Archives par mot-clé : Flaubert

Madame Bovary m’épuise

temps de lecture : 2 minutes 

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On le sait, Gustave Flaubert était un travailleur acharné. Il polissait et repolissait ses phrases que cent fois il remettait sur le métier, biffant, raturant, changeant les mots, les verbes et le style. Il lisait ses textes à voix haute et considérait qu’une phrase était à éliminer si elle ne sonnait pas parfaitement. Au contraire de sa correspondance dont l’abondance et la prolixité montre une extraordinaire aisance, ses manuscrits prouvent à l’évidence que l’écriture ne lui était pas facile, ou du moins que la recherche de la perfection exigeait de lui un travail colossal.
Flaubert commença l’écriture de Madame Bovary en 1851 et l’acheva en 1856. Ses lettres à Louise Colet pendant cette période permettent de suivre la construction de l’œuvre. Le roman compte 35 chapitres. En janvier 1853, alors que son manuscrit n’en est qu’au chapitre 4, il écrit à Louise Colet et lui fait part de ses difficultés. Ses paragraphes, lui dit-il, sont bien « tournés », mais ils ne « dévalent » pas les uns sur les autres. Après deux ans de travail, il va falloir tout reprendre, peut-être même changer de style
.

« Mon sacré nom de Dieu de roman me donne des sueurs froides. En cinq mois, depuis la fin d’août, sais-tu combien j’en ai écrit ? Soixante-cinq pages dont trente-six depuis Mantes. J’ai relu tout cela avant-hier et j’étais effrayé du peu que Continuer la lecture de Madame Bovary m’épuise

La littérature troubadour

temps de lecture : 2 minutes pour Gustave, 1 minute pour moi

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Au XIXème siècle, une jeune fille au couvent lisait au dortoir : 

« Maniant délicatement leurs belles reliures de satin, Emma fixait ses regards éblouis sur le nom des auteurs inconnus qui avaient signé, le plus souvent, comtes ou vicomtes, au bas de leurs pièces.
Elle frémissait, en soulevant de son haleine le papier de soie des gravures, qui se levait à demi plié et retombait doucement contre la page.
C’était, derrière la balustrade d’un balcon, un jeune homme en court manteau Continuer la lecture de La littérature troubadour

Naissance de Madame Bovary

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La naissance de Madame Bovary

Dans un long article paru dans « L’Article » en 1857, Charles Baudelaire(1) imagine Gustave Flaubert(2)esprit bien nourri, enthousiaste du beau, mais façonné à forte escrime — réfléchissant à la création d’un roman pouvant remuer toutes ces vieilles âmes que sont les lecteurs du XIXème siècle.

*

(…) Dans des conditions semblables, un esprit bien nourri, enthousiaste du beau, mais façonné à une forte escrime, jugeant à la fois le bon et le mauvais des circonstances, à dû se dire : «Quel est le moyen le plus sûr de remuer toutes ces vieilles âmes ? Elles ignorent en réalité ce qu’elles aimeraient ; elles n’ont un dégoût positif que du grand ; la passion naïve, ardente, l’abandon poétique les fait rougir et les blesse.

— Soyons donc vulgaire dans le choix du sujet, puisque le choix d’un sujet trop grand est une impertinence pour le lecteur du XIXe siècle. Et aussi prenons bien garde à nous abandonner et à parler pour notre propre compte. Nous serons de glace en racontant des passions et des aventures où le commun Continuer la lecture de Naissance de Madame Bovary

Retour de Campagne (24)-Jouez au  SUITE&FIN  avec Gustave

Retour de Campagne n°24

Jouez au  SUITE&FIN  avec Gustave

Voici les premières lignes d’un chef d’œuvre que Flaubert a mis des années à écrire et qu’il n’a pas pu terminer avant de mourir. Comme titre, on dit qu’il avait envisagé « Encyclopédie de la bêtise humaine » mais, plus modestement, ce fut «Bouvard et Pécuchet».
Si vous ne l’avez pas encore lu, permettez-moi de vous y engager, mais pas avant d’avoir fait votre devoir d’aujourd’hui : prolonger les lignes du grand Gustave.
Si vous avez déjà lu Bouvard et Pécuchet, oubliez-les un instant et faites votre devoir comme devant. 
Et maintenant, voici le début du texte. À vous d’en trouver la fin.

Comme il faisait une chaleur de 33 degrés, le boulevard Bourdon se trouvait absolument désert.

Plus bas le canal Saint-Martin, fermé par les deux écluses étalait en ligne droite son eau couleur d’encre. Il y avait au milieu, un bateau plein de bois, et sur la berge deux rangs de barriques. Continuer la lecture de Retour de Campagne (24)-Jouez au  SUITE&FIN  avec Gustave

Plus sensuel, tu meurs !

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Dans le groupe des cinglés de Flaubert, on peut distinguer trois catégories principales : les Bovaristes, les Éducationistes et les Absolutistes. Les premiers tiennent Madame Bovary (1857) pour son chef d’oeuvre. Pour les seconds, c’est l’Éducation sentimentale (1869), et pour les Absolutistes, c’est absolument tout . Personnellement, je me situe dans la première catégorie. 
Le problème avec Guillaume Gallienne et son émission radiophonique « Ça peut pas faire de mal », c’est qu’il vous donnerait l’envie de lire absolument tout, et pas que tout de Flaubert.
Sa dernière émission était consacrée à l’Éducation sentimentale, et elle m’aurait presque fait passer de la première à la deuxième et, pourquoi pas, à la troisième catégorie de cinglés, surtout à la lecture par Fanny Ardent de cet extrait des Mémoires d’un fou (1838) .
Le narrateur a quinze ans, l’extrait est autobiographique.
Plus sensuel, plus évocateur des premiers émois d’un adolescent, tu meurs.
Et pardon pour ce titre vulgaire, mais il fallait bien que j’accroche le lecteur.

(…) Chaque matin j’allais la voir se baigner ; je la contemplais de loin sous l’eau, j’enviais la vague molle et paisible qui battait sur ses flancs et couvrait d’écume cette poitrine haletante, je voyais le contour de ses membres sous Continuer la lecture de Plus sensuel, tu meurs !

La tartine de Daniel

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Si vous avez lu mon article du 9 décembre dernier, ou si vous êtres très cultivé — faut-il préciser que l’un n’empêche pas l’autre ? — vous savez qui était Ernest Feydeau, archéologue, écrivain et courtier en bourse. En décembre 1858, Ernest soumit à son ami Flaubert le manuscrit de son deuxième roman, Daniel. Voici les extraits de deux lettres que Gustave envoya à Ernest pour lui faire part de son avis et de ses conseils.

Deux lettres de Flaubert à Ernest Feydeau (extraits)

26 décembre 1858
J’ai déjà lu deux cents pages du Daniel. J’aurai fini la lecture complète ce soir. J’en pense beaucoup de bien. Mais je suis révolté très souvent par les redites et les négligences de style qui sont nombreuses. Quel sauvage tu fais ! A côté de choses superbes tu me fourres des vulgarités impardonnables. (…)

28 décembre 1858
Voici l’aurore. Depuis vingt heures je suis sur Continuer la lecture de La tartine de Daniel

Lettre à Ernest Feydeau

Ernest Feydeau. Vous ne connaissez pas Ernest Feydeau ? Mais vous connaissez son fils, certainement ? Voyons ! Georges ! Georges Feydeau ! Le fil à la patte ! Ah, quand même !
Eh bien, Ernest Feydeau était le père de Georges. Enfin, peut-être, parce que certains disent — ou plutôt disaient, car aujourd’hui, tout le monde s’en fout — que le véritable père du véritable père du vaudeville était le Duc de Morny, ou peut-être même Louis-Napoléon Bonaparte.

Selon Wikipedia, Ernest était « archéologue, écrivain et courtier en bourse ». L’éclectisme des gens de cette époque me surprendra toujours… archéologue et courtier en bourse !
Ernest Feydeau a vécu de 1821 à 1873 alors que son ami Flaubert, de 1821 à 1880. Il fallait se dépêcher d’écrire à cette époque, car le temps était court.

Bref, Ernest et Gustave étaient amis et, comme chacun sait, Flaubert écrivait beaucoup (et bien). Voici un extrait d’une lettre de l’été 1857 dans laquelle il avoue à son ami que la littérature l’embête et que Continuer la lecture de Lettre à Ernest Feydeau

Un livre sur rien

Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c’est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui même par la force interne de son style, comme la Terre sans être soutenue se tient en l’air, un livre qui n’aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presque invisible, si cela se peut. Les oeuvres les plus belles sont celle où il y a le moins de matière. Plus l’expression se rapproche de la pensée plus le mot colle dessus et disparaît et plus c’est beau.

Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet – 16 janvier 1852

Admettez quand même que ça fait des années que Raymond Chandler et moi, on se tue à vous répéter que : « l’histoire, on s’en fout. C’est le style qui compte! »

ET DEMAIN, AU COMPTOIR DU PANTHÉON, LE RÉALISME ET LA VIOLENCE DE CERTAINES SCÈNES POURRAIT FAIRE RIGOLER LES MOINS SENSIBLES D’ENTRE VOUS. 

Flaubert savait-il écrire ? (Critique aisée n°76)

Flaubert savait-il écrire ?

Même si la lecture de À la Recherche du Temps Perdu m’a procuré, et me procure encore, plus de plaisir que celle de Madame Bovary, je tiens le roman de Flaubert pour le plus grand de la littérature française. (Il faut savoir que, dans cette compétition, beaucoup d’œuvres sont pour moi hors concours, pour la simple raison que je ne les ai pas lues.)

On sait que parmi les Flaubertistes, il y a d’un côté les Bovaristes, inconditionnels de la courte vie d’Emma et, de l’autre, les Educationnistes, passionnés par les aventures de Frédéric Moreau. L’expérience montre qu’on est rarement les deux à la fois. Moi-même, si ça vous intéresse, suis complètement du côté de l’Enquiquineuse Normande et j’ai un peu de mal à supporter le Dandy Parisien. Mais qu’il préfère Emma à Frédéric ou l’inverse, chacun reconnait l’exemplarité et la perfection du style flaubertien.

Il suffit de regarder un manuscrit du grand Gustave ou de parcourir n’importe quel ouvrage sur son œuvre pour comprendre qu’il n’écrivait pas facilement. Tous les critiques Continuer la lecture de Flaubert savait-il écrire ? (Critique aisée n°76)

C’était à Mégara… (Critique aisée 63)

Critique aisée n°63

C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar.

Avec le « Longtemps, je me suis couché de bonne heure » du petit Marcel, « C’était à Mégara… » est probablement l’incipit le plus connu de la littérature française. C’est celui du roman Salammbô de Gustave Flaubert.
Je ne vais pas disserter sur cette œuvre puissante et surtout pas tenter de la comparer à la Recherche du temps perdu. D’abord parce que ces deux romans sont incomparables, y compris entre eux. Ensuite parce que je ne suis carrément pas au niveau et, dans ces cas là, j’aime bien dire que je n’ai pas les outils.
Je voudrais simplement faire remarquer les différences qui existent pour moi entre ces deux magnifiques phrases d’entrée qui ne font d’ailleurs que refléter les différences fondamentales de nature entre les deux œuvres.
Avec l’incipit du petit Marcel, vous entrez dans son roman (on dirait aujourd’hui autofiction) par une petite porte, la fragile petite porte du fond du jardin de la maison de Combray, la délicate petite porte de la mémoire. La phrase est courte, simple et inattendue, surtout quand elle suit un titre aussi explicatif que « A la recherche du temps perdu ». Vous êtes tout de suite dans l’intimité du Narrateur qui, avec cette phrase d’introduction, commence à vous expliquer comment chaque soir il se couchait de bonne heure sans pouvoir s’endormir avant que sa mère ne vienne l’embrasser. Avec les trois mille pages qui suivent, vous saurez tout de lui.
Le grand Gustave ouvre Salammbô avec une phrase solennelle : « C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar« . On est au cinéma, l’hymne de la Twentieth Century Fox vient Continuer la lecture de C’était à Mégara… (Critique aisée 63)