La littérature troubadour

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morceau choisi 

Au XIXème siècle, une jeune fille au couvent lisait au dortoir : 

« Maniant délicatement leurs belles reliures de satin, Emma fixait ses regards éblouis sur le nom des auteurs inconnus qui avaient signé, le plus souvent, comtes ou vicomtes, au bas de leurs pièces.
Elle frémissait, en soulevant de son haleine le papier de soie des gravures, qui se levait à demi plié et retombait doucement contre la page.
C’était, derrière la balustrade d’un balcon, un jeune homme en court manteau qui serrait dans ses bras une jeune fille en robe blanche, portant une aumônière à sa ceinture; ou bien les portraits anonymes des ladies anglaises à boucles blondes, qui, sous leur chapeau de paille rond, vous regardent avec leurs grands yeux clairs. On en voyait d’étalées dans des voitures, glissant au milieu des parcs, où un lévrier sautait devant l’attelage que conduisaient au trot deux petits postillons en culotte blanche. D’autres, rêvant sur des sofas près d’un billet décacheté, contemplaient la lune, par la fenêtre entrouverte, à demi drapée d’un rideau noir. Les naïves, une larme sur la joue, becquetaient une tourterelle à travers les barreaux d’une cage gothique, ou, souriant la tête sur l’épaule, effeuillaient une marguerite de leurs doigts pointus, retroussés comme des souliers à la poulaine.
Et vous y étiez aussi, sultans à longues pipes, pâmés sous des tonnelles, aux bras des bayadères, djiaours, sabres turcs, bonnets grecs, et vous surtout, paysages blafards des contrées dithyrambiques, qui souvent nous montrez à la fois des palmiers, des sapins, des tigres à droite, un lion à gauche, des minarets tartares à l’horizon, au premier plan des ruines romaines, puis des chameaux accroupis; — le tout encadré d’une forêt vierge bien nettoyée, et avec un grand rayon de soleil perpendiculaire tremblotant dans leau, où se détachent en écorchures blanches, sur un fond d’acier gris, de loin en loin, des cygnes qui nagent. »
Madame Bovary – Gustave Flaubert

Aujourd’hui, le monde et la mode ont changé. Les jeunes filles de la littérature troubadour ne portent plus de robes blanches mais des shorts en Jean vintage et d’amples chemises ouvertes aux pans noués au-dessus du nombril. Elles ne s’étalent plus dans des calèches mais se lovent dans des Ferrari rouges. Elles ne rêvent plus devant un parc sous la lune, mais depuis une terrasse de Beverley Hills, ne jouent plus distraitement avec une tourterelle mais avec un iguane du Brésil ou une panthère du Nicaragua. Elles ne se pâment plus dans les bras des sultans, mais dans ceux de riches héritiers de Hong-Kong.
Emma Bovary est morte d’une overdose d’arsenic mais les jeunes filles sont éternelles : le roman troubadour existe toujours et c’est toujours les mêmes clichés, toujours les mêmes niaiseries, toujours la même bêtise.
 

Une réflexion sur « La littérature troubadour »

  1. Et Sardou chantait « Être une femme des années 80 », tralala, l’éternelle histoire des femmes. Et Julien Clerc chantait « Femmes…je vous aime », l’éternelle histoire des hommes.

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