Archives par mot-clé : Baudelaire

Naissance de Madame Bovary

Morceau choisi

La naissance de Madame Bovary

Dans un long article paru dans « L’Article » en 1857, Charles Baudelaire(1) imagine Gustave Flaubert(2)esprit bien nourri, enthousiaste du beau, mais façonné à forte escrime — réfléchissant à la création d’un roman pouvant remuer toutes ces vieilles âmes que sont les lecteurs du XIXème siècle.

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(…) Dans des conditions semblables, un esprit bien nourri, enthousiaste du beau, mais façonné à une forte escrime, jugeant à la fois le bon et le mauvais des circonstances, à dû se dire : «Quel est le moyen le plus sûr de remuer toutes ces vieilles âmes ? Elles ignorent en réalité ce qu’elles aimeraient ; elles n’ont un dégoût positif que du grand ; la passion naïve, ardente, l’abandon poétique les fait rougir et les blesse.

— Soyons donc vulgaire dans le choix du sujet, puisque le choix d’un sujet trop grand est une impertinence pour le lecteur du XIXe siècle. Et aussi prenons bien garde à nous abandonner et à parler pour notre propre compte. Nous serons de glace en racontant des passions et des aventures où le commun Continuer la lecture de Naissance de Madame Bovary

L’examen de minuit

Ceci a déjà été publié en 2018, mais un  petit rappel de temps en temps, ça peut pas faire de mal. 

La pendule, sonnant minuit,
Ironiquement nous engage
À nous rappeler quel usage
Nous fîmes du jour qui s’enfuit :
— Aujourd’hui, date fatidique,
Vendredi, treize, nous avons,
Malgré tout ce que nous savons,
Mené le train d’un hérétique.

Nous avons blasphémé Jésus,
Des Dieux le plus incontestable !
Comme un parasite à la table
De quelque monstrueux Crésus,
Nous avons, pour plaire à la brute, Continuer la lecture de L’examen de minuit

Les Bidons de l’art – 7

Le beau est toujours bizarre. Je ne veux pas dire qu’il soit volontairement, froidement bizarre, car dans ce cas il serait un monstre sorti des rails de la vie. Je dis qu’il contient toujours un peu de bizarrerie, de bizarrerie naïve, non voulue, inconsciente, et que c’est cette bizarrerie qui le fait être particulièrement le Beau. C’est son immatriculation, sa caractéristique. Renversez la proposition, et tâchez de concevoir un beau banal.

Charles Baudelaire – Curiosités esthétiques – 1868

Vous avez surement remarqué que depuis deux ans, j’ai entrepris une série que j’ai intitulée « Les Bidons de l’Art ». Le titre à lui seul exprime toute l’admiration que je porte aux œuvres que j’ai sélectionnées pour figurer dans cette série. Vous pouvez ne pas être d’accord, c’est votre droit de le penser et même de le dire ici, mais en fin de compte, c’est quand même moi qui choisis.

Le jugement de Baudelaire que j’ai reproduit ci-dessus, s’il était lu un peu vite, pourrait justifier à peu près tout ce qui se fait en matière d’art contemporain aujourd’hui et en particulier tout ce que j’ai Continuer la lecture de Les Bidons de l’art – 7

Pour qui n’a plus ni curiosité ni ambition

Un port est un séjour charmant pour une âme fatiguée des luttes de la vie. L’ampleur du ciel, l’architecture mobile des nuages, les colorations changeantes de la mer, le scintillement des phares sont un prisme merveilleux propre à amuser les yeux sans les lasser.

Les formes élancées des navires, aux gréements compliqués, auxquels la houle imprime des oscillations harmonieuses, servent à entretenir dans l’âme le gout du rythme et de la beauté. Et puis surtout, il y a une sorte de plaisir mystérieux et aristocratique pour celui qui n’a plus ni curiosité ni ambition, à contempler, couché dans le belvédère, ou accoudé sur le môle, tous ces mouvements de ceux qui partent et de ceux qui reviennent, de ceux qui ont encore la force de vouloir, le désir de voyager ou de s’enrichir.

Baudelaire – Le port – Le spleen de Paris
Photographie : la statue de Charles Baudelaire dans les Jardins du Luxembourg

Presque sur le même thème, vous pouvez toujours CLIQUER ICI pour revoir cet article « Suave mari magno… »

Les chinois voient l’heure dans l’œil des chats

Les chinois voient l’heure dans l’œil des chats.

Un jour un missionnaire, se promenant dans la banlieue de Nankin, s’aperçut qu’il avait oublié sa montre, et demanda à un petit garçon quelle heure il était.

Le gamin du Céleste-Empire hésita d’abord ; puis, se ravisant, il répondit : « Je vais vous le dire. » Peu d’instants après, il reparut, tenant dans ses bras un fort gros chat, et le regardant, comme on dit, dans le blanc des yeux, il affirma sans hésiter : « Il n’est pas tout à fait midi. » Ce qui était vrai.

Pour moi, si je penche vers la belle Féline, la si bien nommée, qui est à la fois l’honneur de son sexe, l’orgueil de mon cœur et le parfum de mon esprit, que ce soit la nuit, que ce soit le jour, dans la pleine lumière ou dans l’ombre opaque, au fond de ses yeux adorables je vois toujours l’heure distinctement, toujours la même, une heure vaste, solennelle, grande comme l’espace, sans division de minutes ni de secondes, – une heure immobile qui n’est pas marquée sur les horloges, et cependant légère comme un soupir, rapide comme un coup d’œil.

Et si quelque importun venait Continuer la lecture de Les chinois voient l’heure dans l’œil des chats

L’examen de minuit

La pendule, sonnant minuit,
Ironiquement nous engage
À nous rappeler quel usage
Nous fîmes du jour qui s’enfuit :
— Aujourd’hui, date fatidique,
Vendredi, treize, nous avons,
Malgré tout ce que nous savons,
Mené le train d’un hérétique.

Nous avons blasphémé Jésus,
Des Dieux le plus incontestable !
Comme un parasite à la table
De quelque monstrueux Crésus,
Nous avons, pour plaire à la brute,
Digne vassale des Démons,
Insulté ce que nous aimons
Et flatté ce qui nous rebute ;

Contristé, servile bourreau,
Le faible qu’à tort on méprise ;
Salué l’énorme bêtise,
La Bêtise au front de taureau ;
Baisé la stupide Matière
Avec grande dévotion,
Et de la putréfaction
Béni la blafarde lumière.

Enfin, nous avons, pour noyer
Le vertige dans le délire,
Nous, prêtre orgueilleux de la Lyre,
Dont la gloire est de déployer
L’ivresse des choses funèbres,
Bu sans soif et mangé sans faim !…
— Vite soufflons la lampe, afin
De nous cacher dans les ténèbres !

Charles Baudelaire
Les Fleurs du mal – 1857

C’est de ce magnifique et terrible poème que j’ai tiré cette image si parlante de la bêtise que j’utilise souvent :
la bêtise au front de taureau.

Le voyage

Charles Baudelaire n’aimait pas beaucoup les voyages. Dans « Le voyage », aux voyageurs, il pose cette question :

Dites, qu’avez-vous vu ?
……………………Nous avons vu des astres
Et des flots ; nous avons vu des sables aussi ;
Et, malgré bien des chocs et d’imprévus désastres,
Nous nous sommes souvent ennuyés, comme ici.

Un peu plus loin, il ajoute :

Amer savoir, celui que l’on tire du voyage !
Le monde, monotone et petit, aujourd’hui,
Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image
Un oasis d’horreur dans un désert d’ennui !

Spleen

Morceau choisi

J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans.

Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans,
De vers, de billets doux, de procès, de romances,
Avec de lourds cheveux roulés dans des quittances,
Cache moins de secrets que mon triste cerveau.
C’est une pyramide, un immense caveau,
Qui contient plus de morts que la fosse commune.

 

Note de l’éditeur : Ce poème ne s’achève pas ici. 
Si vous voulez lire la suite cliquez ICI

Charles Baudelaire