Gisèle ! (4)

(…) qu’est-ce qu’il faut faire dans ces cas-là ? s’arrêter ? c’est trop tard ! serrer à droite ? rouler sur la bande d’arrêt d’urgence ? oui, mais si le type continue comme ça, on se rentre dedans ! se porter complètement sur la gauche ? oui, mais si le connard reprend sa droite au dernier moment ? on se rentre dedans !…

Crispé sur son volant, Bernard se lance dans une série d’appels de phares mais voilà le connard d’en face qui fait la même chose ! Bernard est tétanisé. Les yeux écarquillés, la respiration bloquée, de ses deux bras tendus il repousse le volant le plus fort qu’il peut en prévision du choc. Deux longues secondes passent et Bernard voit filer sur sa droite un grand panneau routier, celui qui reflétait ses propres phares et qui lui annonce dans un éclair : « Aire de service de Saint-André – AGIP – Cafeteria 7/24 – Dernière station avant le tunnel du Fréjus – 1000 mètres ».
Bernard voit le panneau disparaitre d’un coup dans l’obscurité sur la droite. Il sent ses mains, ses bras et ses épaules se détendre, mais ses pieds le font souffrir tant ils se sont recroquevillés dans ses chaussures. La voiture continue d’avancer, à petite allure, bien en ligne. Bernard reprend ses esprits ; il débloque sa respiration.
«  Quelle connerie ces panneaux ! crie-t-il en tapant sur le volant. J’ai bien cru que… Ils pourraient quand même… Tous des cons… », mais il n’achève pas sa phrase. Il retrouve son calme et se remet à penser à la route qu’il lui reste à faire.

bon, ça va aller… pas le temps de m’arrêter, même pour un café… ce que je déteste partir en retard ! bon sang, Gisèle ! qu’est-ce que tu me… bon… faut que je fonce jusqu’à Bardonnèche… ah! voilà les lumières de la station-service… quoi encore ? qu’est-ce que c’est que ça ? ah non ! ça va pas recommencer tout de même !…

Devant lui, il y a un léger brouillard, et derrière le brouillard, il y a des feux rouges qui clignotent, et derrière les feux, la remorque d’un semi un peu en travers et, derrière la remorque, les phares du tracteur qui éclairent un long mur grisâtre et irrégulier et au-delà du mur, les lumières rouge et jaune de la station-service. Bernard ralentit prudemment et arrête sa voiture à quelques mètres de la remorque. Laissant son moteur tourner, il sort dans le froid. Quelques flocons lui entrent dans le cou. Il remonte le col de sa veste et se met à marcher avec précaution vers la cabine du camion. La nuit est silencieuse, ouatée ; on n’entend que le claquement du gros diesel dont les fumées d’échappement se rassemblent au sol et glissent lentement vers le bas-côté. Le long mur gris, c’est une coulée de neige. Elle est venue de la droite, du flanc escarpé de la montagne que frôle l’autoroute. Elle a traversé les deux voies de circulation, avalé la glissière centrale pour s’arrêter au milieu de la chaussée d’en face.

ah ben voilà ! c’est le bouquet ! maintenant on est bloqué ! je suis bloqué, ah Gisèle ! merde ! tu vois un peu où ça nous amène, tes jérémiades !

Bernard s’approche du tracteur. La porte côté conducteur est ouverte, mais il n’y a personne dans la cabine. Un bruit de tôle lui fait lever les yeux. Un homme est debout sur le toit du camion. Il tient à bout de bras au-dessus de sa tête une grosse lampe torche et observe devant lui. Il prononce une suite de mots que Bernard ne comprend pas. Tout en réalisant l’inanité de sa question, Bernard émet un timide « Euh… pardon… euh…qu’est-ce qui se passe ? » en direction du bonhomme. Le chauffeur ne répond pas mais il entreprend de descendre en s’agrippant à la portière ouverte, puis il saute à pieds joints à côté de Bernard.
« Vous avez pu voir ce qu’il y a devant ? demande Bernard. Vous croyez qu’on va pouvoir passer ?
— Y a plus de trois mètres de haut de neige jusqu’à l’entrée de la station, répond le chauffeur. Ça fait une bonne centaine de mètres. Vous croyez qu’on va pouvoir passer, vous ? Peut-être qu’avec un peu d’élan… Qu’est-ce que vous en pensez ? »
La réponse était plutôt narquoise, mais Bernard ne s’en est pas rendu compte.
— Mais, il faut absolument que je passe ! supplie Bernard. J’ai un rendez-vous très… »

A SUIVRE

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *