Archives de catégorie : Citations & Morceaux choisis

La fin du diner

Voici le dénouement d’un drame social contemporain de la crise sanitaire du COVID tel qu’il est fidèlement rapporté dans BLIND DINNER.

(…)

Sur ce, les policiers remettent leur masque et sortent de l’immeuble. Je m’approche d’Anne et, d’un ton très doux, je lui demande :

« Ça va, Anne ? Ils ne t’ont pas fait mal, au moins ?

— Fous-moi la paix, Gérald, me répond-elle sèchement en me bousculant pour rejoindre l’ascenseur, suivie de près par Kris. »

Mais pourquoi elle me parle comme ça ? A moi, qui suis si gentil, si prévenant, si amoureux ! Sans parler de mes qualités morales ni de ma situation sociale ! Peut-être qu’elle ne m’aime plus, finalement ? Il faut que j’en aie le cœur net, absolument. Je me précipite pour retenir la porte de l’ascenseur dans lequel elles se sont entassées.

« Anne, tu ne m’aimes plus ?

— Foutez-lui donc la paix une fois pour toutes, Gérald ! me conseille Kris en tentant de refermer la porte sur elles. Vous n’avez pas encore compris, espèce de minus ?

— Vous, d’abord, je vous déteste, voilà ! Je remonte chez Renée, alors sortez de l’ascenseur. On tiendra jamais à trois là-dedans ! Et puis, avec votre quintal et demi, on serait en surcharge ! »

Et tout en la tirant par le bras, j’ajoute, définitif :

« Allez, la pouffiasse, on descend ! » Continuer la lecture de La fin du diner

Patchwork

Voici un poème en vers libres. (déjà publié le 18 octobre 2014)

Ils sont libres parce que je les ai libérés de la prison dans laquelle ils vieillissaient au plus profond de ma mémoire sans avoir vu le jour depuis mon baccalauréat.

Patchwork

Je suis venu calme orphelin
Vers les hommes des grandes villes
Rappelle-toi, Barbara,
Il pleuvait sans cesse sur Brest.
Un soir, t’en souvient-il ? Nous voguions en silence ;
Les nuages couraient sur la lune enflammée
Comme sur l’incendie on voit fuir la fumée.
Du palais d’un jeune Lapin
Dame Belette un beau matin
S’empara ; c’est une rusée.
N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie !
Avec le temps,
Avec le temps, va, tout s’en va Continuer la lecture de Patchwork

Salle 1101

Ce matin, vous êtes dans la salle 1101 au 11ème étage de la tour HHH, à l’angle de Madison et de la 57ème, au cœur de Manhattan. Par faveur spéciale, vous assistez à la réunion bimensuelle des directeurs commerciaux de Hampton-Hartford-Huge Pharmaceutics, connus mondialement sous leur acronyme HHH. Autrement dit vous êtes au cœur des Big H’s, comme on dit à Wall Street. Comme d’habitude, la réunion est présidée par Bob Martinoni, Vice-Président Sales and Marketing, mais comme cela lui arrive de temps en temps, le grand patron, Geronimo H.Huge, GH,  assiste silencieusement à la réunion. Alors que Mary Dickinson a commencé à présenter les derniers résultats de la région dont elle est responsable, Europe-Afrique, Harry Weissberg, directeur pour la région West USA, arrive en retard. S’il a l’air un peu bizarre, c’est peut-être parce qu’il est sous médicaments.

(…)
Harry fait un pas dans la salle. Il n’a pas vu G.H., à moitié caché par le battant de la porte.

— Salut, les filles ! Oh ! Pardon, Mary ! Je recommence : Bonjour, Messieurs !

Dick Hullby s’agite sur son siège.

il y va un peu fort, Harry ; si c’est ça l’humour juif, ça manque un peu de classe ; je suis pas sûr que G.H. apprécie

— Excusez le retard… problème d’ascenseur…désolé…

Il ouvre un peu plus la porte de la salle qui vient heurter les pieds de Geronimo.

 merde, pas de chance, le grand Manitou est là !

Harry s’incline avec une cérémonie légèrement moqueuse devant le Président de la Compagnie et, d’une démarche un peu raide, il va s’asseoir à coté de Dunbar.
Martinoni reprend la parole : Continuer la lecture de Salle 1101

L’Effet Papillon (extrait)

(…)
À mi-chemin de l’autre bout du monde, c’est à dire au milieu de nulle part, le bateau fit naufrage dans une terrible tempête. Le mousse, qui nageait très bien la brasse papillon, réussit à sauver une jeune et jolie passagère. Tous deux s’accrochèrent à une grosse épave, et parvinrent ainsi jusqu’à une île déserte accueillante où ils s’installèrent du mieux qu’ils purent. Ce qui devait arriver arriva, et, au fil des saisons, plusieurs enfants naquirent sur la plage.

Et puis, un jour, un vaisseau de haute mer apparut à l’horizon et accosta. C’était une expédition que Lord Willougby-Pritchard, le richissime comte de Slopsbury, pair du Continuer la lecture de L’Effet Papillon (extrait)

Ratinet, c’est un nom qu’il aurait pu porter…

Extrait du premier chapitre de
BONJOUR, PHILIPPINES !

(…) J’ai un compagnon de voyage. J’ai oublié son nom, mais je me souviens parfaitement que c’était un imbécile. Il n’est pas encore sexagénaire, de taille moyenne, les cheveux gris clairsemés et l’air perpétuellement grognon. Il porte un de ces gilets de toile beige clair, dépourvus de manches mais munis de plusieurs mousquetons et d’innombrables poches de formes et de tailles diverses qui permettent d’accrocher ou de ranger tout un tas d’objets indispensables lors d’un voyage de près de vingt-quatre heures en avion : pellicules photographiques, objectifs de rechange, carte d’état-major, boussole, couteau multi-usages, crayons, bloc-notes, stylos de plusieurs couleurs, poncho en Continuer la lecture de Ratinet, c’est un nom qu’il aurait pu porter…

Le théâtre, vous ne savez pas ce que c’est

« Le théâtre, vous ne savez pas ce que c’est. Il y a la scène et la salle. Tout est enclos, les gens viennent là le soir, et ils sont assis par rangées,  les uns derrière les autres, regardant. Ils regardent le rideau de la scène et ce qu’il y a derrière quand il est levé. Et il arrive quelque chose sur la scène comme si c’était vrai. Je la regarde et la salle n’est rien que de la chaire vivante et habillée. Et ils garnissent les murs comme des mouches jusqu’au plafond. Et je vois ces centaines de visages blancs. L’homme s’ennuie et l’ignorance lui est attachée depuis sa naissance. Et ne sachant de rien comment cela commence ou finit, c’est pour cela qu’il va au théâtre. Et il se regarde lui-même, les mains posées sur les genoux et il pleure et il rit et il n’a point envie de s’en aller. Je les regarde aussi, et je sais qu’il y a là le caissier qui sait que demain on vérifiera les livres, et la mère adultère dont l’enfant vient de tomber malade, et celui qui vient de voler pour la première fois et celui qui n’a rien fait de toujours et ils regardent et écoutent comme s’ils dormaient. »

C’est par cette citation extraite de la pièce de théâtre “L’Échange“ de Paul Claudel que Louis Jouvet commença Continuer la lecture de Le théâtre, vous ne savez pas ce que c’est

À la Recherche de quelques pages

Pour aujourd’hui et de façon totalement arbitraire,  j’ai choisi quelques pages de la Recherche du Temps Perdu. 

Charles Swann et Odette de Crécy sont dans un fiacre. Depuis des mois, Charles, homme du monde, courtise Odette, demi-mondaine, sans se décider à aller plus loin. Ce soir, ils sont tous les deux dans un fiacre  et voici la fin de la fameuse scène des cattleyas. Odette porte ces fleurs à son corsage et Charles lui demande l’autorisation de les remettre en place. Admirez la délicatesse de la description des gestes et le cynisme de celle des motivations.   

(…) Elle, qui n’avait pas été habituée à voir les hommes faire tant de façons avec elle, dit en souriant :
—«Non, pas du tout, ça ne me gêne pas.»
Mais lui, intimidé par sa réponse, peut-être aussi pour avoir l’air d’avoir été sincère quand il avait pris ce prétexte, ou même, commençant déjà à croire qu’il l’avait été, s’écria :
—«Oh ! Non, surtout, ne parlez pas, vous allez encore vous essouffler, vous pouvez bien me répondre par gestes, je vous comprendrai bien. Sincèrement je ne vous gêne pas ? Voyez, il y a un peu… je pense que c’est du pollen qui s’est répandu sur vous, vous permettez que je l’essuie avec ma main ? Je ne vais pas trop fort, je ne suis pas trop brutal ? Je vous chatouille peut-être un peu ? mais c’est que je ne voudrais pas toucher le velours de la robe pour ne pas le friper. Mais, voyez-vous, il était vraiment nécessaire de les fixer ils seraient tombés ; et comme cela, en les enfonçant un peu moi-même… Sérieusement, je ne vous suis pas désagréable? Et en les respirant pour voir s’ils n’ont vraiment pas d’odeur non plus ? Je n’en ai jamais senti, je peux ? Dites la vérité.»
Souriant, elle haussa légèrement les épaules, comme pour dire «vous êtes fou, vous voyez bien que ça me plaît.»

Il élevait son autre main le long de la joue d’Odette ; elle le regarda fixement, de l’air languissant et grave qu’ont les femmes du maître florentin avec lesquelles il lui avait trouvé de la ressemblance ; amenés au bord des paupières, ses yeux Continuer la lecture de À la Recherche de quelques pages

De la collection Schaefer (2)

Voici une deuxième série d’aphorismes de la collection Bernard Schaefer, toujours consacrée à la science vue par les scientifiques. Les commentaires qui suivent le nom de l’auteur des sentences sont de Bernard. 

*

La poupée que jette un enfant hors de son berceau ébranle Sirius sur sa trajectoire.
Niels Bohr, astrophysicien danois
affirmation de l’effet « papillon » ; est-ce vrai ou pas ?

Les questions sont universelles, les réponses sont culturelles.
Hubert Reeves, astrophysicien canadien
voilà une réponse sensée et conjoncturelle à une question fondamentale et structurelle

La chance ne favorise que les esprits préparés.
Louis Pasteur, biologiste
Convergence Continuer la lecture de De la collection Schaefer (2)

On est toujours trop bon avec les femmes

morceau choisi 

Zazie dans le Métro“ est certainement le roman le plus célèbre de Raymond Queneau. Mais pour moi, ce n’est pas le meilleur. Le meilleur, le plus drôle, c’est “On est toujours trop bon avec les femmes“ édité en 1947, réédité plus tard avec “Le Journal intime de Sally Mara“ pour former “Les oeuvres complètes de Sally Mara“.
La scène se passe à Dublin au début de la révolution irlandaise de 1916. L’armée britannique va attaquer la Grande Poste de Dublin, occupée par les Républicains. Ph.C.

Le Furious s’embossa quelques yards en aval d’O’Connell bridge. Sur l’ordre du commodore Cartwright, les canons furent prêts à canonner. Mais il avait toujours quelques répugnance à les servir, non qu’il se refusât à écrabouiller des rebelles papistes et républicains, mais ce bureau de poste, parfaitement laid, graisseux et sordide en son architecture fonctionnaire et presque dorique, ce bureau de poste évoquait pour lui l’attachante personnalité de sa fiancée, Miss Gertie Girdle avec laquelle il devait de plus (et désirait) se marier dans un délai très proche afin de consommer avec elle l’acte quelque peu redoutable pour un garçon chaste, l’acte étrange dont les péripéties occultes amènent une jeune gonzesse de l’état virginal à l’état prégnant.
Cartwright hésitait donc. Ses matelots attendaient ses ordres. Soudain, une demi-douzaine d’entre eux s’étalèrent sur le pont et deux autres basculèrent par-dessus le bastingage pour piquer une tête sanglante dans la Liffey. Il ne s’était pas méfiés. Kelleher en avait eu marre, de voir ces silhouettes si sûres d’elles. Sa mitrailleuse fonctionnait très bien. 

Raymond Queneau – On est toujours trop bon avec les femmes – 1947

Rendez vous à cinq heures : souvenir de cinéma (41)

La page de 16h47 est ouverte…

Le cercle des poètes disparus
Peter Weir – 1989

Robin Williams, Ethan Hawke,
un grand film

Il y aura bientôt deux ans, je vous avais fait profiter d’une performance d’acteurs dans la scène du YAWP de ce grand film. Voici maintenant une scène classique dans le cinema américain, celle de l’adieu du chef à sa troupe. Ne faites pas le blasé et admettez que cette scène vous avait ému il y a 33 ans et qu’elle vous émeut encore. Ou alors admettez que vous êtes devenu une buche.

O Captain !  My captain !