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LES DISPARUS DE LA RUE DE RENNES (Extrait)

Il est important de reconnaître les limites de notre capacité
à prouver l’absence de quelque chose
et d’adopter une approche humble
face à l’inconnu.
Isaac Asimov 

La question de prouver l’inexistence de
quelque chose soulève souvent
des défis logiques
et conceptuels.
Karl Popper

Il n’y a plus d’après
à Saint-Germain des Prés
Guy Béart

*

Les lignes que vous venez de lire figurent en exergue du roman politico-fantastique « Les Disparus de la rue de Rennes« , en vente sur Amazon.fr. Vous pouvez, Continuer la lecture de LES DISPARUS DE LA RUE DE RENNES (Extrait)

À Illiers-Combray

C’est en revenant de vacances que nous nous sommes arrêtés à Illiers-Combray. 

Illiers-Combray — « Illiers » tout court  jusqu’en 1971, année du centenaire de la naissance de Marcel Proust où le conseil municipal vota l’augmentation du nom du village — se situe à quelques kilomètres au sud-ouest de Chartres au bord de l’autoroute Océane et jouit depuis quelques années d’un bel échangeur à son nom, avec péage, parking et tout. 

Depuis longtemps, ou plutôt, depuis le temps où je suis tombé dans la Recherche du Temps Perdu, peut-être une petite quinzaine d’années — je sais, c’est tardif, mais on ne peut pas être précoce en tout — depuis ce temps donc, j’avais le vague désir de m’arrêter un jour à Illiers-Combray, ou même de m’y rendre spécialement en un aller-retour spécifique. Mais ce désir était toujours contrarié par le manque de temps, le manque de volonté, et surtout par cette tendance presque irrésistible que l’homme a — et la femme, oui, oui, et la femme — que l’homme et la femme ont de céder à la procrastination, tendance qui nuit grandement à l’accomplissement de l’individu mais qui offre l’immense avantage de lui conserver l’illusion que rien ne sera jamais fini.
Or, par ce milieu de matinée Continuer la lecture de À Illiers-Combray

Trou de mémoire (4)

(…) Sur le piano, trônaient quelques photographies enserrées dans des cadres d’argent ou de bois verni. Elles ressemblaient à toutes les photos de famille que l’on voit exposées sur tous les pianos de toutes les maisons bourgeoises, tant cette classe sociale est respectueuse de son uniformité : groupe posant fièrement devant une automobile sur fond de pont du Gard, le même groupe figé devant la façade du Grand Hôtel de Cabourg, enfant à l’aspect fragile et romantique en costume fantaisiste de marin… Sur le lutrin, se déployait une partition musicale : « Sonate pour piano et violon – M. Vinteuil »

« Tiens, Vinteuil ! me dis-je. Comme dans l’église… »

4 . Songeur, je repris à pas feutrés ma prudente visite. Au fond du vestibule, sous le tournant de l’escalier, il y avait une porte recouverte du même papier décoratif que les murs. Je la franchis. C’était la cuisine.

« S’il vous plait ?  Il y a quelqu’un ? »

La pièce était vide, elle aussi. Pourtant, posée sur la Godin rougeoyante, une casserole dont le couvercle se soulevait par intermittence lâchait de ces bruits mouillés qui font penser au bavardage incessant d’une vieille domestique à râtelier.

Je revins au vestibule et, planté au pied de l’escalier, je tentai à nouveau de manifester ma présence. Je toussai, d’abord discrètement puis avec affectation, je frappai du pommeau de ma canne Continuer la lecture de Trou de mémoire (4)

Trou de mémoire (3)

(…) Ce n’est pas très aimable pour moi, ce que vous dites, mais je vous pardonne, mon petit, car je vois bien que vous êtes énervé. Bien que cela ne soit pas très convenable pour une jeune fille, je vais donc me rendre seule sur la place de l’Église, puisque vous m’y engagez. Je tacherai de vous en rapporter quelque chose de bon qui puisse vous rendre plus gentil. » Et elle s’éloigna de l’encadrement de la fenêtre.

Albertine disparue, à la recherche de nourriture, Alfred accroupi derrière la voiture, occupé à ses tâches mécaniques, tout autour, à l’heure où les villageois se retrouvent assemblés autour de la table familiale, ce n’était que silence. Je m’endormis.

3 . Lorsque je me réveillai, maussade et nauséeux, Alfred était à ma fenêtre.

« Monsieur, disait-il, Monsieur. J’ai pu déposer la fusée. Elle est effectivement bien cassée. Il devait y avoir une paille dans l’acier. »

Je n’eus pas le temps de demander pas comment des ingénieurs sérieux comme étaient supposés l’être Messieurs Turcat et Méry pouvaient avoir oublié un bout de paille dans l’acier car Alfred poursuivait :

« Tout à l’heure, pendant que vous vous reposiez, un villageois m’a indiqué qu’à Méséglise, un petit bourg à trois kilomètres d’ici, il y a une fabrique de matériel agricole. Elle aurait un atelier bien équipé qui devrait pouvoir réparer notre fusée. Le problème, c’est que tout bien pesé, avec l’aller, le retour, la soudure, le refroidissement et le remontage de la pièce, ça prendra bien trois ou quatre heures. Je n’aime pas trop vous laisser seuls ici pendant tout ce temps, mais le moyen de faire autrement ?

— Allez, Alfred, allez ! lui répondis-je faiblement. Faites ce qui est nécessaire. L’inconfort de la voiture n’est pas si grand que je ne puisse y rester quelques heures. Et puis ne dit-on pas ‘’À la guerre comme à la guerre !’’ ? »

Alfred disparu à son tour, Albertine, que ma sortie Continuer la lecture de Trou de mémoire (3)

Trou de mémoire (2)

(…) Ces noms, Vinteuil, Gilbert le Mauvais, Geneviève de Brabant, où les avais-je déjà entendus ? Pourquoi me paraissaient-ils familiers ? À nouveau, je fis appel à mon esprit, mais cet effort m’épuisait et je sentais venir l’un de ces étouffements dont je suis si familier. J’abandonnai ma recherche et décidai que j’étais victime de l’une de ces impressions de déjà-vu, dont on sait depuis Henri Bergson qu’elles ne sont que des illusions. Je me reposai un moment et, le calme étant revenu dans mes poumons, je rejoignis Albertine qui, toujours agenouillée, profitait à présent de la lumière de son cierge faussement votif pour se refaire une beauté à l’aide de la petite trousse de voyage que je lui avais fait livrer de chez Cartier.

2 . Alfred nous attendait à la sortie de l’église. Il avait conduit la voiture jusqu’au pied des marches du portail. Le moteur tournait. Il me dit : « Monsieur, je me suis renseigné. Comme je le craignais, il n’y a rien ici de convenable où vous puissiez y prendre un repas. Chartres n’est qu’à une trentaine de kilomètres. Si nous partions immédiatement, nous pourrions y être encore à temps pour déjeuner au Café Serpente.» Au ton plutôt pressant qu’il avait utilisé et dont il tenta d’atténuer l’insolence par un « …si cela convient à Monsieur, bien sûr…» plus conforme à nos positions sociales respectives, je devinais que déjeuner dans ce restaurant réputé était pour l’immédiat son souhait le plus cher, car on sait que dans ce genre d’établissement, les chauffeurs, s’ils mangent à l’office, sont aussi bien nourris que leurs maitres.

Je donnai mon accord pour le Café Serpente à la grande joie d’Albertine qui se mit à battre des mains tandis qu’Alfred, qui dissimulait mal sa satisfaction, engageait habilement la Turcat-Méry dans l’une des deux étroites rues qui sortaient de la place de l’Église.

C’est alors que se produisit l’un de ces banals incidents dont, lorsqu’ils surviennent, on ignore l’importance, mais Continuer la lecture de Trou de mémoire (2)

Trou de mémoire (1)

1 . Un jour que nous rentrions de la Raspelière, alors que l’émergence des tours de la cathédrale de Chartres venait de briser la monotonie de l’horizon tremblant de chaleur que formait la cime des blés, je demandai à Alfred de quitter la grand’route et de nous conduire jusqu’à cette bourgade dont le clocher avait, sans que j’arrive à en identifier la raison, attiré mon attention depuis longtemps et que j’avais souvent souhaiter visiter sans jamais y parvenir.

Alfred arrêta la voiture et, laissant le moteur tourner, il objecta qu’il serait bientôt l’heure de déjeuner et que dans un tel village nous ne trouverions certainement pas une auberge assez convenable pour que j’y puisse entrer avec une jeune personne aussi délicate que Mademoiselle Albertine.  L’objection ne tenait pas car je savais d’expérience que les origines modestes de mon amie d’une part et l’éducation qu’elle avait reçue de Madame Bontemps de l’autre lui permettaient de s’adapter à tout environnement, qu’il soit paysan, ouvrier ou bourgeois.

Bien que je ne l’aimasse plus guère Continuer la lecture de Trou de mémoire (1)

Que faut-il penser d’Histoire de Dashiell Stiller ?

Des écrivains vous répondent…

La guerre est une bien belle chose.

Pratiquée avec obstination, fureur ou élégance depuis les origines de l’homme et même, selon certains coiffeurs,  bien avant, elle a apporté à travers les siècles aux membres de l’espèce humaine d’innombrables bienfaits.

Tout d’abord, sans la guerre, de quoi aurait-on couvert les murs des musées si les scènes héroïques de nos armées et les actes de barbarie de nos ennemis n’avaient été immortalisés sur la toile ? Sans la guerre, nos carrefours seraient-ils ornés de ces allégories monumentales que la patrie reconnaissante a offertes aux morts pour la France et que l’ennemi héréditaire nous envie ? Sans la guerre, jouirait-on aujourd’hui en toute tranquillité de la pénicilline, des lunettes de soleil Ray-Ban et de la bombe à fragmentation ? Et sans elle, nos ancêtres auraient-ils connu cette merveilleuse période d’insouciance de l’avant-guerre et, nos parents, ces enthousiasmantes années de croissance de l’après-guerre ? Évidemment non !

Et sans la dernière qui lui sert de cadre historique, aurions-nous pu connaitre ce récit Continuer la lecture de Que faut-il penser d’Histoire de Dashiell Stiller ?

GISELE ! (Extrait)

(…) Bernard se mit à siffloter l’ouverture de Guillaume Tell, puis à la chanter, de plus en plus fort. « Quand j’entends, quand j’entends l’air de Guillaume Tell, j’ai envie, j’ai envie de danser la samba … » Il ne se souvenait plus de la suite des paroles de cette parodie alors il la poursuivit avec des tagada, tagada, tagada-tsoin-tsoin, tagada, tagada… Les choses avaient failli mal tourner, mais maintenant, ça allait mieux. Dans une heure, deux au maximum, il serait dans un lit, bien au chaud, bien au sec… peut-être même qu’on pourrait lui faire un petit plat de pâtes avant qu’il n’aille se coucher… des spaghettis… à la Bolognaise… avec un verre de vin.

…mais c’est que j’ai faim, moi ! Je n’ai rien mangé depuis midi… et bien sûr, Gisèle ne m’a pas fait mon sandwich ! ah, Gisèle ! bon, c’est pas grave… dans une heure, un énorme plat de spaghettis bolognaise et au lit ! ça s’arrange, ça s’arrange !…

A travers le rideau de neige, une vive lumière vient d’apparaître loin devant lui sur la droite.

« Qu’est-ce que c’est que ça encore ! soliloque Bernard en levant un peu le pied. » La lumière grossit vite et commence à l’éblouir. « Des phares, ce sont les phares d’un type qui arrive dans l’autre sens… Mais ils sont sur la droite, ces phares ! Qu’est-ce qu’il fout sur la droite, ce type ? Il arrive à contre-sens ! Mais ce cinglé arrive à contre-sens ! » Continuer la lecture de GISELE ! (Extrait)

Vérité et mensonge

Morceau choisi

J’ai souvent dénoncé ici même l’aujourd’hui sacro-sainte « transparence », et en particulier dans ma Critique aisée n°16.

 https://www.leblogdescoutheillas.com/?p=889

Je ne suis pas certain d’avoir tout compris de ce que dit Cynthia Fleury de Jankélévitch à propos de la vérité, mais je crois qu’il (ou elle) est plutôt d’accord. Avec une nuance : je dis que « toute vérité n’est pas bonne à dire à tout instant », il dit que « toute vérité est relative à un contexte ». Voyez vous-même :

Quel est donc le rapport entretenu par Jankélévitch avec la notion de vérité ? D’emblée, l’on pensera que l’auteur du Traité des vertus est un défenseur acharné de la vérité, à tout prix, qu’il est conscient, quelle forme pour lui un impératif catégorique indépassable. Comment pourrait-il en être autrement ? Seulement voilà, deux grands camps s’affrontent en philosophie, qu’elle soit métaphysique ou morale : d’un côté, ceux qui croient toucher du doigt la vérité et, de l’autre, ceux qui sont conscients Continuer la lecture de Vérité et mensonge

LA NUIT DES ROGGENFELDER (Extrait)

Le diner s’était prolongé fort tard dans la nuit. D’abondantes volutes de fumées bleues et grises flottaient sous les poutres du plafond de l’auberge en enveloppant la roue de charrette qui, avec ses pauvres ampoules électriques, faisait office de lustre au-dessus de nos têtes. Depuis quelques instants, sans doute sous l’effet des mets et des vins que nous avions absorbés en quantité, nous étions tombés dans un silence méditatif qui contrastait avec la gaité et la vivacité des conversations que nous avions échangées jusque-là.

Franz Bauer, Bertram Fitzwarren et moi nous étions rencontrés pour la première fois quelques heures auparavant dans les bureaux de la Compagnie Maritime des Indes Orientales dont le Princesse des Mers devait appareiller dans la nuit pour Sidney via Singapour et Macassar.

Pour des raisons et des destinations différentes, chacun d’entre nous avait retenu une cabine sur le Princesse des Mers et nous avions lié connaissance en accomplissant les formalités d’embarquement. Compte tenu de la marée, le cargo ne pourrait quitter le port avant trois ou quatre heures du matin, et comme il n’était pas encore huit heures, nous avions Continuer la lecture de LA NUIT DES ROGGENFELDER (Extrait)