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Raoul

Morceau choisi

J’ignore comment je suis tombé
Sur ce poème majeur —
Pour une fois je n’ai pas peur
D’utiliser un tel cliché —
Chef d’œuvre de drôlerie,
Et aussi de légèreté,
J’ai beaucoup souri,
Et bien aimé.
Et je ne peux plus résister
Au plaisir de le partager.
Peut-être pour l’apprécier
Faudrait-il que vous le lisiez
A voix haute, dans un réduit.
Vous y seriez tranquille, et puis
Là, vous sentiriez bien
La noblesse des alexandrins,
La vigueur des hexasyllabes
Sans parler d
es tétrasyllabes
Qui eux aussi ne sont pas mal.

En tout cas ce n’est pas banal.
Enfermez-vous dans le réduit, 
Allez-y:
Et lisez Raoul de Guitry
Que voici :

 

Raoul
Sacha Guitry

J’ai fait sa connaissance au mois de Février.
Pour être plus précise encor : un mercredi.
Nous échangeâmes quelques mots, puis il m’a dit:
« Vous devriez
Venir dîner seule avec moi! »
C’était la fin du mois –
Qui vient précisément si vite en Février.
Il insistait: « Vous devriez ! »
Alors, ma foi, j’ai répondu :
« C’est entendu. »
Son invitation laissait supposer
Qu’il me considérait un peu comme une poule,
Certes, mais, d’autre part, si j’avais refusé,
Je n’aurais jamais su qu’il s’appelait Raoul.
Au restaurant, pour commencer,
J’ai pris des moules.
J’aime les moules –
Il les déteste. II n’a rien dit – et m’a laissée
Manger mes moules,
Tandis qu’il savourait des artichauts – je crois.
Étaient-ils chauds,
Étaient-ils froids,
Ces artichauts ?
La chose importe peu, soyons francs et loyaux.
Ensuite, ensuite… ensuite,
On a mangé de l’aloyau,
Puis du gâteau de pommes cuites.
Et le soir même, on a – mais passons là-dessus.
Oui, passons sur la bagatelle…
Si j’avais refusé, comment aurais-je su
Qu’il habitait l’hôtel ?
Huit jours plus tard – c’était le 6 –
On est allé dîner tous les deux chez Vatel.
Et, tandis que Raoul,
Sans se faire prier,
Commandait des saucisses,
Je me suis écriée :
« Moi, je voudrais des moules! »
Alors, il a dit: « Non -les moules, c’est mortel! »
Et devant le maître d’hôtel,
Comme si nous étions devant le Maître-Autel,
Il crut devoir ajouter même :
« Oh! Que nenni! Tu n’en mangeras plus maintenant, c’est fini,
Car ta vie est à moi! Prends des macaronis,
Prends de ceci,
Prends de cela,
Du chou farci,
Du cervelas –
Maître d’hôtel, servez-la! –
Prends du canard au sang, du bitock à la crème,
Mais plus de moules – car je t’aime! »
Ça m’a touchée infiniment – vous le pensez.
Ma vie était à lui !
Le bonheur avait lui
Sous un ciel azuré.
Et, du coup, l’avenir me semblait assuré !
Puis, les jours ont passé.
Dame, ici-bas tout passe.
Et de tout – hélas! – on se lasse…
On s’aime, on se caresse, on s’embrasse, on roucoule,
Et parfois, l’un des deux en a vite assez ri.
La preuve en est qu’hier, au restaurant,
Raoul
M’a dit:
« Chérie, Veux-tu des moules? »

 

ET DANS LES JOURS QUI VIENNENT :

  • Demain, 7 h 47 min Qui a pété ? (2)
  • 14 Mai, 7 h 47 min Margaret Mitchell ou François Villon ?
  • 15 Mai, 7 h 47 min Ma vie de mioche – Critique aisée n°159
  • 17 Mai, 7 h 45 min Controverse

Si Guitry m’était conté (Critique aisée 46)

Si Guitry m’était conté   
Théâtre du Petit Montparnasse.

Désolé, mais je ne vais pas faire une bonne critique de ce spectacle. Je suis désolé parce que j’aime vraiment beaucoup Guitry (Sacha surtout, le père, je ne l’ai pas connu), et j’aime bien Jacques Seyres. Mais là, non, ça ne va pas.

Il y a deux ans, j’étais allé voir au Vieux Colombier  » Du côté de chez Proust  » par le même Jacques Seyres : des extraits de la Recherche du temps perdu dits pendant près de deux heures, sans une note, sans un trou, sans une hésitation par un comédien âgé, certes, mais charmant, léger et plein d’humour. En dehors de la performance du comédien seul en scène, c’était une excellente soirée, propre à mettre en évidence que la phrase proustienne n’est pas si compliquée que ça quand on l’écoute.

Aujourd’hui, Jacques Seyres a 86 ans, mais il a à peine perdu de sa légèreté. Pendant une heure et demie, il nous raconte, à la première personne, quelques moments de la vie de Sacha Guitry, sa naissance, sa première montée sur scène devant l’empereur Alexandre III, ses douze classes de sixième successives, son admiration pour son père, son amour de la femme et ses critiques des femmes, sa vision de la mort et d’autres choses encore.

Si l’on entend parfois la mélodie de Guitry, les phrases qui ressemblent à des alexandrins et les alexandrins qui ressemblent à une conversation, si on retrouve parfois l’esprit de Sacha (je ne supporte pas d’être malade, ça me rend malade; j’ai pris mon rhume en grippe…) tout cela reste bien léger.

Bien sûr, Guitry était léger, par opposition à lourd, pas léger comme creux, mais léger comme élégant, gai, léger quoi ! Mais il était brillant, et là, dans le choix des textes, on a la légèreté mais je n’ai pas trouvé le brillant. Plutôt qu’aller rechercher des petits morceaux dans les souvenirs de Guitry et les mettre bout à bout, peut-être aurait-il mieux valu choisir quelques tirades extraites de ses pièces (il en a écrit plus de cent, mais si, vous pouvez vérifier) et les lier les unes aux autres par ses traits d’esprit ( il en a eu des milliers, et j’en oublie).

Désolé.