Il est rare que je reproduise d’aussi longs extraits que celui-ci. Mais je n’ai pas su où le couper sans le dénaturer complètement. C’est pour moi le passage le plus drôle, je veux dire le plus ironique de l’Éducation sentimentale. Ça ne devrait pas vous prendre plus de 6 minutes pour le lire. Et ça vaut vraiment le coup, croyez-moi.
Pour les faveurs d’une demi-mondaine, Rosanette, Frederic Moreau va se battre en duel contre le vicomte de Cisy.
(…)
« Je vais me battre. Tiens, je vais me battre ! C’est drôle ! »
Et, comme il marchait dans sa chambre, en passant devant sa glace, il s’aperçut qu’il était pâle.
« Est-ce que j’aurais peur ? »
Une angoisse abominable le saisit à l’idée d’avoir peur sur le terrain.
« Si j’étais tué, cependant ? Mon père est mort de la même façon. Oui, je serai tué ! »
Et, tout à coup, il aperçut sa mère, en robe noire ; des images incohérentes se déroulèrent dans sa tête. Sa propre lâcheté l’exaspéra. Il fut pris d’un paroxysme de bravoure, d’une soif carnassière. Un bataillon ne l’eût pas fait reculer. Cette fièvre calmée, il se sentit, avec joie, inébranlable. Pour se distraire, il se rendit à l’Opéra, où l’on donnait un ballet. Il écouta la musique, lorgna les danseuses, et but un verre de punch, pendant l’entracte. Mais, en rentrant chez lui, la vue de son cabinet, de ses meubles, où il se retrouvait peut-être pour la dernière fois, lui causa une faiblesse.
Il descendit dans son jardin. Les étoiles brillaient ; il les contempla. L’idée de se battre pour une femme le grandissait à ses yeux, l’ennoblissait. Puis il alla se coucher tranquillement.
Il n’en fut pas de même de Cisy. Après le départ du baron, Continuer la lecture de Un duel au Bois de Boulogne