pas mis en retard, je vous aurais doublé à toute allure en klaxonnant la Cucaracha et je serais passé bien avant l’avalanche ; et vous, dans votre cabine crasseuse pleine de paquets de cigarettes à moitié vides et d’emballages poisseux, vous m’auriez regardé filer vers l’Italie et le siège de Sauti-Casagrande SpA en écoutant à fond votre musique reggae à la con !…
Pendant que son manteau s’égoutte au sol, que ses mocassins commencent à se recroqueviller sur le radiateur et que Bernard maugrée toute sa rancœur contre la gent routière, les trois poids-lourds finissent par se calmer. Ils essuient leurs yeux avec des serviettes en papier, se mouchent dedans, poussent de grands soupirs de satisfaction en extrayant de la glacière trois nouvelles Kro. Ils restent silencieux quelques instants puis l’un d’eux, pas Gustave, un autre, frappe la table du plat de ses deux mains, se lève en poussant une sorte de hennissement. Puis, d’un air décidé, il se dirige vers Bernard.
…qu’est-ce qu’il me veut, celui-là ? j’espère qu’il m’a pas entendu tout à l’heure quand je… bon sang, il a l’air sacrément costaud… j’espère que je l’ai pas mis en colère… mon Dieu, faites que je l’aie pas mis en colère ! faites que…
« Dites, c’est vous qui voulez être à Turin avant demain matin ?
— Euh… oui… pourquoi ? répond Bernard, sur la réserve.
— Parce que j’y vais, moi, à Turin. Je pars dans dix minutes avec Gisèle. Si vous voulez que…
— Avec Gisèle ? Continuer la lecture de Gisèle ! (9)

